La Gestation Pour Autrui (GPA) : Violence faite aux femmes et aux enfants – Frédérique Kuttenn

La Gestation Pour Autrui (GPA) : Violence faite aux femmes et aux enfants.

L’Avis 126 du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)

Frédérique Kuttenn[1]

En tant que membre du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) jusqu’en décembre 2018, et Rapporteur du Groupe de Travail sur l’assistance médicale à la procréation (AMP) et la gestation pour autrui (GPA), les organisatrices de ce Colloque m’ont demandé de présenter l’Avis 126 rendu par le CCNE en juin 2017 concernant la GPA et confirmé après les États Généraux en 2018 et l’Avis 129[2].

Lors d’un premier Avis (N° 110) rendu en 2010, le CCNE avait clairement exprimé que « La pratique de GPA – même pour raisons médicales – porte atteinte à l’intégrité des femmes porteuses de grossesse pour autrui, dans leur corps, leur intimité, leur affectivité, et leur vie familiale. Et que le désir d’enfant ne pouvait constituer un droit à l’enfant justifiant la pratique de la GPA ».

Depuis 2010 des éléments nouveaux sont survenus :

– Les demandes n’émanent plus seulement de couples Homme/Femme, mais aussi de couples d’hommes, et d’hommes ou de femmes seuls.

– Des offres de GPA se sont développées dans certains pays étrangers, avec une grande hétérogénéité des législations d’un pays à l’autre.

– Le Marché de la Procréation est en pleine expansion, avec des organisations Transnationales qui font la promotion de la GPA.

– La GPA reste prohibée en France. Mais se pose la question de l’établissement de la filiation et de l’état-civil d’enfants nés par GPA à l’étranger par la volonté de « parents d’intention », contournant la loi française.

Il est intéressant de prendre connaissance des propos de membres du CCNE entendus lors des délibérations du CCNE – avant de rendre l’Avis N° 126 de juin 2017 :

– « De tout temps, ceux qui sont en situation de supériorité ont cherché à mettre les autres en servitude » .

– « La GPA, quand c’est lucratif, c’est de l’esclavage. Quand c’est familial, c’est pire ! »

faisant référence aux catastrophes survenues au sein d’une même famille ( ablation chirurgicale de l’utérus de la mère porteuse pour arrêter une hémorragie incontrôlable ; enfant finalement gardé pour elle par la mère porteuse, et non remis à sa sœur malgré leur accord initial ; accès mélancolique et suicide de la mère porteuse après la séparation d’avec l’enfant…).

Le CCNE a conclu que ce qui n’était pas éthique dans la demande de couples hétérosexuels (Avis 110) ne l’était pas plus pour les couples d’hommes ou les personnes seules (Avis 126).

Toutefois, les partisans de la GPA ne désarment pas

Face à la pression médiatique qui y consacre souvent une publicité outrageusement favorable éloignée des réalités et aux demandes de ses partisans qui essaient d’avancer progressivement vers une ouverture, à partir de jugements prononcés par des magistrats différents sur des cas particuliers et d’un effet cumulatif de jurisprudences, il importe d’éclairer comment s’organise la Marché de la GPA.

La GPA implique de nombreux acteurs : les parents d’intention, la mère porteuse, parfois la donneuse d’ovocytes, l’enfant, les intermédiaires qui sont les grands bénéficiaires de ce marché. Ce marché transnational et ses intermédiaires s’appuient sur :

– le développement des moyens de communication,

– l’extension d’Internet, donnant accès à des Sites de promotion de la GPA, avec des catalogues vantant facilités et promesses attractives…

– l’encadrement par des agences qui réunissent et disposent de professionnels spécialisés : médecins, assureurs, avocats, juristes, banques…

Les enjeux financiers sont considérables et contribuent au développement d’un Tourisme Procréatif.

Qui sont les victimes de ce marché ? les mères porteuses et l’enfant

Les mères porteuses sont soumises à de multiples violences :

-Des violences juridiques :

Ces femmes ne sont pas en situation de pouvoir négocier les contrats auxquels elles sont soumises.

-Des violences économiques :

Elles n’obtiennent pas de dédommagement en cas de fausse-couche spontanée, ou d’aide pour leur la famille en cas de décès.

-Des violences médicales :

Les grossesses multiples sont favorisées par transfert d’un nombre excessif d’embryons, pour en assurer l’ implantation utérine quitte à procéder ensuite à des réductions embryonnaires, toutes manipulations forcément à risques.

Les Mères Porteuses sont tenues à la poursuite de la grossesse même en cas de survenue de problèmes de santé. La possibilité d’IVG leur est retirée, même si elle est souhaitée à titre personnel ou médical. En cas d’arrêt de la grossesse pour des raisons personnelles, elles seraient tenues de rembourser l’ensemble des agents et intermédiaires, ce qui est bien sûr en dehors de leurs possibilités.

Une césarienne leur est fréquemment imposée, sans nécessité médicale, avec 2 objectifs : -éviter les aléas d’un accouchement naturel ; -éviter le contact chargé d’émotion entre la mère porteuse et l’enfant lors de cette toute dernière étape qu’est la naissance.

-Des violences psychiques :

Les mères porteuses sont, pour la majorité des organisations, éloignées de leur famille pendant le temps de la grossesse, gardées dans des maisons spécialisées (« gestatoriums »), où sont surveillés alimentation, activité, éventuels traitements…, avec un droit de visite restreint.

Ces femmes sont soumises à une injonction de non-attachement à l’enfant porté , avec ordre de déni de sentiments vis-à-vis de cet enfant. Il s’en suit un malaise profond, puisqu’elles se trouvent tiraillées entre le fait de ressentir des sentiments pour l’enfant qu’elles portent ; et celui de devoir nier une maternité vécue et ressentie dans leur propre corps.

Une rupture est programmée entre cette mère et l’enfant à la naissance.

A la naissance, l’enfant qu’elles ont porté leur est retiré. Elles ne le verront peut- être même pas.

Voilà comment sont traitées des personnes et ignorés les droits fondamentaux dans un monde qui se dit civilisé. Ces violences ne sont simplement pas prises en compte, simplement non vues par les « parents d’intention » et les promoteurs de GPA.

 

L’Enfant est au centre du dispositif. Il est l’Objet d’un Contrat, il a la situation d’un Objet Marchand.

1) Une rupture est programmée entre sa vie intra-utérine et sa vie future.

-Sa conscience ne commence pas à la naissance. On sait maintenant que la vie intra-utérine est importante pour son développement, ses orientations, son équilibre futur.

Il reçoit des signaux transmis par le corps de la mère : bruits environnants, voix de la mère (qu’il reconnaît avant et après la naissance), contacts physiques, odeurs, goûts des aliments ; ainsi que les réactions de la mère : mobilité, rythme cardiaque et respiratoire, qui traduisent les stress, les degrés d’attention ou de satisfaction.

-Ces signaux modulent l’expression des gènes de l’enfant, par le mécanisme maintenant mieux connu d’épigénétique. Ils conditionnent son développement neurologique, l’apprentissage de la vie, ils élaborent ses goûts et ses centres d’intérêts.

Il y a une symbiose entre la mère, sa vie, et ce que perçoit l’enfant. Ces perceptions participent à sa construction neurologique et à ses réactions futures.

Avec la GPA, aux stress habituels s’ajoute le conflit chez la mère porteuse entre l’envie d’établir un lien avec cet enfant qu’elle porte et l’injonction reçue de ne pas s’y attacher, de ne pas s’impliquer, conflit et stress de la mère que le fœtus est à même de ressentir.

 

2) A la naissance :

L’enfant est séparé de la mère porteuse.

Il est alors plongé dans un environnement différent, inconnu, où il est privé de l’apprentissage et de ses repères anténataux, qui étaient censés l’aider à démarrer dans la vie.

Qu’advient-il si l’enfant est handicapé ?

ou…si entre temps les parents commanditaires se sont séparés ?

Il sera -au mieux – remis à un orphelinat ou une agence d’adoption..

 

3) Les Risques Psychiques pour l’Enfant à venir sont largement sous-estimés.

L’enfant a besoin de vérité et de transparence, de façon générale mais aussi concernant ses origines.

Comment ressentira-t-il d’avoir été l’Objet d’un contrat financier ? Qu’il y ait eu recours à une femme rémunérée, dont il a partagé l’intimité le temps de la Grossesse, et dont il a été séparé ensuite ? Risque-t-il de demander des comptes à l’adolescence ?

La multiplication des intervenants peut amener l’enfant à devoir parfois construire son identité en intégrant jusqu’à 5 personnes intervenues dans sa conception, la gestation, sa naissance, son éducation. On peut en imaginer la difficulté future.

 

Une question est actuellement régulièrement soulevée : que deviennent les enfants nés par GPA à l’étranger ?

Comment se passe leur retour et l’accueil en France, puisque la GPA est interdite en France ?… Les institutions françaises font face à des ressortissants nationaux qui sont allés faire à l’étranger une GPA, illégale en France, et qui demandent la reconnaissance juridique de leur situation, arguant de sa légalité là où elle a été créée.

Ces enfant ne sont en rien « les Fantômes de la République », comme certains ont voulu les présenter.

1) Il faut d’abord savoir que tout enfant dont les parents habitent et travaillent en France a accès aux soins et à l’éducation (quelle que soit la nationalité des parents).

2) Pour ces enfants nés par GPA à l’étranger, la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a fait valoir l’importance de pouvoir établir l’ identité de l’enfant, qui repose sur la filiation et la nationalité.

A condition de revenir de l’étranger avec un état-civil « probant », conforme à la réalité, c’est-à-dire mentionnant le père biologique français + la mère porteuse, un Certificat de Nationalité Française (CNF) est attribué, qui permet l’obtention d’ un Passeport et d’ une Carte Nationale d’Identité.

3) Pour le 2ème parent d’intention, sans lien biologique avec l’enfant , le rapport du Sénat en février 2016 et le CCNE en juin 2017 ont conseillé que soit accordée « une Délégation d’Autorité Parentale ». C’est une situation conforme à la réalité des origines de l’enfant, et qui satisfait trois conditions : la reconnaissance de la filiation biologique paternelle, une situation légale pour l’autre parent d’intention, l’acquisition de la nationalité française pour l’enfant.

Toutefois, la Cour de Cassation s’oriente plutôt vers une procédure d’ « adoption » par le deuxième parent d’intention.

 

Actuellement la GPA est interdite en France. Mais ses partisans risquent de ne pas baisser les bras.

Par la recherche d’angles d’attaque, une politique des petits pas, un grignotage progressif à coup de jurisprudences ! Quelles pistes de « Cheval de Troie » sont à prévoir et devront être déjouées ?

Les partisans de la GPA risquent de revendiquer:

1) La distinction entre la GPA pour « demandes médicales » ( par ex : femme sans utérus) qui serait alors présentée comme licite, et les « demandes sociétales » qui ne le seraient pas encore !

Mais pas pour longtemps puisque l’argument de discrimination serait aussitôt brandi.

2) La facilitation du retour des enfants nés par GPA à l’étranger et la reconnaissance des « parents d’intention », avec transcription d’état-civil étranger non conforme à la réalité et ne laissant pas trace de GPA.

Mais l’enfant a besoin de vérité et de transparence, l’organisation mensongère de ses origines n’est certainement ni à recommander ni à admettre.

3) Le retour des enfants nés de GPA à l’étranger étant facilité, pour ne pas les pénaliser pour un acte dont ils ne sont pas responsables, les partisans de la GPA vont encore agiter le spectre de la discrimination, sous le prétexte que la GPA est possible à l’étranger et que seuls les français riches peuvent y accéder. Et l’on demandera de faire en France une GPA « contrôlée » (par exemple avec des mères porteuses reconnues comme travailleuses sociales, -comme évoqué en Australie- à qui on octroierait salaire et points de retraite…).

Ignore t-on à ce point que toute autorisation ouvre le champs aux dérives et aux exploitations ?

Dans ce contexte, il incombe au gouvernement et au législateur de renforcer la prohibition de la GPA.

 

En conclusion, que retenir de l’Avis 126 du Comité d’Ethique?

Le CCNE reste attaché aux principes invoqués par le législateur :

-prohibition de la GPA

-respect de la personne humaine

-refus d’exploitation de la femme

-refus de réification de l’enfant

-indisponibilité du corps humain et de la personne humaine

Il ne peut pas y avoir de « GPA éthique »

Le CCNE recommande que

-l’état-civil des enfants garde le nom de tous les intervenants à la Convention de Gestation,

-les enfants aient accès au contrat qui a permis leur naissance, afin de pouvoir « construire leur identité » et reconstituer leur histoire.

Le CCNE est favorable à

-l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA,

-l’engagement de négociations internationales multilatérales.

[1] Médecin, professeure d’endocrinologie de la reproduction, Univ. René Descartes.

[2] Ces avis sont consultables en ligne sur le site du Comité Consultatif National d’Éthique, à la rubrique « Les Avis du CCNE » https://www.ccne-ethique.fr/

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