La géographie de la maternité de substitution – Marie Josèphe Devillers

(Mise à jour en mars 2023)

La situation de la maternité de substitution ne peut se percevoir dans toute sa réalité qu’au niveau planétaire, tant il s’agit d’un marché mondialisé. Mais les cartographies, élaborées à partir du corpus juridique propre à chaque pays, deviennent très rapidement obsolètes. Les tendances sont contradictoires. Tandis que l’abolitionnisme est en proie à des attaques régulières en Europe, en Asie l’ouverture totale au tourisme procréatif est progressivement abandonnée au profit de réglementations de plus en plus restrictives. Le marché, hélas, n’a pas dit son dernier mot et ouvre chaque jour de nouvelles destinations commerciales ou incite les États à légaliser cette pratique sur leur territoire

Interdiction majoritaire en Europe

La pratique de la maternité de substitution est interdite dans une vingtaine de pays en Europe. En réaction aux horreurs du nazisme, la question de la dignité humaine y est devenue primordiale, ce qui explique peut-être que cette tendance reste majoritaire. Soulignons le cas particulier de la Suisse où cette interdiction est stipulée par la Constitution fédérale.

 

Mais cette interdiction est fragile

Le Portugal, traditionnellement abolitionniste, l’a réglementée en 2016[1] sous une forme très stricte. La pratique y est réservée aux seules femmes qui souffrent d’une absence ou d’un dysfonctionnement de l’utérus empêchant la grossesse de façon absolue et définitive. Mais à ce jour, la loi n’est pas encore entrée en vigueur, sujette à des allers et retours entre le Parlement et la Cour constitutionnelle.

Les pays nordiques, dans leur ensemble, interdisent la pratique, mais l’Islande s’est détachée du lot en s’engageant dans la voie de la réglementation en 2015, sans toutefois aboutir à ce jour.

La Serbie, en 2019, a modifié son code civil pour y autoriser la maternité de substitution en éliminant fièrement les termes de mères et de maternité du texte législatif. Les mères porteuses y sont qualifiées de « donneuses de naissance »[2].

En 2022 l’Irlande, a engagé un processus législatif pour autoriser la GPA transfrontière et organiser la GPA « domestique ». Dans son introduction, la commission chargée de préparer ce travail met en avant sa fierté « de prendre un jour la tête de ce problème mondial très important en s’attaquant à ce domaine complexe, et en lui fournissant un cadre opportun et solide »[3].

 

La pression sur les États pour mettre fin à l’interdiction de la maternité de substitution est forte. Les médias présentent la pratique en l’enjolivant sous l’aspect d’une avancée médicale et sociale majeure, sans jamais en exposer la réalité et la vraie nature : un système d’exploitation et d’instrumentalisation du corps des femmes. Des sondages sont lancés pour travailler l’opinion publique en faveur de sa réglementation[4]. La maternité de substitution y est abusivement décrite comme une solution médicale à l’infertilité, or elle ne soigne personne, ni la mère porteuse qui est en bonne santé, ni l’infertilité des parents commanditaires. Sans surprise, les résultats de ces sondages donnent une majorité d’opinions en faveur du recours à la maternité de substitution. Qui oserait en effet, sans culpabiliser, s’opposer à une pratique présentée comme médicale ?

 

Les modèles réglementaristes font école…

L’Uruguay, la Colombie, le Mexique, l’Argentine, l’Équateur, Cuba[5], la Finlande et la Chine cherchent à organiser la GPA sur leur territoire.  Comment expliquer cette tendance des années 2020 qui, comme un tsunami, semble submerger des États jusque-là attentistes ou peu concernés ? À cela plusieurs explications possibles. Les lobbys de ce marché mondialisé travaillent incessamment les législateurs nationaux, exerçant une forte pression. Du côté de la demande, de nouvelles franges de clients potentiels réclament l’accès à la GPA dans leur pays, séduits par la propagande médiatique. Enfin, avec le tourisme procréatif, les États ont dû se confronter à la question de la GPA par le biais de la demande d’inscription à l’état civil de tous ces bébés ramenés par les clients, faussement appelés « parents d’intention »[6], les législateurs sont mis à rude épreuve pour adapter, parfois au prix de distorsions, leur législation à cette demande nouvelle. De là à aller plus loin en envisageant d’en réglementer l’accès, c’est-à-dire à l’autoriser sur le territoire national, il n’y a qu’un pas.

 

 et évoluent dans le temps vers des modèles commerciaux

Le Royaume-Uni dispose de la loi la plus ancienne réglementant la maternité de substitution. Elle fait l’objet d’une consultation nationale lancée en 2019 en vue de sa révision. Les modifications porteraient sur trois points : la limitation du délai de six mois à six semaines après la naissance de l’enfant pendant lequel la mère porteuse et son partenaire peuvent accepter ou refuser de transférer l’enfant aux clients ; une rétribution plus large de la mère porteuse, actuellement limitée à un dédommagement afin, sans doute, de remédier au manque de candidates face à la demande croissante ; et enfin le recours à la publicité, aujourd’hui interdite. Il s’agit clairement de lever toutes les restrictions prévues par la loi et d’ouvrir la voie aux pratiques commerciales[7]. Il en va de même aux Pays-Bas[8].

En Grèce, la loi organisant le recours à la maternité de substitution date de 2002. Pour éviter tout trafic, elle prévoyait que les « parents d’intention » et mère porteuse devaient être résidents permanents en Grèce. Cette restriction a été levée en 2014[9], faisant de ce pays une destination recherchée pour son faible coût, le mode de filiation retenu qui exclut d’emblée la mère porteuse dès la conception, et le bon niveau des prestations médicales[10]. Comme le précisait la plaquette commerciale d’un intermédiaire : « La particularité de la Grèce est qu’elle est le seul pays d’Europe et l’un des rares pays au monde où la mère porteuse n’a aucun droit sur l’enfant. Les « parents d’intention » deviennent les parents légaux dès la conception de l’enfant et il n’est fait nulle mention de la mère porteuse que ce soit à l’hôpital ou sur le certificat de naissance. Un avantage supplémentaire pour les Européens est que, en raison du traité de Schengen, ils peuvent voyager librement chez eux dès la naissance du bébé et traiter des questions de citoyenneté devant les tribunaux locaux, au lieu de postuler auprès de leur ambassade en Grèce[11]. »

Aux États-Unis[12], la maternité de substitution est presque partout accessible. Deux États viennent récemment de s’ajouter à la liste de ceux qui l’autorisent : l’État de Washington, qui a légalisé en 2018 la maternité de substitution commerciale jusque-là interdite, et l’État de New-York, qui a suivi la même voie en 2020.

Quelle que soit la législation de ces pays, ils sont confrontés à la maternité transfrontière. Les plus fermés voient leurs ressortissants contourner les restrictions nationales en se rendant dans les pays ouverts à la GPA commerciale.

Des scandales retentissants en Asie

Ce fut le cas de l’Inde qui, après avoir servi de destination commerciale « low cost » pour le monde entier, a progressivement verrouillé l’accès à la maternité de substitution sur son territoire pour la restreindre, en 2015, aux seuls couples hétérosexuels nationaux, et uniquement dans des cas d’infertilité avérés. Dès 2012, elle en interdisait déjà l’accès aux célibataires et aux gays. En réaction, certaines cliniques indiennes se sont déplacées au Népal qui en acceptait la pratique à condition que les mères porteuses ne soient pas népalaises. Le gouvernement y avait en effet vu une source de devises intéressante[13]. Ces cliniques faisaient venir des femmes déjà inséminées en Inde pour accoucher au Népal. Les parents commanditaires et notamment ceux d’Israël venaient au Népal pour faire produire leur bébé Ce trafic s’est développé jusqu’au tremblement de terre de 2015 qui a dévasté le pays. L’État d’Israël a aussitôt affrété des avions pour aller y rechercher ses propres citoyens et leurs bébés, abandonnant les mères porteuses à leur sort dans un pays dévasté[14]. À la suite de ce scandale retentissant, le gouvernement népalais a interdit toute pratique commerciale de la GPA.

Cette même année 2015, la Thaïlande interdisait à son tour la maternité de substitution, suite, là aussi, à deux scandales très médiatisés : un couple de clients australiens avait abandonné un bébé, « baby Gammy », à sa mère porteuse parce qu’atteint de trisomie 21 tandis qu’il emmenait sa sœur jumelle en bonne santé ; un Japonais avait quant à lui réussi à engendrer une douzaine de bébés, en recourant à différentes mères porteuses,

Comme leur marché se tarissait en Inde, Népal et Thaïlande, les agences et cliniques se sont tournées vers le Cambodge où aucune loi n’existait. Mais, dès 2016, ce pays en a, à son tour, interdit la pratique à titre commercial, pratique qui s’est toutefois poursuivie dans la clandestinité sous la forte demande chinoise. En 2018, le gouvernement cambodgien s’est alors engagé dans la répression en arrêtant une trentaine de mères porteuses cambodgiennes ! Poursuivies pour trafic d’enfants, avec des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion, elles ont finalement été relâchées, à la condition d’élever elles-mêmes l’enfant qu’elles avaient mis au monde[15]. En revanche, les clients n’ont pas été inquiétés !

 

Un marché procréatif très inventif

Des pays se font importateurs/exportateurs de mères porteuses

Dans les pays d’Asie, des trafics de mères porteuses ont été enregistrés entre l’Inde, le Népal, le Vietnam, la Thaïlande ou encore le Cambodge[16].

En Birmanie, le gouverneur de Rangoon a dénoncé, fin 2018, la vente de femmes birmane en Chine comme mères porteuses et comme prostituées[17].

La pandémie de covid-19 a mis en lumière des situations catastrophiques de bébés nés de maternité de substitution bloqués en raison des mesures sanitaires de confinement. Tel fut le cas en Ukraine, Géorgie et probablement aux États Unis. Outre ces scandales, des journalistes d’investigation ont révélé l’existence de trafic de mères porteuses vers des zones « dites grises », telles le nord de Chypre[18]. Elles y sont conduites pour le transfert d’embryon et ensuite pour l’accouchement. La plus grande agence de GPA ukrainienne propose ouvertement de transférer la mère porteuse vers les pays des clients pour l’accouchement.

De façon caricaturale, les pays pauvres sont « exportateurs » et les pays riches « importateurs » de femmes enrôlées comme candidates à la gestation pour autrui. De plus, il est clair que la traite a trouvé, avec ce nouveau marché, des débouchés renouvelés à côté de celui de la prostitution. Le lien entre ces deux trafics est évident.

De nouvelles zones s’ouvrent à la GPA. L’exemple du Kenya[19]

Des opérateurs indiens y voient une zone de redéploiement pour compenser leur baisse d’activité en raison de la réglementation nationale devenue plus contraignante depuis 2015 dans leur pays. En vantant une nouvelle destination, leur argumentaire commercial est clair : le Kenya est présenté comme une alternative crédible pour les parents gays et hétérosexuels qui ne peuvent plus accéder à la GPA en Inde, au Népal ou au Cambodge en raison de la législation de ces pays, ou aux États-Unis et d’autres pays en raison des coûts élevés qui y sont pratiqués.

Un opérateur géorgien (en Géorgie, la GPA est autorisée, comme dans la plupart des républiques de l’ex-URSS) est venu également y implanter une nouvelle filiale. Il en compte déjà neuf dans le monde. Il cherche à diversifier son offre commerciale pour, avance-t-il : accueillir tous type de « parents d’intention » : mariés, célibataires, gays, lesbiennes, séropositifs, et proposer des services rares tels que la sélection du sexe de l’enfant, le transfert d’embryons congelés entre différents pays, le lavage de sperme, etc.

Mais un autre opérateur est revenu sur sa position après avoir fait la promotion du Kenya comme nouvelle destination procréative « low cost » ; il évoque la médiocrité des installations médicales et le taux de mortalité élevé des nouveau-nés dans le pays (37 pour 1000).

Les cas de ces pays nous rappellent judicieusement que ce qu’on peut appeler « tourisme procréatif » absorbe des ressources médicales précieuses au détriment des besoins de base des populations.

 

Mais les résistances s’organisent

Ce panorama peut sembler décourageant à première vue et donner l’impression que le développement du recours à la maternité de substitution dans le monde est inéluctable. C’est oublier que des forces féministes et en faveur des droits humains sont de plus en plus nombreuses à dénoncer un marché [20], fondé sur l’industrie de la reproduction médicalement assistée et appeler à son abolition universelle. Elles rappellent les principes fondamentaux sur lesquels s’appuient les droits humains, les droits des femmes et des enfants.

En 2021, 300 organisations féministes et de défense des droits de l’homme ainsi que 3 000 personnes de 65 pays ont soutenu la Convention internationale féministe rédigée par la CIAMS[21] pour l’abolition de la maternité de substitution ou, comme l’appellent les militantes espagnoles, pour l’abolition de l’exploitation reproductive des femmes, une nouvelle forme de violence contre les femmes. La même année, près d’une centaine d’organisations féministes latino-américaines se sont réunies pour publier un « Manifeste » commun, condamnant les tentatives d’ouvrir leurs pays à la GPA.

Ces exemples nous montrent qu’une fois encore, l’évolution de nos sociétés vers plus d’humanité repose sur la détermination et l’énergie de la société civile, et en particulier celles des organisations féministes.

 

 

 

 

[1] Vera Lucia Raposo, 2017, « The new portuguese law on surrogacy – The story of how a promising law does not really regulate surrogacy arrangements », JBRA Assist. Reprod., 2017 juill. -sept., 21(3), p. 230-239.

 

[2] Telegraf : Serbia introduces surrogate mothers: They will be called « birth givers » and they will be able to receive compensation of up to 15,000 euros [https://www.telegraf.rs/english/3063388-serbia-introduces-surrogate-mothers-they-will-be-called-birth-givers-and-they-will-be-able-to-receive-compensation-of-up-to-15000-euros].

[3] Rapport final de la commission chargée de formuler des recommandations en matière de GPA transfrontière https://data.oireachtas.ie/ie/oireachtas/committee/dail/33/joint_committee_on_international_surrogacy/reports/2022/2022-07-06_final-report-of-the-joint-committee-on-international-surrogacy_en.pdf

 

[4] Pour tenter de faire changer le modèle scandinave, qui interdit la marchandisation du corps des femmes et, donc, la GPA, l’association « Families Through Surrogacy » le désigne comme « conservateur » et s’efforce de démontrer que l’opinion publique serait pour la réglementation. Sam Everingham (président de cette association) « Scandinavian attitudes to surrogacy – public policy should catch up », BioNews 916, sept. 2017.

 

[5] Cuba, dans sa réforme du code civil de 2022 ouvre à la GPA, qualifiée de « GPA solidaire », un concept d’une hypocrisie consommée https://www.notimerica.com/politica/noticia-cuba-cuba-ratifica-referendum-matrimonio-igualitario-gestacion-subrogada-20220926144837.html

 

[6] Le terme de « parents d’intention » forgé par le marché, masque la réalité de la transaction. L’intentionnalité ou l’intellect ne peuvent créer la parentalité. Aussi préférons nous utiliser le terme de clients.

 

[7] Jen Willows, 10 juin 2019, « Consultation on UK surrogacy law begins », BioNews 1001.

[8] Brita van Beers & Laura Bosch, « A Revolution by Stealth: A Legal-Ethical Analysis of the Rise of Pre-Conception Authorization of Surrogacy Agreements », published online, 28/10/2020 [https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/20502877.2020.1836464].

 

[9] Maria C. Vastaroucha, 2019, « Surrogacy Proceedings in Greece after the implementation of law 4272/2014 », [http://www.greeklawdigest.gr/topics/aspects-of-greek-civil-law/item/217-surrogacy-proceedings-in-greece-after-the-implementation-of-law-4272-2014>.]

 

[10] Officiellement, la GPA dite « traditionnelle » (dans laquelle la mère porteuse porte un enfant issu de ses ovocytes) et la GPA commerciale sont interdites. En réalité, toutes les formes de la pratique sont admises, comme le reconnaît une professeure de droit constitutionnel, dans un documentaire de 2016 de Laïla Agorram : Les Dessous de la mondialisation. Grèce le prix d’un enfant   [https://www.youtube.com/watch?v=JHwKiCS3gyI].

[11] « Is Surrogacy in Greece legal for international couples?  » 27/09/2018 [https://www.sensiblesurrogacy.com/is-surrogacy-in-greece-possible-for-foreign-couples/]?

[12] Jennifer Merchant, « Le cadre juridique et politique gouvernant la gestation pour autrui aux États-Unis », Ethnologie française, « Le corps reproductif », 2017-3, tome XLVII, p. 421-424

 

[13] Ramesh Parajuli, « Surrogacy in Nepal: Threat to reproductive right », The Himalayan Times, 18 août 2015.

[14] D. Kamin, « Israel Evacuates Surrogate Babies from Nepal but Leaves the ebra Mothers Behind », Time, 28 avril 2015.

[15] « Cambodia releases surrogate mothers who agree to keep children », BBC News, bbc.com, 6 décembre 2018.

 

[16] Audrey Wilson, « How Asia’s surrogate mothers became a cross-border business », sur le site scmp.com.a, le 4 juin 2017

 

[17] « Bride and Birth Surrogate Ads in Northern Myanmar Spark Local Anger, Government Investigation », 12/12/2018. [https://www.rfa.org/english/news/myanmar/bride-and-birth-surrogate-ads-in-northern-myanmar-12122018160211.html]

 

[18] Maria Varenikova, « Mothers, Babies Stranded in Ukraine, Surrogacy Industry », 15 août 2020,

 

[19] Michael Cook, « Surrogacy agencies move to Kenya », BioEdge, 9 juin 2019.

 

[20] Un rapport réalisé par des chercheurs de l’université américaine de Columbia parle bien d’industrie : Alex Finkielstein et al., « The international surrogacy industry », mai 2016; « Surrogacy Law and Policy in the US: A National Conversation Informed by Global Lawmaking », Report of the Columbia Law School Sexuality & Gender Law Clinic, consultable sur web.law.columbia.edu.

[21] Projet de convention internationale pour l’abolition de la maternité de substitution [http://abolition-ms.org/actualites/projet-de-convention-internationale-pour-labolition-de-la-maternite-de-substitution/].

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