Le projet « La filiation en contexte de GPA » touche à sa fin.
Lors de cette dernière réunion du groupe de travail, la CIAMS, Coalition Internationale pour l’abolition de la Maternité de substitution, forte de ses cinquante organisations membres présentes sur trois continents souhaiterait s’adresser une dernière fois à vous.
Dans ses prémices, ce projet législatif auquel vous travaillez s’est appuyé sur une enquête partielle qui était exclusivement tournée vers les commanditaires et les acteurs économiques de ce que la HCCH, elle-même, reconnaît comme étant un marché mondialisé. Les « personnes concernées au premier chef », c’est-à-dire les femmes et les enfants ont été négligés et les organisations qui les représentent ignorées.
Nous vous demandons aujourd’hui, en toute conscience et responsabilité, de considérer les impacts néfastes de ce projet sur le plan humain.
Ratifiée ou non par des Etats, cette convention une fois élaborée va légitimer et nourrir un marché préjudiciable, par sa nature même, aux femmes et aux enfants qui en naissent.
Aujourd’hui, la GPA est présentée au grand public sous des angles trompeurs :
L’aura médicale dont on l’entoure à tort. Alors que seule la FIV et l’insémination artificielle constituent des pratiques médicales d’assistance à la reproduction, la GPA, parce qu’elle a recours, y est assimilée abusivement.
La supposée générosité des femmes qui s’y impliquerait par altruisme. Ce stéréotype émérite est ici remis au goût du jour pour faciliter l’instrumentaliser des femmes au profit de tierces personnes.
Le mythe du consentement libre et éclairé. Peut-on réellement consentir à sa propre déshumanisation : à être réduit d’être humain à un simple contenant ; à être désenfantée, puis jetée après utilisation ? De quel consentement éclairé peut-il s’agir lorsque certains médicaments administrés aux femmes enceintes le sont hors AMM (comme le Lupron), et que les études scientifiques quant à leurs effets sur la santé des femmes n’existent pas ?
La confusion entretenue à dessein dans les rôles tenus par les parties à la GPA. En effet, le processus biologique de la grossesse est assuré par la femme enceinte, c’est donc elle qui est la mère biologique. Le commanditaire à l’origine du « don » de sperme a seulement un lien génétique avec le nouveau-né. Etranger à la grossesse, il ne devrait jamais être qualifié de parent biologique.
La tromperie, l’escroquerie intellectuelle qui consiste à prétendre que l’enfant mis au monde par la mère porteuse n’est pas le sien et qu’il n’est pas vendu ou acheté au sens de la convention de la HCCH de 1993 sur l’adoption internationale, qui a en effet opère une distinction très claire entre adoption et vente d’enfants. La vente d’enfants est caractérisée par l’affectation du futur enfant à des tiers, avant sa naissance, ce qui est bien le cas dans la GPA.
L’impact de cette désinformation se mesure dans des situations réelles de la vie quotidienne dont nous réussissons des témoignages.
En pleine rue, un jeune homme aborde une jeune femme « vous êtes très belle, acceptez-vous de me faire don de vos ovocytes pour que je puisse obtenir des enfants qui vous ressemblent ? ».
Une jeune femme, dans un contexte de repas entre amis, se trouve interpellée par deux d’entre eux qui lui demandent sérieusement et publiquement d’accepter de devenir « leur » mère porteuse.
Il se mesure aussi dans des cas aujourd’hui portés devant les tribunaux : Plusieurs anciennes mères porteuses ont en effet contacté notre Coalition en recherche de soutien dans des situations où elles ont été brutalement évincées de la vie de l’enfant qu’elles ont mis au monde. Ces situations sont interprétées par les tribunaux comme pertinents de la GPA et autorisant des jugements exclusivement en faveur des commanditaires. Les cas présumés relèvent de contextes nationaux variés où la maternité de substitution est soit altruiste, soit interdite, soit mafieuse, soit commerciale.
S’ajoute aux conséquences néfastes de cette pratique mondialisée, la question des enfants nés de GPA, la recherche souvent impossible de leurs origines, leur situation complexe, en conflit de loyauté vis-à-vis des « parents » qui les ont élevés. Citons aussi le cas des enfants abandonnés par les commanditaires que le responsable ukrainien de lutter contre la traite humaine évaluait en 2019 à “plus de 50 pour cent des enfants admis chaque année dans les orphelinats ukrainiens”.
Ces exemples montrent que toute femme, quelle que soit sa catégorie sociale pourrait être considérée comme gestatrice potentielle au service de tiers, au sens où « les femmes feraient pour faire des enfants et les hommes pour aller à la guerre », comme a pu le dire un militant en faveur de la GPA, sûr de son bon droit, dans une réunion publique.
Dès les années 2015, et depuis lors, chaque année, des organisations féministes et en faveur des droits humains regroupées en 2018 au sein de notre Coalition Internationale, ont alerté les membres des groupes d’experts et de travail, le bureau permanent et les Etats membres sur les conséquences délétères sur le plan humain des travaux de la HCCH sur ce sujet. Elles se donnent aussi comme mission de révéler au grand public la teneur de ce projet qui depuis plus de 10 ans se déploie dans la plus grande discrétion.
Aujourd’hui, dans la dernière étape de ces travaux au long cours, nous renouvelons notre appel à mieux évaluer, en tant que personnes responsables, l’impact de ces travaux et de leur finalité.
En participant à ce projet de convention qui a pour mais de garantir les effets des contrats de maternité de substitution transfrontière, vous avez le choix de vous ranger du côté des catégories sociales favorisées qui ont recours à la GPA pour obtenir un enfant, ou, au contraire, de choisir courageusement le camp des catégories plus vulnérables parmi lesquelles se recrutent les femmes enrôlées dans cette pratique. Vous avez le choix de contribuer ou non à favoriser l’achat et la vente d’enfants.
Réglementer la filiation, l’un des aspects d’une pratique qui repose sur la déshumanisation des femmes et la transformation des enfants en objet de contrat ne protège ni les enfants ni les femmes mais fragilise les droits humains de tous et toutes, au profit du marché. L’esclavage ne se réglemente pas, il s’abolit. Et les cas d’esclavage contemporain ne conduisent aucune organisation internationale à envisager de le réglementer pour en limiter les effets. Œuvrer à « l’unification progressive » des règles de droit international privé doit se faire dans le respect de la dignité humaine, fondement des droits humains, et non en réponse à un marché dont la capacité d’accueil des femmes et des enfants est soutenue par son intense lobbying.