Une approche médicale – René Frydman

La maternité de substitution: Une approche médicale

René Frydman[1]

Tout d’abord merci de cette invitation car j’ai appris beaucoup de choses tout au long des interventions qui m’ont précédées, sur un thème (la GPA) qui est, hélas, un peu trop récurrent à mon goût, mais qu’il faut quand même suivre et contre lequel il faut lutter pour éviter l’extension de sa pratique.

J’aimerais commencer par quelques remarques pour situer la question dans un contexte plus large.

Tout d’abord, je constate la GPA prend le dessus sur la PMA et c’est-à-dire que l’on discute surtout de GPA très peu de PMA. Dans la société et particulièrement dans le monde journalistique, c’est le thème de la GPA et non celui de la PMA qui suscite des interviews et fait le Buzz. Or en matière de PMA, Il y a des choses à dire. Nous sommes confrontés à de mauvais résultats quelles que soient les modalités sociétales de sa mise en œuvre, pour des femmes seules, ou en couple et à fortiori dans le cas de la GPA, on est en face d’une technique qui ne marche pas très bien.

C’est un fait et on ne le mentionne jamais en parlant de GPA. Là, le monde serait très beau, et ça marcherait tout le temps, il n’y aurait, par exemple, aucun incident. L’enjeu, aujourd’hui, et de lutter contre la GPA mais aussi promouvoir correctement le développement de la PMA. Il est important de déconnecter les deux sujets.

En matière de PMA, nous constatons un taux d’échec tout à fait important des techniques de fécondation in vitro. Aujourd’hui, plus 60% des embryons obtenus par fécondation in vitro ne vont jamais donner lieu à des bébés. On a donc besoin d’une recherche, d’une compréhension pour essayer de proposer aux couples qui nous le demandent une PMA avec des résultats plus efficaces. Par ailleurs il devrait être possible d’avoir recours à la conservations de ses propres ovocytes, cette possibilité est à mes yeux un acte de liberté de la femme candidate à la maternité qui peut être discuté dans ses modalités mais pas sur son principe.

Parlons aussi du don d’ovocytes, qui se passe très mal, là aussi dans un système de marchandisation au niveau européen trop important et que l’on devrait pouvoir aussi rectifier par des mesures à appliquer dans la future loi de bioéthique.

Nous réalisons à peu près 80 000 tentatives de PMA en France par an, et, si je me réfère à l’Angleterre où nous disposons de données, 150 à 200 demandes de GPA. Notez donc que nous ne sommes pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. 50 % des couples qui viennent nous voir en PMA aujourd’hui n’auront pas l’enfant qu’ils souhaitent. Il est important de leur faire comprendre que l’enfant n’est pas un droit et que nous sommes confrontés à un certain nombre de difficultés.

 

Alors j’entends souvent dire que l’extension possible de la PMA aux femmes seules est la porte ouverte à la GPA au prétexte de l’égalité hommes et femmes. Il existe entre les êtres humains des différences physiologiques visibles et d’autres qui sont invisibles. Je veux dire par là que les femmes entrent en ménopause vers la cinquantaine, mais pas les hommes. Faut-il au nom de l’égalité créer une ménopause artificielle chez l’homme ? Les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Faut-il qu’elles cessent de vivre à un certain âge pour appliquer le principe d’égalité ? Et revendiquer la GPA au nom de l’égalité hommes femmes, n’est pas un bon argument. Ce qui compte c’est d’être clair sur son objectif mais aussi sur les moyens pour y parvenir.

Le désir d’enfant est compréhensible et il peut se manifester chez toute personne, quelque soit son sexe et rien n’empêche un homme et une femme de devenir parents. Les hommes peuvent adopter, même seuls, les femmes peuvent toujours concevoir seules ou en couple Il ne s’agit pas de s’opposer à la liberté d’être parents. Il ne s’agit pas non plus de s’opposer à la liberté des femmes qui souhaiteraient être enceintes. Quant aux mères porteuses, on n’en a jamais vu défiler avec des bandeaux revendiquant « laissez nous porter pour autrui », ce n’est pas une demande qui est formulée comme ça. Donc une femme qui veut être enceinte peut être enceinte, un homme qui veut être parent, peut être parent.

Quand on regarde les quelques résultats publiés par une étude[2] anglaise d’Oxford, réalisée par des pro-GPA, qui selon moi n’est pas suffisamment citée, ce qui frappe c’est le côté non scientifique de ce genre d’études qui repose sur un échantillon extrêmement faible de cas étudiés, sélectionnés sur la seule base du volontariat. C’est comme si vous procédiez à une enquête sur la fréquence des infarctus et, au lieu de travailler sur un échantillon de 1000 personnes à suivre sur une longue durée, vous vous contentiez de recueillir des données sur la cinquantaine qui accepte de répondre au téléphone. Évidemment, les résultats seront totalement biaisés. Malgré son échantillon non significatif qui nous empêche d’en tirer des conclusions, je me suis concentré sur cette étude d’Oxford qui pour une fois, parle de mères porteuses. Bien que théoriquement non rémunérées, elles perçoivent des sommes qui peuvent aller du simple au double, de 10 000 à 20 000 Euros, sans évoquer toutes les autres rémunérations. 25% d’entre elles disent que c’est avec leurs propres ovocytes que la GPA a été réalisée. Dans ce cas, ces femmes sont non seulement des mères porteuses, mais aussi des « confectionneuses ». On s’aperçoit aussi que le taux de réalisation des GPA au Royaume Uni est à peu près stable, en revanche, le recours à la GPA transfrontière va en augmentant. Ce qui veut bien dire que ce n’est pas parce que l’on va agir localement que l’on va résoudre le problème, ça n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, d’où la nécessité de traiter la question de la GPA à l’échelle mondiale.

En tant qu’accoucheur, la question fondamentale que je me pose toujours est « Qui est la mère ?». Pour avoir assisté et aidé à des milliers d’accouchements, il me semble évident que la mère est celle qui porte et qui accouche, d’ailleurs deux mères porteuses que j’ai accouchées l’ont affirmé, pour elles, c’était évident.

Ensuite, l’évolution de la vie et les choix peuvent induire des variations de comportement, des recompositions, mais je pense qu’on ne peut pas avoir un double discours.

Le double discours pour nous, médecins, serait le suivant : prenons le cas d’un couple qui vient pour une PMA, la femme a 42 ans, sa réserve ovarienne est effondrée, il faudra recourir à un don d’ovocytes. Nous allons tenir un discours le plus objectif possible en insistant sur le rôle de l’épigénétique. L’embryon provient de ce monsieur, qui est avec elle, mais aussi d’une autre dame qui apporte ses gamètes, mais l’épigénétique, avec tout ce qu’elle va vivre durant la grossesse va modifier l’expression des gènes de l’embryon qu’elle porte, donc elle participe à la conception de cet enfant à naître. Elle participe. Comme elle accouche, cet enfant ne viendrait pas au monde si elle n’était pas là. Elle est donc présente volontairement, dans le discours mais aussi physiquement.

Or dans le cas d’une mère porteuse, on tient un discours totalement inverse en prétendant : « là, ce n’est pas votre enfant puisque génétiquement il n’est pas de vous », sauf dans les situations citées plus haut où 25% des mères porteuses ont utilisé leurs propres ovocytes. Mais prenons le cas où les ovocytes viennent d’une autre femme. La mère porteuse n’a donc pas de lien génétique avec l’enfant qu’elle porte. On lui dit aussi « comme vous n’avez pas de lien génétique avec l’enfant, vous pourrez vous en détacher facilement ». Or, ne vient-on pas de prétendre exactement le contraire dans le cas précédent de PMA avec don d’ovocyte en insistant sur le fait que : « bien que vous n’ayez pas de lien génétique avec l’enfant, c’est vous qui allez vous sentir mère puisque vous le portez, vous l’accouchez et, bien sûr, vous allez l’élever ». Je trouve qu’il y a dans ce double discours, une contradiction très importante qu’il faut résoudre en s’appuyant sur tout ce qui a été dit dans ce colloque, qui appelle peut-être une évolution, une précision en tous les cas de la législation en définissant que la femme qui accouche est la mère de l’enfant, quitte, ensuite, à ce qu’il y ait des modifications des structures familiales, parentales qui s’occupent de l’enfant.

En tant qu’obstétricien, j’attire votre attention sur les complications de la grossesse et de la naissance. Effectivement on ne voit, dans aucun rapport parlant de GPA, les taux de fausses couches, les taux de grossesses extra-utérines, les accouchements prématurés, les taux de césariennes et leurs complications, les 20% d’épisiotomie, les 15% de celles qui font des dépressions du post-partum…. alors là, hop ça passe comme ça, par l’intervention de la fée clochette ! Il n’y aurait aucun problème, pour ces femmes qui se destinent à devenir mères porteuses, qui sont souvent des primipares comme en Inde. Cela n’est pas possible, ce n’est pas admissible de ne pas faire état du risque physique même s’il est modéré mais existe réellement et bien sûr du risque psychologique de la séparation, de ce que ça veut dire dans ce système de contrat régissant la GPA.

La GPA est interdite en France, mais ce qui n’est pas tout à fait interdit, ce sont ces réunions organisées par des officines qui ont pignon sur rue pour promouvoir les contrats de mères porteuses à l’étranger. Je pense qu’il faudrait que nous montions une action à ce sujet.

Nous sommes là aussi face à une contradiction, juridique cette fois, d’accepter ou de laisser se développer un certain nombre d’actions de propagande, rémunératrices, bien entendu, pour ceux qui les organisent, sur une thématique à laquelle nous nous opposons. L’ouverture à cette pratique serait une ouverture à la marchandisation plus générale du corps, car je ne vois plus d’argument à opposer ensuite à la vente de reins, d’œil ou de tout autre organe puisque le principe de non-commercialisation du corps humain saute. Si on peut disposer de son corps, très bien, je peux donc décider de le vendre. Cette « liberté » est d’ailleurs revendiquée par certains mouvements et par certains qui se disent « altruistes ». Le risque de marchandisation, ou plutôt cette dérive est plus grave que toutes les autres dérives.

Une autre de mes réflexions concerne la sur-valorisation de la génétique. Cette sur-valorisation de la génétique aboutit à demander, contre vents et marées, un enfant DE SOI. Certes on peut comprendre et c’est tout à fait licite, ce désir d’enfant vers lequel habituellement tout le monde est porté. Mais ce désir d’enfant « de soi » est quelque chose qui implique des limites dans sa réalisation. Sinon la porte vers autre chose qui serait le clonage pourrait aussi s’ouvrir, dans la perspective de s’auto-reproduire. Cette volonté de penser que quelque chose « De SOI » est meilleure et supérieure à ce qui vient de l’autre, peut nous engouffrer vers un certain type de société qu’on peut imaginer ! C’est pourquoi je pense qu’avec ce développement de la génétique et cette idée du droit à l’enfant et d’un enfant « de soi », il y a véritablement un questionnement à engager sur le plan philosophique et une nécessité à y mettre des freins car, sinon, la pente est toute tracée.

 

Faire porter un embryon par une femme n’est pas une révolution scientifique. C’est ce que nous faisons depuis 40 ans et ce que je vois depuis 40 ans, depuis les débuts de la PMA c’est quand même une évolution vers la commercialisation outrancière, surtout ces dix dernières années. Dans différents congrès internationaux auxquels je participe se rencontrent des officines qui ont pignons sur rue dans les pays où la commercialisation est autorisée et elle est quand même autorisée dans beaucoup de pays.

 

Comme nous sommes à la veille de d’une nouvelle discussion des lois de bioéthique en France, il y a nécessité à mon avis, de donner de l’information sur la baisse de la fertilité avec l’âge, de développer la recherche en trouvant des fonds et de lutter contre cette idée du droit à l’enfant.

Au début, j’ai trouvé que la décision de la France d’offrir quatre tentatives de PMA remboursées par la sécurité sociale était quelque chose d’extrêmement positif, mais, aujourd’hui je me pose des questions. Je me pose des questions quand je vois des couples qui s’obstinent dans leur demande malgré le faible taux de réussite annoncé, même de l’ordre d’un demi pour cent maximum, en disant « Tout va très bien docteur, mais comme j’y ai droit, je suis remboursé/e par la sécurité sociale, alors on y va ». Et cette notion là me semble maintenant devenir délétère avec un report de l’âge pour lequel on fait cette demande de PMA.

Je serais plutôt partisan, d’une façon générale, à ce qu’il y ait, au bout d’une deuxième tentative, une obligation de participation financière, sauf cas particulier à examiner bien entendu, afin d’impliquer davantage les couples dans leur mode de reproduction et ne pas laisser penser qu’il s’agit d’une question gérée par l’État sans qu’il y ait à s’investir personnellement. Je conçois que cette thématique, qui serait intéressante à étudier aussi pour les femmes seules, soit discutée et soit discutable, mais je vous donne mon opinion.

 

La loi bioéthique en France va être revue pour la quatrième fois, c’est quelque chose de très particulier. J’ai eu la chance d’assister aux travaux sur la première loi en 1994. Lors de la discussion de la dernière loi, a été traitée la question de la congélation des ovules. La méthode de cryo-préservation des ovules a été inscrite dans la loi. C’est une aberration, parce que, dans le futur, la conservation se fera peut-être grâce à la lyophilisation des ovules. Pour l’autoriser, il faudra rediscuter la loi, car ça n’est pas le principe de conservation des ovules qui a été spécifié dans le texte, mais la méthode pour y parvenir. Ce qui compte c’est de donner des principes. Le principe est que la conservation des ovocytes est acceptée, quelle que soit la méthode utilisée, une méthode qui est bien sûr sécure.

 

J’ai pris cet exemple pour dire qu’il faut revenir aux principes généraux et j’en vois vraiment deux. Le premier est de ne pas utiliser une autre personne à ses propres fins si cela a un risque d’être délétère pour la personne parce que fragile, aliénable, vulnérable ou bien pour l’enfant « designé », modélisé, comme l’adulte le souhaiterait ou « auto-désigné » s’il s’agit d’un clonage. Le second est de tenir bon sur la non-commercialisation du corps et la non utilisation de l’autre à son profit.

[1]  Médecin spécialiste de la reproduction et du développement de l’assistance médicale à la procréation en France.

[2] Jadva V., Imrie S., 2013, « Children of surrogate mothers : psychological well-being, family relationships and experiences of surrogacy », Human Reproduction, vol. 29, Issue 1, Janvier 2014, pp. 90-96.

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