Introduction – Colloque 2018

Introduction au colloque « Pour le respect des femmes et des enfants, abolir la maternité de substitution » 

C’est souvent par la photo du sourire d’un enfant, ou de la main d’un nouveau-né que l’on introduit le sujet de la maternité de substitution. Ou encore, par un témoignage très personnel, du bonheur procuré par l’arrivée d’un enfant intensément désiré, et mis au monde par une femme désignée comme mère porteuse. Ces approches individuelles présentent immanquablement la pratique comme source de satisfaction pour des personnes qui, autrement, seraient privées de la famille qu’elles voulaient ainsi créer. Très rarement, en revanche, entend-on parler des raisons pour lesquelles la maternité de substitution est interdite en France, comme dans de nombreux autres pays européens. Encore plus rarement entend-on dénoncer les trafics d’êtres humains, femmes et enfants, qu’elle génère pour satisfaire une demande en pleine croissance. Et jamais, ou presque, on n’entend parler des femmes mortes pendant la grossesse ou lors d’un accouchement vécu au terme d’une «gestation pour autrui ». Les sourires des enfants et les témoignages des nouveaux parents interdisent toute réplique, et on fait semblant d’oublier de s’interroger sur les motivations qui amènent une femme à devenir mère porteuse, ou sur les effets de la séparation du nouveau-né d’avec sa mère. Les notions de « choix » et de « consentement » semblent gravées dans le marbre, et soudainement interdites de déconstruction. Les femmes choisissant de devenir mères porteuses le sont par plaisir d’être enceintes et de faire le don de la vie à de parfaits inconnus, fut-ce au prix de leur santé. Le remettre en doute reviendrait à camper dans un conservatisme homophobe, étant entendu que la critique de la maternité de substitution supposerait de refuser la parentalité des couples de personnes de même sexe.

Rien de tel en ce qui nous concerne. Si nous refusons la maternité de substitution, si nous en demandons l’abolition, c’est au nom des droits humains, qui doivent être les mêmes pour tous et toutes. Nous combattons cette pratique pour ce qu’elle est, pour les rapports d’instrumentalisation et d’exploitation dont elle se sert et qu’elle renforce, et non les personnes qui y ont recours.

La maternité de substitution est une pratique sociale par laquelle une femme accepte de porter une grossesse et de donner la vie à un enfant dans le but de se séparer de lui à la naissance, et de le remettre aux personnes qui lui ont demandé de le mettre au monde. Cette pratique recourt, d’une part, aux techniques médicales de fécondation in vitro et d’insémination artificielle, et d’autre part, à l’utilisation des capacités reproductives des femmes. Ce faisant, elle aliène l’être humain femme, transformée en moyen reproductif :

« Après l’aliénation des hommes dans le travail à la chaîne et leur exploitation économique, une forme inédite d’aliénation biologique s’installe dans la procréation artificielle à laquelle les femmes doivent activement collaborer. La mise à disposition de l’utérus féminin est en effet une pièce indispensable au dispositif d’ensemble de la production d’enfants en laboratoire » [1].

Dès son apparition, elle a suscité des critiques, mettant en avant l’exploitation qu’elle suppose nécessairement, en ce qui concerne les femmes, ainsi que la transformation de l’enfant en objet dont on peut disposer (que ce soit contre paiement ou non)[2]. Doit-on ajouter que la pratique est strictement la même, quel que soit le sexe et l’état civil de la personne ou des personnes à l’origine de la demande ?

En France, la pratique est interdite, mais depuis près de trente ans, les tentatives de légalisation se multiplient. Sans crainte de se contredire, les tenants de la réglementation affirment qu’il s’agirait d’un progrès, tout en montrant qu’elle existait déjà dans la Bible. Le massacre des innocents est également mentionné dans la Bible, et pourtant personne ne songerait à justifier les infanticides en faisant référence à l’épisode biblique. Si le lien semble aisé, pour ce qui concerne la maternité de substitution, c’est parce qu’il s’agit de femmes et de leur capacité à engendrer. Et c’est l’un des clichés patriarcaux les plus obtus, et de ce fait les plus enracinés, que de considérer que les femmes font des enfants pour les hommes responsables de leur grossesse, surtout quand ces femmes sont dominées, d’un point de vue social et économique, par l’homme. Car il n’y a pas de mère porteuse dans la Bible, ainsi que Marie Balmary l’explique[3] de manière limpide :

« jamais ces femmes-servantes n’ont été considérées comme des mères porteuses : elles restent chaque fois nommées comme mères des enfants qu’elles ont portés et dont elles ont accouché ; elles ne sont jamais séparées de leurs enfants par leurs maîtres ; dans la généalogie des enfants, jamais le lien de filiation avec leur mère-servante n’est supprimé. Ces situations qui pourraient mener à l’effacement de la filiation maternelle ne vont précisément pas y conduire. Le couple de maîtres (le couple commanditaire, dirait-on aujourd’hui) ne prend pas les enfants à leurs mères servantes alors même que le maître en est le père. »

Il est important de comprendre les nombreux aspects que cette pratique comporte, et qui ne peuvent être ni cachés, ni justifiés par des photos d’enfants.

La quasi-totalité des contributions[4] rassemblées ici ont été présentées lors du colloque «Pour le respect des femmes et des enfants, abolir la maternité de substitution»[5], qui a eu lieu le 22 septembre 2018, au palais du Luxembourg. Le colloque a été accueilli par la sénatrice communiste Laurence Cohen, qui explique dans son mot d’accueil son soutien aux associations féministes abolitionnistes. De même, les quatre associations expriment les raisons pour lesquelles elles militent pour l’abolition de cette pratique. Anne-Yvonne Le Dain, ancienne députée socialiste, a animé l’une des deux table-ronde du colloque.A cette occasion, elle a rappelé son engagement abolitionniste.

C’est au nom du désir d’enfant que l’on promeut le développement de la maternité de substitution. Les droits de l’enfant, et plus particulièrement l’intérêt supérieur de l’enfant, sont délibérément ignorés. L’enfant est cependant l’objet des conventions de maternité de substitution, et c’est au nom de l’enfant en tant que sujet de droit que la réglementation de la pratique est réclamée. Muriel Fabre-Magnan[6] éclaire, dans son article, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, instaurée par la Convention internationale des droits de l’enfant, et montre comment cet intérêt doit être entendu, par rapport à la « gestation pour autrui ».Un autre argument mis en avant pour demander à réglementer, serait la diversité des modèles familiaux et de parentalité. Au nom de cette diversité, il reviendrait aux anthropologues de dire si la pratique est ou non acceptable. Martine Segalen[7] interroge, dans son article, ce type de raisonnement et montre son manque de pertinence.Myriam Szejer et Jean-Pierre Winter[8], respectivement pédopsychiatre et psychanalyste, donnent à voir, à partir de leur expérience et de leur pratique, les risques psychologiques de ces maternités, et leurs effets sur la santé des enfants et de leurs mères.

Ce sont ces risques, ainsi que les violences inhérentes à la pratique -violences sociales, économiques, psychologiques-, qui ont été soulignés dans l’Avis 126 du Comité Consultatif National d’Éthique. Rapporteure pour cet Avis, qui a été adopté à l’unanimité en 2017, Frédérique Kutten en reprend ici les principaux arguments et recommandations.La maternité de substitution est interdite non seulement en France, mais également au Québec –alors qu’elle est légale au Canada. Diane Guilbault décrit, dans son article, l’état de la pratique dans son pays, et l’action des féministes de son association, Pour les droits des femmes du Québec.

Aux États-Unis, en revanche, la maternité de substitution est légale dans la plupart des États. Et la Californie est parmi les plus en vue, en tant que destination du tourisme reproductif. Jennifer Lahl accompagne depuis de nombreuses années des mères porteuses américaines traumatisées par leurs expériences de «gestation pour autrui». Dans son article, elle analyse des contrats de maternité de substitution et met en avant leur cynisme et leurs pièges.

Lorsque l’on évoque l’instrumentalisation et la marchandisation des femmes dans cette pratique, son rapport avec la prostitution apparaît immédiatement. Les connaissances de celles et ceux qui ont travaillé sur cette réalité sont utiles pour comprendre les mécanismes de la «gestation pour autrui». C’est ce que met en avant Claire Quidet dans son intervention.

Présentée comme une promesse et une solution infaillible, pour ceux qui souhaitent avoir des enfants de la sorte, la référence à la maternité de substitution laisse souvent dans l’ombre les aspects les plus concrets et les plus problématiques, concernant les taux de réussite de la procréation médicalement assistée, ainsi que les problèmes médicaux pour la santé des femmes concernées (donneuses d’ovocytes comme mère dite «porteuse»). René Frydman reprend, dans son intervention, tous ces aspects.

L’article de Marie-Josèphe Devillers apporte une vision globale de l’état présent du marché de la maternité de substitution, présentée sous la forme d’une géographie de la pratique, avec des enjeux de croissance et de profit qui font à la fois sa plasticité et son agressivité dans les démarches de réglementation.Pour clore ce volume, Ana-Luana Stoicea-Deram fait le constat que la maternité de substitution marque la fin du principe d’égalité. Les rapports sociaux de sexe, inégaux et inégalitaires, et notamment les rapports de domination économique des femmes, sont essentiels pour comprendre les raisons qui amènent certaines femmes à entrer dans des conventions de maternité de substitution. Ces conventions actent l’effacement du principe d’égalité en cela qu’elles rendent son existence même inopérante:entre les humains nés par contrat, l’inégalité sera constitutive de leur identité même

Ana-Luana STOICEA-DERAM

Marie-Josèphe DEVILLERS

Catherine MORIN LE SECH

[1] Sylviane Agacinski, 2013 [2009], Corps en miettes, Flammarion, p. 17. C’est l’autrice qui souligne.

[2] La chercheuse australienne Renate Klein rappelle, dans Surrogacy. A Human Rights Violation, (Spinifex, 2017) que la résistance radicale à la GPA manifestée aujourd’hui par des féministes et des militants pour les droits humains, n’est pas un phénomène nouveau, et que tous les aspects évoqués, l’ont été déjà dès le début des années 1980, notamment par des féministes anglo-saxonnes parmi lesquelles Andrea Dworkin et Gena Corea.

[3] « Utilisation erronée de la Bible en ce qui concerne la GPA », le 19 juin 2016, collectif-corp.com

[4] A l’exception du dernier texteet du texte de Muriel Fabre Magnan.

[5] Organisé par le Collectif pour le Respect de la Personne (CoRP), CQFDLesbiennes Féministes, la Coordination des Associationspour le Droit à l’Avortement et àla Contraception (CADAC) etL’Assemblée des Femmes.

[6] Autrice de «Gestation pour autrui. Fiction et réalités», Fayard, 2013

[7] Autrice de «A qui appartiennent les enfants?», Tallandier, 2010

[8] Co-auteurs, avec Marie-Claire Busnel et René Frydman de «Abandon sur ordonnance. Manifestecontre la légalisation des mères porteuses», Bayard, 2010.

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