La géographie de la maternité de substitution – Marie Josèphe Devillers

La géographie de la maternité de substitution

Marie Josèphe Devillers

La situation de la maternité de substitution ne peut se percevoir dans toute sa réalité qu’au niveau planétaire, tant il s’agit d’un marché mondialisé. Mais les cartographies, élaborées à partir du corpus juridique propre à chaque pays, deviennent très rapidement obsolètes. Les tendances y sont contradictoires. Tandis que l’abolitionnisme est en proie à des attaques régulières en Europe, en Asie l’ouverture totale au tourisme procréatif est progressivement abandonnée au profit de réglementations de plus en plus restrictives. Le marché, hélas, n’a pas dit son dernier mot et ouvre de nouvelles destinations commerciales.

Les pays du cœur du continent européen interdisent majoritairement la maternité de substitution

En Europe, la pratique de la Maternité de Substitution est interdite dans une vingtaine de pays. Soulignons le cas exceptionnel de la Suisse où son interdiction est stipulée par la Constitution fédérale.

Mais là où le recours à la maternité de substitution est interdit, la pression est forte pour évoluer vers sa réglementation

Le Portugal, traditionnellement abolitionniste, l’a réglementée en 2016[1] sous une forme très stricte puisque la mère porteuse ne peut recevoir aucune rétribution ou compensation financière pour sa grossesse, à l’exception de frais médicaux et de transport. La pratique y est réservée aux seules femmes qui souffrent d’une absence ou d’un dysfonctionnement de l’utérus empêchant la grossesse de façon absolue et définitive. Mais à ce jour, la loi n’est pas encore entrée en vigueur, sujette à des allers et retours entre le Parlement et la Cour constitutionnelle.

Les pays nordiques, dans leur ensemble, interdisent la pratique, mais l’Islande s’est détachée du lot en s’engageant dans la voie de la réglementation en 2015, sans toutefois aboutir à ce jour.

La Serbie travaille, en 2019, à une nouvelle version de son code civil où la maternité de substitution serait autorisée.

La pression sur les États pour mettre fin à l’interdiction de la maternité de substitution est forte. Les media présentent la pratique en l’enjolivant sous les auspices d’une avancée médicale et sociale majeure, sans jamais en exposer la réalité et la vraie nature : un système d’exploitation et d’instrumentalisation du corps des femmes. Des sondages sont lancés pour travailler l’opinion publique en faveur de sa réglementation [2]. La maternité de substitution y est avant tout présentée comme une solution médicale à l’infertilité féminine. Sans surprise, les résultats de ces sondages donnent une majorité d’opinion en faveur du recours à la maternité de substitution. Qui oserait, sans culpabiliser, s’opposer à une pratique présentée comme médicale ?

 

Là où la maternité de substitution est réglementée, des tentatives se développent pour lever les mesures destinées à prévenir tout trafic ou à protéger les mères porteuses

Au Royaume-Uni, la loi de 1985, loi la plus ancienne réglementant la maternité de substitution, fait l’objet d’une consultation nationale en vue de sa modification (2019) pour deux raisons : le manque de candidates mères porteuses face à la demande croissante et un délai de 6 semaines après la naissance de l’enfant pendant lequel la mère porteuse et son partenaire peuvent accepter ou refuser de transférer l’enfant aux parents d’intention. Les modifications porteraient sur trois points : la suppression de ce délai de 6 mois, une rétribution plus large de la mère porteuse, actuellement limitée à un dédommagement, et enfin le recours à la publicité aujourd’hui interdite. Il s’agit clairement de lever toutes les restrictions prévues par la loi et ouvrir la voie aux pratiques commerciales[3].

En Grèce, la loi organisant le recours à la maternité de substitution date de 2002. Pour éviter tout trafic, elle prévoyait que parents d’intention et mère porteuse devaient être résidents permanents en Grèce. Cette restriction a été levée en 2014[4] faisant de la Grèce une destination recherchée pour son faible coût, le mode de filiation retenu qui en exclut d’emblée la mère porteuse dès la conception et le bon niveau des prestations médicales[5]. Comme le précisait la plaquette commerciale d’un intermédiaire

« La particularité de la Grèce est qu’elle est le seul pays d’Europe et l’un des rares pays au monde où la mère porteuse n’a aucun droit sur l’enfant. Les parents d’intention deviennent les parents légaux dès la conception de l’enfant et il n’est fait nulle mention de la mère porteuse que ce soit à l’hôpital ou sur le certificat de naissance.[…] Un avantage supplémentaire pour les Européens est que, en raison du traité de Schengen, ils peuvent voyager librement chez eux dès la naissance du bébé et traiter des questions de citoyenneté devant les tribunaux locaux, au lieu de postuler auprès de leur ambassade en Grèce. » [6]

Aux États-Unis[77], la maternité de substitution est presque partout accessible, deux États viennent récemment de s’ajouter à la liste des États permissifs. Il s’agit de l’État de Washington qui a légalisé, en 2018, la maternité de substitution commerciale jusque-là interdite. Dans l’État de New-York, le même scénario est à l’œuvre, en juin 2019, de tentative de légalisation de la GPA commerciale.

Interdite ou réglementée, tous ces pays sont confrontés à la maternité transfrontière, et voient leurs ressortissants contourner les législations nationales restrictives en se rendant dans les pays ouverts à la GPA commerciale.

 

Nouveau développement, des pays ouverts à la GPA, en limitent l’accès, souvent à la suite de scandales retentissants.

Ce fut le cas de l’Inde qui, après avoir servi de destination commerciale « low cost » pour le monde entier, a progressivement verrouillé l’accès à la maternité de substitution sur son territoire pour la restreindre, en 2015, aux seuls nationaux et uniquement dans des cas d’infertilité patents. Dès 2012, elle en interdisait déjà l’accès aux célibataires et aux gays. En réaction certaines cliniques indiennes se sont déplacées au Népal qui en acceptait la pratique à condition que les mères porteuses ne soient pas népalaises. Le gouvernement népalais y avait en effet vu une source de devises intéressante[8]. Ces cliniques y faisaient venir des femmes déjà inséminées en Inde ou des femmes vietnamiennes. Ce trafic s’est développé jusqu’au tremblement de terre de 2015 qui a dévasté le pays. L’État d’Israël a aussitôt affrété des avions pour aller y rechercher ses propres citoyens et leurs bébés, abandonnant les mères porteuses à leur sort dans un pays dévasté[9]. À la suite de ce scandale retentissant, le gouvernement népalais à interdit toute pratique commerciale de la GPA.

Cette même année 2015, la Thaïlande interdisait à son tour la maternité de substitution, suite, là aussi, à deux scandales très médiatisés : un couple de parents d’intention australien avait abandonné un bébé, « baby Gammy » , à sa mère porteuse parce qu’atteint de Trisomie 21 tandis qu’il emmenait sa sœur jumelle en bonne santé ; en ayant recours à différentes mères porteuses, un japonais avait réussi à engendrer une douzaine de bébés.

Comme leur marché se tarissait en Inde, Népal et Thaïlande, les agences et cliniques se sont tournées vers le Cambodge où aucune loi n’existait. Mais, dès 2016, le Cambodge, à son tour, en a interdit la pratique à titre commerciale, pratique qui s’est toutefois poursuivie dans la clandestinité sous la forte demande chinoise. En 2018, le gouvernement cambodgien s’est alors engagé dans la répression en arrêtant une trentaine de mère porteuses cambodgiennes ! Poursuivies pour trafic d’enfants, avec des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion, elles ont finalement été relâchées, à la condition d’élever elles-mêmes l’enfant qu’elles avaient mis au monde[10]. En revanche, les parents d’intention n’ont pas été inquiétés !

 

Le marché procréatif n’est pas à court d’inventions !

1. Des pays se font importateurs / exportateurs de mères porteuses

Dans les pays d’Asie, des trafics de mères porteuses ont été enregistrés entre l’Inde, le Népal, le Vietnam, la Thaïlande ou encore le Cambodge [11].

Au Mexique certaines agences proposent des mères porteuses avec visa américain qui iront accoucher aux USA.

En Birmanie, le gouverneur de Rangoon a dénoncé, fin 2018, la vente de femmes birmane en Chine comme mères porteuses et comme prostituées[12].

De façon caricaturale, les pays pauvres sont « exportateurs » et les pays riches « importateurs » de candidates à la gestation pour autrui. De plus, il est clair que la traite a trouvé, avec ce nouveau marché, des débouchés renouvelés à côté de celui de la prostitution. Le lien entre ces deux trafics est évident.

2. De nouvelles zones s’ouvrent à la GPA, tel est le cas du Kenya[13]

Des opérateurs indiens y voient une zone de redéploiement pour compenser leur baisse d’activité en Inde en raison de la réglementation devenue plus contraignante à partir de 2015. En vantant cette nouvelle destination, leur argumentaire commercial est clair : le Kenya est présenté comme une alternative viable pour les parents gays et hétérosexuels qui ne peuvent plus accéder à la GPA en Inde, Népal ou Cambodge en raison de la réglementation introduite dans ces pays, ou aux USA et d’autres pays en raison des coûts élevés pratiqués.

Un opérateur géorgien (en Géorgie, la GPA est autorisée, comme dans la plupart des républiques de l’ex-URSS) est venu également y implanter une nouvelle filiale. Il compte déjà 9 filiales dans le monde. Il cherche à diversifier son offre commerciale pour, avance-t-il : accueillir tous type de parents d’intention : mariés, célibataires, gays, lesbiennes, séropositifs et proposer des services rares tels que la sélection du sexe de l’enfant, le transfert d’embryons congelés entre différents pays, le lavage de sperme etc.

Mais un autre opérateur revient sur sa position après avoir fait la promotion du Kenya comme nouvelle destination procréative « low cost » ; il évoque la médiocrité des installations médicales et le taux de mortalité élevé dans le pays (37 pour 1000).

Cette alerte donnée nous rappelle judicieusement que ce qu’on peut bien appeler « le tourisme procréatif » absorbe les bonnes ressources médicales d’un pays au détriment des populations.

 

Mais les résistances s’organisent

Ce panorama peut sembler décourageant à première vue et donner l’impression que le développement du recours à la maternité de substitution dans le monde est inéluctable. C’est oublier que des forces féministes et en faveur des droits humains s’élèvent de plus en plus nombreuses pour dénoncer cette pratique et appeler à son abolition universelle.

Devant ce qu’il faut bien appeler un marché de l’humain, basé sur l’industrie de la reproduction humaine médicalement assistée[14], se dressent cependant des voix pour rappeler les principes des droits humains des femmes et des enfants. Des organisations féministes notamment prennent position. En Serbie, le centre des femmes autonomes WAVE, à New-York avec des féministes reconnues, comme Gloria Steinem, Eve Ensler ou Ruchira Gupta – pour n’en citer que quelques-unes des signatrices d’une lettre ouverte au gouverneur de l’État de New York pour qu’il ne légalise pas la GPA commerciale. Le mouvement Nordic Model Now !, créé pour défendre l’abolition de la prostitution, prend aussi activement position pour la non-marchandisation des femmes à travers la maternité de prostitution. La CIAMS, Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution, créée en 2018, rassemble aujourd’hui une trentaine d’associations ou de mouvements féministes de huit pays

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[1] Vera Lucia Raposo, 2017, « The new portuguese law on surrogacy – The story of how a promising law does not really regulate surrogacy arrangements », JBRA Assist. Reprod., 2017 Jul-Sept., 21(3), pp. 230-239.

[2] Pour tenter de faire changer le modèle scandinave, qui interdit la marchandisation du corps des femmes et, donc, la GPA, l’association Families Through Surrogacy le désigne comme « conservative » et s’efforce de démontrer que l’opinion publique serait pour la réglementation. Sam Everingham (président de cette association) « Scandinavian attitudes to surrogacy – public policy should catch up », BioNews 916, sept. 2017.

[3] Jen Willows, 10 juin 2019, « Consultation on UK surrogacy law begins », BioNews 1001.

[4] Maria C. Vastaroucha, 2019, « Rurrogacy Proceedings in Greece after the implementation of law 4272/2014 », Greek Law Digest.

[5] Officiellement, la GPA dite « traditionnelle » (dans laquelle la mère porteuse porte un enfant issu de ses ovocytes) et la GPA commerciale, sont interdites. En réalité, toutes les formes de la pratique sont admises, comme le reconnaît une professeure de droit constitutionnel, dans un documentaire de Laïla Agorram « Grèce, le prix d’un enfant », le 5 mars 2016, Les dessous de la mondialisation. Les faces cachées de la fabrication des produits que nous consommons, peut être visionné sur publicsenat.fr

[6] Is Surrogacy in Greece legal for international couples? 27/09/2018 /https://www.sensiblesurrogacy.com/is-surrogacy-in-greece-possible-for-foreign-couples/

[7] Jennifer Merchant 2017, « Le cadre juridique et politique gouvernant la gestation pour autrui aux Etats-Unis », Ethnologie française, « Le corps reproductif », 2017-3, Tome XLVII, pp. 421-424

[8] Ramesh Parajuli, le 18 août 2015, « Surrogacy in Nepal : Threat to reproductive right », The Himalayan Times.

[9] D Kamin, le 28 avril 2015, « Israel Evacuates Surrogate Babies from Nepal but Leaves the ebraMothers Behind », Time.

[10] « Cambodia releases surrogate mothers who agree to keep children », BBC News bbc.com, le 6 décembre 2018.

[11] Audrey Wilson, le 4 juin 2017, « How Asia’s surrogate mothers became a cross-border business », sur le site scmp.com.

[12] Bride And Birth Surrogate Ads in Northern Myanmar Spark Local Anger, Government Investigation 12/12/2018 https://www.rfa.org/english/news/myanmar/bride-and-birth-surrogate-ads-in-northern-myanmar-12122018160211.html

[13] Michael Cook, le 9 juin 2019, « Surrogacy agencies move to Kenya », BioEdge.

[14] Un rapport réalisé par des chercheurs de l’université américaine de Columbia parle bien d’industrie : « the international surrogacy industry », Alex Finkielstein & al., mai 2016, « Surrogacy Law and Policy in the US : A National Conversation Informed by Global Lawmaking », Report of the Columbia Law School Sexuality & Gender Law Clinic, consultable sur web.law.columbia.edu.

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