Contre l’avis n°86 du Comité de bioéthique Belge

Cette analyse a été réalisée conjointement par la CIAMS et l’Université des Femmes de Bruxelles

 

Le 17 Avril 2023, le Comité de bioéthique Belge a rendu un avis (n°86), relatif à l’encadrement légal de la gestation pour autrui (la GPA, encore appelée maternité de substitution, ou grossesse pour autrui), afin d’actualiser l’avis n°30 du 05 Juillet 2004 . En effet, le Ministre des Affaires Sociales et de la Santé Publique, Frank Vandenbroucke, a adressé une demande au Comité, afin de revoir la politique sur la maternité de substitution. En Belgique, la GPA est pratiquée mais n’est pas réglementée, elle n’est donc ni interdite ni légalisée pour autant.

 

Nous sommes en total désaccord avec cet avis du Comité, sur l’ensemble des points qui sont énoncés, tous sans exception étant en faveur de la légalisation de la GPA sur le territoire. Se faisant le relais du marché qui cherche à développer la marchandisation des corps des femmes et de la réification des enfants, l’avis ne prend aucune considération pour le droit des femmes et des enfants.

D’ores et déjà, notons que les parties et expert.es auditionné.es, défendent toutes et tous la gestation pour autrui avec ferveur ; et qu’aucune organisation de défense du droit des femmes ou d’avis opposés à la GPA n’a été entendue. Ce rapport est donc de facto biaisé par un ensemble de partis-pris en faveur de la GPA, il n’a donc aucune valeur objective.

 

Aussi, nous tenons à rendre visible l’ensemble des situations plus qu’inquiétantes qui sont énoncées dans cet avis, voire qui sont dangereuses pour le respect du rôle des institutions, le respect du droit des femmes et le respect du droit des enfants.

Utilisation des termes du marché : justifier les clients pour mieux effacer les femmes

A juste titre, le comité remarque que les termes employés ne sont aucunement neutres et sont le fruit de prises de positions sous-jacentes. Ainsi, le début du rapport justifie le choix des termes utilisés, comme femme gestatrice ou parents d’intention. Or, ces termes ne sont d’aucune façon objectifs ou scientifiques ; mais ils reflètent le vocable du marché . Dès les premières lignes nous comprenons la position du comité : une position en faveur de la GPA, avec un point de vue centré exclusivement sur l’intérêt et la satisfaction des clients.

Définition de la GPA et du « parent d’intention »

Dans cet avis, la GPA est définie comme « la pratique par laquelle une femme porte un embryon puis un fœtus, et poursuit la grossesse jusqu’à la naissance de l’enfant avec l’intention de transférer ensuite tous ses droits et devoirs parentaux au(x) parent(s) d’intention »[1].

Ici, la définition concerne exclusivement la mère porteuse, seule actrice de la pratique, qui prendrait l’initiative de cette grossesse pour le plaisir d’autrui.

 

Contrairement au Comité, nous choisissons de nous placer du côté des droits des femmes et soutenons une définition de la GPA plus claire, à savoir : « Une pratique consistant à recruter une femme, contre rémunération ou non, afin de lui faire porter un ou plusieurs enfants, conçu(s) ou non avec ses propres ovocytes, dans le but de le ou les lui faire remettre à une ou plusieurs personnes qui souhaitent être désignées comme parents de ces enfants ».

 

Par ailleurs, le Comité utilise le terme « parent d’intention »[2] afin, peut-être, de mettre en avant l’idée d’une élaboration de projet de parentalité classique ; nous ne pouvons que nous en offusquer. Être parent présuppose la naissance d’un enfant, l’intention ne crée pas le parent, c’est bien la naissance de celui-ci qui le crée. De ce fait, ces termes développés par le marché sont inappropriés pour définir les personnes qui souhaitent recourir à la GPA pour se procurer un enfant.

 

Comme la GPA est une transaction financière, au terme « parent d’intention » nous préférons celui de clients ou commanditaires puisque, c’est bien une commande qui est ordonnée par les clients avec l’objectif d’obtenir un enfant.

« Femme gestatrice » plutôt que mère porteuse

En choisissant l’expression de « femme gestatrice »[3] pour remplacer celle de « mère porteuse », les membres du Comité choisissent délibérément d’effacer la place de la femme en tant que mère dans cette procédure et réduisent celle-ci à la fonction de son utérus. Rappelons aussi que dans un langage correct, c’est l’organe qui est gestateur, jamais une personne.

 

Parler de « femme porteuse » ou de « femme gestatrice » vise à réduire le risque de revendication de filiation avec l’enfant qu’elle a mis au monde et passe outre le principe généralement admis, selon lequel « la mère est celle qui accouche ». Conscientes que jusqu’à la naissance d’un enfant, une femme ne peut -être considérée comme mère, puisque c’est l’accouchement qui la définit comme mère, nous continuons à utiliser le terme de « mère porteuse », pour plusieurs raisons. Notamment, parce qu’il est bien compris du grand public, mais aussi pour visibiliser la femme et sa maternité. Pour la même raison, nous utilisons aussi les termes de « maternité de substitution », « grossesse pour autrui » ou « gestation pour autrui ».

GPA de haute technologie et de basse technologie

Enfin, les auteurs ne souhaitent pas différencier les « GPA de haute technologie et GPA de basse technologie »[4]. En effet, la GPA de basse technologie, sous-entend une insémination artificielle, où la mère porteuse est génétiquement reliée au nouveau-né. La GPA de haute technologie, quant à elle, est plus dangereuse que l’insémination artificielle, puisqu’elle est réalisée par fécondation in vitro (FIV), avec un double don de gamètes, mâles et femelles, toutes étrangères à la mère porteuse. Ce choix technologique a été généralisé, pour éliminer la mère porteuse de la généalogie de l’enfant à naître et lui dénier le qualificatif de mère. Pour autant, elle demeure la mère biologique de l’enfant, au nom du processus biologique qu’elle, et elle seule assume, qui est la grossesse.

 

Utiliser ces termes, élaborés et vulgarisés par le marché, relève des stratégies pour édulcorer et invisibiliser la violence de la GPA, à l’égard des femmes exploitées pour leur capacité reproductive ; le langage du Comité donne l’illusion d’une pratique socialement acceptable.

La présentation fallacieuse de la GPA comme progressiste

La GPA éthique existe-t-elle vraiment ?

Afin de ne pas être soupçonné d’encourager l’exploitation du corps des femmes ou de réifier les enfants, le Comité revendique une GPA dite « éthique ou altruiste », en opposition à la GPA commerciale. De ce point de vue, les mères porteuses perçoivent une compensation – dont les composantes ne sont pas définies dans l’avis du comité – et non une rémunération, en échange de la remise de l’enfants[5]. Mais cette compensation est bien la contrepartie de la remise de l’enfant.

 

D’autre part, le qualificatif d’éthique est abusif à plus d’un titre. En effet, la GPA relevant de la violence à l’égard des femmes, et partant du principe qu’aucune violence ne peut être administrée de façon éthique, la GPA ne peut l’être elle non plus.

 

Par ailleurs, l’ensemble du processus de GPA est réalisé sur un mode commercial, où les parties prenantes – laboratoires, médecins, psychologues, avocats, publicitaires etc. -, ne sont aucunement astreintes à modérer leurs émoluments. Tous touchent la même rémunération, peu importe que la GPA soit commerciale ou altruiste, excepté la mère porteuse. De ce fait, toutes les GPA sont commerciales, quelles que soient les stratégies développées pour en atténuer la brutalité.

 

En déplorant que : « le processus peut être long et difficile pour les parents d’intention qui souhaitent réaliser une GPA en Belgique, et ce particulièrement pour les couples homosexuels masculins puisqu’ils doivent également trouver une donneuse d’ovules »[6], le comité prend fait et cause pour le seul parti des clients et ne prend jamais en considération la condition des mères porteuses. Ignore-t-il que toute grossesse est risquée et que les grossesses de GPA le sont davantage ? Ignore-t-il que les mères porteuses, pour accepter de s’engager dans cette pratique, en espèrent une amélioration de leur situation économique ? Ignore-t-il que la situation sociale et économique des mères porteuses est largement inférieure à celle des commanditaires ? Ignore-t-il que tous les contrats de GPA, exigent des mères porteuses qu’elles abandonnent leurs droits fondamentaux pendant toute la durée de leur grossesse ? Et enfin, que priver les mères porteuses de leurs droits aux profits des commanditaires est inique ?

Vers le développement des GPA commerciales

Le rapport mentionne une « évolution dans l’acceptation sociétale de la GPA (par) de plus en plus de pays (qui) prévoient un cadre légal »[7]. Baser un raisonnement sensé se prévaloir de neutralité, sur le critère d’évolution de la société, – comme si toute évolution était forcément bénéfique – n’est pas acceptable pour un comité de bioéthique rendant un avis qui touchera de nombreuses femmes.

 

Cet avis se justifie par la mention de pays comme le Royaume-Uni, la Russie, le Brésil, Israël, la Grèce, le Canada et les Etats-Unis ; soit, les pays dont les réglementations sont en faveur de GPA commerciale et où l’on connaît le plus de trafic humain liés à cette pratique. Ils mentionnent aussi les Pays-Bas, le Danemark et la Finlande, sans pour autant rappeler que la très grande majorité des pays de l’UE interdisent la GPA, au nom de la dignité humaine.

 

Les auteurs évitent aussi d’expliquer que là où les États ont tenté d’organiser la GPA, en la réglementant pour en limiter les excès et tenter de protéger toutes les parties, les maigres protections accordées aux mères porteuses et les dispositions prises pour éviter les risques de traite humaine ont rapidement été édulcorées. Ne citons ici que le cas de la Grèce qui en 2005, voulant réguler la GPA altruiste sur son territoire, a restreint la possibilité d’être mère porteuse aux seules résidentes grecques. Finalement, le pays a ouvert cette possibilité aux femmes étrangères… par manque de candidates ! Ce positionnement a directement participé au trafic humain européen et au développement de réseaux mafieux[8]. Des situations similaires sont observables en Hollande ou au Royaume-Uni[9].

 

La situation Belge, qui ne réglemente ni ne condamne la GPA, est pointée du doigt pour un « manque de sécurité juridique »[10]. Cet avis serait objectif, s’il ne concernait que la sécurité juridique des clients, dans l’assurance d’obtenir l’enfant et le lien de filiation après la naissance. La sécurité juridique des mères porteuses, quant à elle, n’est aucunement évoquée. Or, des agences, pour rassurer leurs clients, mettent en avant le fait qu’il existe plus de chance que les parents abandonnent les enfants à la naissance, plutôt que les mères porteuses ne les réclament. À cela s’ajoutent les enfants nés de GPA, rejetés par les commanditaires, qui avant l’invasion de l’Ukraine, représentaient, la moitié des enfants admis chaque année en orphelinat[11].

Arguments de droits libéraux : quand les institutions sont au service du marché

Afin de justifier du droit de disposer d’autrui, les experts se placent du côté du droit « à l’autodétermination vis-à-vis de son propre corps (…) dans le droit au respect de l’intégrité physique et le droit au respect de la vie privée »[12] et d’ d’arguments comme « l’autonomie et le pouvoir de décision »[13]. Pourtant, lors de la signature des contrats, il est souvent précisé que la mère porteuse renonce à ses droits, « au moment de la conception »[14] et pour toute la durée de la grossesse. En outre, des règles de vie lui sont imposées (pas de rapports sexuels avec son conjoint, pas de voyage, une alimentation strictre etc). Les commanditaires seuls, possèdent et exercent le pouvoir sur la mère porteuse et sur l’embryon. Ainsi, il semble que le droit à l’autodétermination disparaît pour neuf mois, au minimum…

 

De manière plus choquante encore, ce rapport se positionne contre le principe juridique d’indisponibilité du corps humain en arguant que « le corps humain n’est en effet pas indisponible (…) il est (…) un instrument au service des fins – y compris lucrative – poursuivie par la personne »[15]. Nous répondons à cela par un cas de jurisprudence français datant de 1995[16], l’affaire du « lancer de nain ». Cette pratique a été interdite au nom de la dignité humaine. Cela n’avait pas pour objectif de protéger le nain lui-même contre la maltraitance subie – le nain protestait d’ailleurs contre l’interdiction, qui lui faisait perdre une source de revenu – et la population naine ne faisait pas l’objet de l’affaire. C’est l’humanité de notre société dont il était question, par prééminence de la dignité humaine. Il n’y a pas de dérogation possible à la dignité de la personne humaine : remettre en cause l’indisponibilité du corps humain revient à bafouer notre humanité commune. La dignité, est ce qui pose la primauté de l’être humain sur tout autre intérêt ; et la personne humaine vaut largement, comme raison d’interdire.

Jurisprudence de la CEDH instrumentalisée

En mentionnant la jurisprudence issue de la CEDH depuis plusieurs années, les auteurs du rapport ont volontairement mis en avant les arrêts condamnant les Etats qui ne reconnaissaient pas les liens de filiation entre commanditaires et enfants nés de GPA à l’étranger. Sont alors évoqués le « droit au respect de la vie privée et familiale »[17] et « l’intérêt supérieur de l’enfant »[18] avec la mise en avant d’arrêts comme celui de Mennesson c. France du 26 juin 2014 où la CEDH a rendu raison au couple de commanditaires, en condamnant la France.

Mais, les auteurs évoquent seulement de manière partielle et en note de bas de page, le cas de l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie du 24 janvier 2017, où la CEDH avait, dans un premier temps, donné raison en 2015 au couple italien en reconnaissant le droit à fonder une famille. Mais la CEDH est revenue, par la suite, sur sa jurisprudence en 2017 en reconnaissant le droit du gouvernement italien à ne pas reconnaître la filiation en l’absence de lien biologique afin de « protéger l’enfant contre des pratiques illégales, dont certaines peuvent être justement qualifiées de traite humaine »[19] selon l’Institut Européen de bioéthique.

Omettre la suite de ces arrêts est une tactique volontaire et une instrumentalisation des décisions juridiques de la CEDH, pour n’en montrer que les aspects propices à la justification du recours à la GPA

Des experts en faveur d’une exécution forcée des contrats (pour la mère porteuse)

Les experts regrettent que le gouvernement belge ne reconnaisse pas les contrats de GPA, cette pratique n’étant pas réglementée, les contrats sont donc nuls ; Il citent l’arrêt ° 56/2023 du 30 mars 2023, de la Cour constitutionnelle (§ B.4) qui précise que « [b]ien que la gestation pour autrui ne soit pas réglementée en droit belge, elle est pratiquée de facto en Belgique. En revanche, tout contrat destiné à lier les parties impliquées dans une gestation pour autrui, par exemple concernant la remise de l’enfant à la naissance, est illicite. Un tel contrat ne produit aucun effet juridique et ne pourra faire l’objet d’aucune exécution forcée » »[20]. L’avis commente cette citation de la façon suivante : « Cette affirmation n’est accompagnée d’aucune explication et d’aucun développement. Elle ne va cependant pas de soi »[21]. Il se place donc ouvertement en faveur d’une exécution forcée des contrats et, semble-t-il, dans le seul but de protéger les clients dans le cas où la mère porteuse ne fournirait pas l’enfant en décidant de le garder. L’exécution forcée de tels contrats iniques est choquante, le point de vue partial qui en envisage la possibilité exclusivement en faveur des clients pour la remise de l’enfant par la force l’est tout autant. Pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout du raisonnement et envisager symétriquement l’exécution des contrats dans les cas où les clients refusent de prendre en charge l’enfant commandé, comme dans le cas bien connu de « baby Gammy [22]», né trisomique, où les clients ont choisi de ne garder que sa jumelle en bonne santé.

Opposition entre GPA et adoption

Les experts expliquent que la GPA et l’adoption sont deux pratiques qui n’ont rien en commun. Selon eux, dans les cas d’adoption les parents n’obtiennent que « des liens juridiques »[23] à l’inverse de la GPA où les parents sont désignés, dès la naissance de l’enfant, comme ses parents légaux et l’enfant n’est pas considéré comme né « d’une autre personne et en rupture avec sa famille d’origine »[24]. Les experts rejettent donc la procédure pratiquée par la majorité des pays qui consiste à octroyer la filiation au commanditaire qui a fourni le sperme en raison du lien génétique qui le relie à l’enfant, et à organiser une procédure d’adoption de l’enfant pour son époux ou épouse. Les experts souhaitent que d’emblée la filiation soit octroyée aux deux commanditaires. Ils effacent ainsi, pour l’enfant, toute information sur ses origines et la façon dont il est venu au monde.

 

Les experts justifient cette attribution automatique de la parentalité aux commanditaires par le fait que « le processus de parentalité commence avec eux. Ils initient la conception de la future personne qu’ils considèrent comme leur enfant »[25]. En d’autres termes, le projet parental, né de l’intention des commanditaires, fonctionne de façon analogue aux droits d’auteurs, c’est ce projet qui crée un droit des commanditaires sur l’enfant concrétisé par la filiation. Venant directement décrédibiliser les procédures d’adoption comme ne résultant pas de “projet de parentalité”.

 

L’article 4 de la « Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière en d’adoption internationale »[26] rappel que le consentement de la mère, s’il est requis, ne doit être donné qu’après la naissance de l’enfant. Cette disposition vise à empêcher la vente et la traite d’enfant. Or dans la GPA, la mère porteuse accepte avant même la conception, par contrat, de remettre l’enfant aux commanditaires à sa naissance. C’est une pratique qui peut donc être qualifiée de vente d’enfants. Toutes les personnes impliquées dans la maternité de substitution enfreignent donc l’interdiction de disposer d’un être humain et en sont complices.

L’acceptabilité éthique de la GPA commerciale ?

Quand solidarité reproductive rime avec asservissement des femmes

Avis du comité : « Le Comité réitère le point de vue exprimé dans l’avis précédent selon lequel la GPA est une question de solidarité collective et interindividuelle à l’égard de personnes qui ne peuvent pas procréer sans l’aide d’une tierce personne »[27] tout en rappelant que « la satisfaction d’un désir d’enfant est un élément essentiel d’une vie épanouie »[28].

Les mères porteuses devraient donc subir des grossesses par solidarité pour les personnes ne pouvant pas avoir d’enfant, afin que ceux-ci puissent mener une vie épanouie. Rappelons ici qu’il n’existe aucun droit à l’enfant et que si l’on pousse ce principe, le gouvernement Belge devrait donc fournir une mère porteuse à tous les couples homosexuels comme hétérosexuels qui ne sont pas en condition de procréer, ce qui, ici, serait reconnu comme de l’exploitation.

Le concept de solidarité est perverti, puisque c’est de la mère porteuse et plus largement des femmes qu’on exige une solidarité avec les clients, autrement dit du plus faible avec le plus fort. Plus que de solidarité, c’est en fait de sacrifice au profit des plus aisés dont il s’agit ici.

La GPA : une option reproductive parmi d’autres ?

Selon ce rapport, la GPA serait une « option reproductive »[29] parmi d’autres, au même titre que les femmes peuvent choisir leur contraception comme relevant d’une « liberté de choix en matière de reproduction et contraception »[30]. Pour autant, le choix de contraceptifs des femmes est fait par elles, en fonction de leur propre choix de vie, avec des effets sur leurs propres corps et sans l’implication d’une autre personne. Dans les cas de GPA, le choix requis ne met en jeu ni la vie, ni le corps des commanditaires, mais la vie, le corps et les droits d’une tierce personne, la mère porteuse. L’utilisation et l’exploitation d’une femme ne peut jamais être justifiée par une personne qui ne subira pas les traumatismes adjacents à la pratique demandée. Le désir d’enfant, tout douloureux qu’il soit, ne peut jamais justifier l’utilisation et l’exploitation d’autrui.

L’amalgame fait ici entre droit à la contraception, à l’avortement (qui est aussi mentionné dans cette partie) et choix de reproduction par le biais de la GPA est extrêmement misogyne et procède d’un grand mépris pour les droits des femmes. Le droit à la contraception et à l’avortement sont deux droits fondamentaux quant à la liberté des femmes, contrairement à la GPA qui contribue à exploiter nos corps.

 

Le rapport stipule aussi que les commanditaires semblent être des « parents montrant un niveau élevé de satisfaction et d’engagement émotionnel vis-à-vis de l’enfant »[31] qui contribuerait à ce que les « relations parents-enfants (soient) parfois meilleures »[32] (que dans les familles nées de toutes autres manières). Or, comment peut-être jugé le degré d’amour présent dans une famille ? Et dans ce cas, pourquoi les familles adoptives ne sont-elles pas prises en compte? Il est difficile de croire que les études sur lesquelles se basent ce rapport aient été en mesure de récolter la parole de parents ayant abandonné leur enfants de GPA ou exerçant de la maltraitance sur eux, voire parfois du rejet.

De la même manière, il est écrit que les enfants nés de GPA « semblaient (…) indifférents par rapport à leur mode de conception »[33]. Nous avons mené une enquête auprès de plusieurs sites internet[34] qui récoltent la parole d’enfants nés de GPA. Dans leur majorité, ces blogs références des cas d’enfants désabusés face à la perte de leur origine, empreint à des sentiments de rejet de la part des donneur-es de sperme, ovules et mères porteuses et d’un sentiment de trahison vis-à-vis des commanditaires qui cachent souvent les formalités de la naissance.

 

Enfin, dans tout ce document les risques médicaux sont systématiquement sous-évalués et les séquelles psychologiques pour les mères porteuses et les enfants sont minimisées, de façon à faire paraître la GPA comme une pratique anodine. S’il est bien mentionné que « les risques médicaux et psychologiques possibles pour la femme gestatrice (doivent être consentis) de manière éclairée »[35] et qu’il doit y avoir des discussions préalables sur les « possibles interventions médicales (…) concernant les méthodes de surveillance de développement du fœtus et de son traitement éventuel »[36], les risques ne sont jamais nommés dans ce document et ne concernent visiblement que le produit, c’est à dire le bébé, la femme est encore une fois oubliée. Plus encore, il n’est mentionné nulle part les types de risques auxquels s’exposent la mère porteuse qui sont (de manière non exhaustive) : pré-éclampsie, diabètes gestationnels, perte d’utérus, recours non indispensable à la césarienne (demandée par les commanditaires ou imposé par les agences), recours à des amniocentèses (à risque et parfois non nécessaire) et bien sûr le risque de mort…

Le consentement éclairé en GPA est difficile voire impossible car la mère porteuse ne peut pas savoir à l’avance les risques et complications de la grossesse et de l’accouchement. Des décisions urgentes peuvent également être prises en cours de grossesse, mais qui les prendra ? Dans la plupart des cas, ce sont les commanditaires qui revendiquent ce droit au détriment de la femme et son corps.

Les risques pour l’enfant sont également importants. Là encore, partant d’un contrat initial de projet d’enfant, la temporalité de la grossesse et les aléas de la reproduction changent la donne.

 

***

 

Ce rapport est donc totalement de parti pris puisqu’il n’y a aucune remise en question de la maternité de substitution comme pouvant être une pratique dangereuse ; il n’y a pas non plus de remise en question de l’aspect marchand et réducteur des contrats qui sont passés entre les partis. Son point de vue, exclusivement formulé en faveur des clients, est de fait biaisé dans la mesure où certains des experts ayant participé à la rédaction de cet avis sont impliqués directement dans la GPA et en faveur de celle-ci. La réflexion conduite ne prend pas en compte l’ensemble des parties prenantes à la procédure et oublie l’une des plus importante qui est celle de la mère porteuse.

 

Cet avis pourrait-être qualifié de “cas d’école” néolibéral en faveur de la GPA. La dangerosité de celui-ci est telle que les “experts” sont allés tellement loin dans la logique libérale et les avantages aux clients, que même s’il a été créé pour susciter le débat, risquent de ne s’effectuer qu’à la marge. Le curseur a été poussé très loin pour la libéralisation de la GPA et les opposant-es qui se mobiliseront devront s’efforcer de ramener les débats sur un terrain plus sensé et respectueux du droit des femmes.

 

 

[1] Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique à consulter sur « https://www.health.belgium.be/fr/avis-ndeg-86-encadrement-legal-de-la-gestation-pour-autrui”,  p.4

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid, p.5

[5] Ibid, p.6

[6] Ibid, p.7

[7] Ibid, p.8

[8] Site Europol : https://www.europol.europa.eu/media-press/newsroom/news/66-suspected-of-arranging-illegal-adoptions-and-surrogacies-and-human-egg-trafficking-in-greece

[9] http://abolition-ms.org/observatoire/royaume-uni/

[10] Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique à consulter sur « www.health.belgium.be/bioeth », p.8

[11] https://www.youtube.com/watch?v=5-SaT3VsAwA  Ecoutez à  4’:58”et 5’:38”

[12] Ibid, p.9

[13] Ibid.

[14] Ibid., p. 16

[15] Ibid., p. 9

[16] https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2007-1-page-1.htm

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Institut européen de bioéthique, URL : « https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/debut-de-vie/gestation-pour-autrui/la-cedh-donne-raison-a-l-italie-lui-permettant-de-s-opposer-a-une-gpa-internationale-1182.html?backto=bulletin »

[20] Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique à consulter sur « www.health.belgium.be/bioeth », p.13

[21] Ibid.

[22]https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/aug/04/baby-gammy-thailand-surrogacy-repulsive-trade-pattaramon-chanbua

[23] Ibid. p.14

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Article 4 (2-3) : https://www.hcch.net/fr/instruments/conventions/full-text/?cid=69

[27] Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique à consulter sur « www.health.belgium.be/bioeth », p.15

[28] Ibid.

[29] Ibid, p.16

[30] Ibid.

[31] Ibid, p.18

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34]« http://theothersideofsurrogacy.blogspot.com/« ; »http://theothersideofsurrogacy.blogspot.com/ » ; « https://anonymousus.org/i-found-my-bio-mom-and-couldnt-be-happier/ »

[35] Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique à consulter sur « www.health.belgium.be/bioeth », p.16

[36] Ibid.

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