Ce que la « gestation pour autrui » réglemente 

 

 

Cet article reprend une présentation faite par Yağmur Uygarkızı pour la Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution lors du « Feminist Forum » du groupe europarlementaire The Left  le 1er mars 2022 à Bruxelles. Il reprend en beaucoup de points l’analyse faite par Ana-Luana Stoicea-Deram depuis de nombreuses années sur la question de la « gestation pour autrui » ou « GPA ». Voir en particulier son article  « De quoi la « GPA éthique » est le nom ». Je tiens à remercier aussi Marie-Josèphe Devillers pour toutes les conversations sur le sujet.  

 

 

Si on vous vend une « dictature démocratique », je doute fortement que votre premier réflexe soit d’y installer votre résidence secondaire. Le substantif « dictature » est bien trop défini et connoté négativement pour que l’adjectif « démocratique » puisse vous faire croire qu’il puisse changer quoi que ce soit. Pourquoi alors la « gestation pour autrui (GPA) éthique » n’est pas automatiquement perçue comme un oxymore ? Sûrement parce que nous n’avons pas une conception claire et nette de ce qui se cache derrière cet acronyme.

 

La Coalition Internationale pour la Maternité de Substitution définit la « gestation pour autrui » comme « une pratique sociale par laquelle une femme, en bonne santé et sans désir d’enfant, est amenée à accepter de porter une grossesse jusqu’à son terme à la demande d’autres personnes, dans le but de leur remettre l’enfant dès sa naissance ».

 

Une pratique sociale avec des risques médicaux

 

Il y a trois axes principaux dans cette définition. Le premier est que la « GPA » est une pratique sociale et non médicale, puisque la « GPA » ne guérit rien du tout, bien au contraire, c’est l’illustration parfaite de la confusion entre Serment d’Hippocrate et Serment d’Hypocrite. Pourquoi ? Parce que nous avons des médecins qui prétendent qu’une enfant est une cure à l’infertilité, ce qui est tout aussi logique que de prétendre qu’un fauteuil roulant est une thérapie pour la paralysie[i]. Et parce que nous avons des médecins qui exposent des femmes, en parfaite santé, à de graves risques de santé. En ce sens, la « GPA » se rapproche de la chirurgie esthétique où des femmes étiquetées comme « moches » sont « soignées » avec des techniques médicales[ii]. Ici, des médecins se permettent d’implanter deux, trois, quatre, cinq embryons, de bourrer des femmes de traitements hormonaux, de les bourrer de médicaments, de faire prendre à des femmes des risques mortels — clairement spécifiés dans certains contrats étatsuniens. J’insiste sur le mot « bourrer » pour rappeler que ces dernières années, il y a eu plus de progrès sur le foie gras que sur la « GPA ».

 

Une grossesse non-désirée renforçant la filiation patriarcale

 

Pourquoi a-t-on besoin de bourrer une femme de médicaments ? Pour la préparer physiquement à ce qu’elle rejette psychiquement. D’où le deuxième axe de la définition : « une grossesse non-désirée ». On soumet une femme à une pratique invasive allant contre sa volonté. Tout comme dans la prostitution, l’acte sexuel n’aurait pas eu lieu si ce n’était pour l’argent, la grossesse de la « GPA » n’aurait pas eu lieu sans la demande d’autrui — la « GPA altruiste » étant donc d’une redondance trompeuse. La juriste Catharine MacKinnon rappelait que normalement, le sexe se suffit à lui-même, il est une fin en soi alors que dans la prostitution il devient moyen : sexe pour quelque chose, en échange de quelque chose[iii]. L’acte sexuel devient conditionnel, soumis à d’autres considération. La grossesse de la « GPA » répond à la même logique : il est instrumental. Il n’est que le moyen d’une autre fin. C’est dire du statut de la femme à qui on « demande » (euphémisme courtois) d’être enceinte. Avec la « GPA » les hommes font des enfants à travers des femmes et non plus avec des femmes.

 

La « GPA » est une pratique patriarcale. En plus de faire fi de l’intégrité, de la dignité et de la volonté des femmes, la « GPA » renforce la filiation patriarcale. En France, pour les « GPA » faites à l’étranger c’est la filiation spermatique qui prévaut — la philosophe Janice Raymond parle à juste titre de « pères éjaculateurs »[iv]. Une enfant pour un homme est plus rapide qu’un amen comme on dit. Nous sommes en plein stéréotype sexiste de l’homme « créateur » alors que le rôle des hommes dans la reproduction humaine est clairement moindre par rapport à celui des femmes. Les deux sexes ne sont pas juste différents, ils sont asymétriques comme martèle la psychanalyste Antoinette Fouque qui pourtant n’avait pas compris la violation qu’est la « GPA »[v]. La « GPA », comme la prostitution ou comme l’excision, est une violence masculine faite aux femmes puisqu’elle s’attaque à des membres et des fonctions strictement féminines. Pour rappel : les hommes ne peuvent pas être « enceints ». On parle à tort de « faire un enfant » et de le « porter »[vi] alors que c’est une femme — et non une cuve ! — qui participe pleinement à la création de la vie humaine lors de la grossesse qui est tout autre qu’une condition passive. Les demandes d’égalité face à la « GPA » ne sont en fait que des demandes d’égalité entre hommes pour devenir égaux face à la paternité[vii]. Dans un système patriarcal, celui de l’autorité du père, il est primordial pour un homme, qu’il soit célibataire, homosexuel ou hétérosexuel, de devenir père pour avoir du pouvoir. Rappelons d’ailleurs que le mot famille vient de famulus, serviteur, et qu’il désignait à l’origine l’ensemble des serviteurs vivant sous un toit[viii]. La famille n’est pas une institution féministe mais l’arène des violences masculines.

 

Une vente d’enfants déguisée en business acceptable

 

La question de la famille introduit le troisième axe crucial de la définition : « remettre l’enfant dès sa naissance ». Concrètement, des adultes se mettent d’accord — signent un contrat — pour savoir en échange de quoi ils pourront acheter/se procurer une enfant. Après quoi il n’y a plus qu’à arroser, puisque c’est bien connu une enfant ça pousse toute seule. Tout part d’une graine n’est-ce-pas ? « Ah oui, nous c’est un variant ukrainien… Vraiment très résistant, incroyable ! Oh et puis la donneuse d’ovocytes ! … Une perle ! … Ce dévouement aux autres, incroyable, vraiment…».

 

Cette transaction rejoint curieusement et parfaitement la définition de vente d’enfants telle qu’elle est stipulée par les Nations Unies[ix]. On rétorquera que la « GPA » et la vente/traite d’enfants « c’est pas pareil » parce que dans un cas on a décidé douze, treize, quinze mois à l’avance, et que dans l’autre on a dit à une fille de douze ans « t’es bien gentille t’iras voir le monsieur, il a très bien payé ». Avancer un tel argument c’est réduire la question de la vente/traite d’enfants à une question de temps : seul le moment de transaction ferait alors la différence entre une violation de la dignité humaine et une transaction quelconque. Cet article n’a pas été introduit par une question lexicale par hasard : d’un problème de fond, la « GPA » est transformée en un problème de forme. Les jeux de mots servent à confondre apparence et substance.

 

Des jeux de mots au service de la violence

 

Une digression peut nous aider à mieux comprendre le propos. Disons que demain le gouvernement admet son impuissance face au meurtre, et en particulier les féminicides. « Depuis toutes ces années que le meurtre est interdit, nous n’avons toujours pas réussi à y mettre fin. Nous allons donc le réguler. Nous appellerons cela le « meurtre éthique ». Il sera désormais possible de tuer de 9h à 17h (acquis sociaux obligent) du lundi au jeudi (parce que depuis le Covid, les semaines à cinq jours passent mal) ». Que se passe-t-il si, par le plus grand des hasards — toute ressemblance à des événements réels est totalement fortuite — un homme tue une femme à 19h30 ? Il sera pénalisé bien sûr. Mais il ne sera pas pénalisé pour le meurtre mais pour ne pas avoir respecté les modalités du meurtre. Le meurtre en lui-même n’est plus une faute, ce sont les horaires du meurtre qui comptent. D’un problème éthique, le meurtre est transformé en problème bureaucratique[x].

 

J’en reviens à la « GPA ». La question n’est pas de savoir s’il faut réglementer la « GPA » mais ce que la « GPA » réglemente. Encore une fois, tout comme la prostitution règlemente les modalités du viol (dans un certain lieu, à un certain prix), la « GPA » spécifie les conditions selon lesquelles la grossesse non-désirée et la traite/vente d’enfants deviennent acceptables. Pour le premier aspect, la « GPA » se situe aux antipodes de l’IVG (interruption volontaire de grossesse) puisque si celle-ci, plus qu’un droit, est un moyen de garantir le droit à l’auto-détermination[xi], de pouvoir choisir si et quand on veut une fille ou un garçon, la « GPA » stipule au contraire qu’il est possible de forcer une femme à avoir une grossesse du moment qu’on paye le juste prix ou qu’on avance les bons arguments. Pareil pour le deuxième aspect : la « GPA » stipule que du moment qu’on s’y prend à l’avance, on peut acheter/vendre/échanger des filles et garçons. En somme, la « GPA » régule les conditions dans lesquelles la violation des droits des femmes et filles sont acceptables. En vrai, cela veut dire que la violation des femmes et filles est acceptable.

 

Nous sommes ici dans une contradiction totale d’un point de vue juridique. La seule manière de justifier cette anomalie juridique serait d’admettre que nous les femmes ne sommes toujours pas considérées humaines — ce qui semble bien établi dans la tête des hommes et leurs Cours des droits de l’Homme — et par extension citoyennes à part entière. Il semblerait que la structure athénienne avec porne (femmes que l’on peut violer, qui a donné le nom de pornographie), gynécée (lieu où on enferme les femmes pour la reproduction) et la citoyenneté pour un nombre restreint d’hommes reste inchangée. Rappelons que les hommes ont appelé ce système « démocratie » en l’érigeant comme modèle de société. Osons la fémocratie.[xii]

 

L’acceptation de la « GPA » induit un effet domino aux conséquences dévastatrices. Si nous acceptons qu’il est possible, en principe, de forcer des femmes à porter des grossesses à terme et la vente de filles, alors nous ne faisons plus que négocier sur le prix. Pourquoi pas alors accepter une « GPA » pour un visa (situation actuellement vérifiée) ? Pourquoi pas pour manger ?  Pourquoi pas ? On nous dira que c’est aberrant. On nous dira que c’est aberrant parce que c’est pour trop peu. Non, ce qui est aberrant c’est la violation des femmeses femmes et filles à travers la « GPA ». Ce qui est aberrant, c’est la « GPA ».

 

[i] Point également exprimé par d’autres féministes dont Janice Raymond.

[ii] Analyse de Naomi Wolf dans Quand la beauté fait mal (The Beauty Myth) publié en 1990.

[iii] Voir le cours de Catharine MacKinnon « Trafficking, Prostitution and Inequality: A Public Lecture by Catharine MacKinnon » (2011) à l’Université de Chicago en ligne.

[iv] Raymond, Janice (1994) Women as Wombs : Reproductive Technologies And The Battle Over Women’s Freedom. Victoria, Australia: Spinifex Press

[v] Fouque, Antoinette (2015/1995) Il y a deux sexes : Essais de féminologie. Paris : Gallimard.

[vi] Voir l’analyse sur le langage de la maternité d’Alexandra Clément-Saby dans Towards the Abolition of Surrogate Motherhood (2022) édité par Devillers, Marie-Josèphe et Stoicea-Deram, Ana-Luana publié chez Spinifex Press.

[vii] Idée présentée la première fois lors d’une présentation pour le Lobby Irlandais des Femmes.

[viii] Nawal El Saadawi insiste sur ce point dans The Hidden Face of Eve : Women in the Arab World (1977).

[ix] « On entend par vente d’enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant es remis par toute personne ou de tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage » Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants

[x] Cet exemple a été donné pour la première fois lors d’une présentation sur la « pornographie féministe » pour Osez le Féminisme puis sur une présentation sur la prostitution en France pour Women’s Liberation Front.

[xi] Je reprends cette distinction de la réflexion de Catherine Kintzler qui rappelle dans Penser la laïcité que la séparation de l’Église et de l’État est le moyen de garantir le principe de la laïcité basé sur la liberté de conscience et non la fin du principe.

[xii] Ces idées ont été exposées dans diverses présentations publiques et dans un texte pas encore publié sur la pornographie.

 

 

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