Article publiéle par Marianne sous le titre « La GPA ‘altruiste’ déshumanise la mère et encourage les bénéficiaires à se croire tout permis » Publié le
Quand elle a décidé de faire une « GPA déguisée » avec un couple d’hommes, Julie (prénom modifié) pensait qu’elle allait aider des personnes qui ne peuvent pas avoir d’enfants autrement, à devenir parents.
Elle avait choisi d’aider un couple d’hommes car elle voulait non seulement reconnaître l’enfant en tant que mère, mais aussi être reconnue comme mère de l’enfant. Si elle acceptait que l’enfant soit élevé par son père et le conjoint de celui-ci, elle voulait le voir régulièrement, passer du temps avec lui, lui donner son amour de mère. C’est tout ce qu’elle demandait : que sa place de mère soit reconnue et respectée par le père et son conjoint. Elle allait permettre à ces hommes de devenir parents, ils allaient élever l’enfant qu’elle allait mettre au monde, et en échange ils allaient la reconnaître et la respecter comme mère de l’enfant.
Julie porte un handicap invisible, sans déficience intellectuelle. A l’époque où elle a accepté cet arrangement, sa situation matérielle et professionnelle était précaire, et n’avait d’issue qu’à échéance fort incertaine, même si depuis elle a évolué favorablement. Son handicap la rendait particulièrement vulnérable. Les deux hommes, qui pour leur part étaient en couple et jouissaient d’une situation stable, connaissaient cette situation.
L’accord initial, qui semblait convenir à tous les trois, est vite devenu source de tourments et de souffrances pour Julie.
Car le bonheur d’avoir donné la vie à un enfant a depuis pour prix la négation de sa maternité, qu’elle a pourtant toujours assumée, et la privation de son enfant qu’elle a, par tous les moyens, cherché à connaître, protéger et chérir malgré les tentatives répétées du couple d’hommes de l’en dissuader, de la tenir éloignée et la faire disparaitre. Et la justice s’est avérée jusqu’à présent injuste et violente à son égard.
Julie s’apprête aujourd’hui à passer en appel, après un jugement particulièrement problématique prononcé par une juge aux affaires familiales. Le père de l’enfant est décédé et suite à ce décès Julie, toujours prête à assumer ses responsabilités, a voulu en récupérer la garde. Alors qu’elle cherchait une voie d’entente avec le conjoint du père, le tribunal l’a informée que celui-ci l’assigne en justice pour demander la délégation totale de l’autorité parentale.
Refusant délibérément de prendre en compte le handicap de Julie, la juge aux affaires familiales considère, au contraire, que la mère « se retranche derrière son syndrome autistique et sa vulnérabilité ». La JAF refuse d’admettre que le handicap sans déficience intellectuelle expose les personnes qui en sont atteintes, surtout les femmes, à discrimination et stigmatisation. Quand Julie explique que, trois semaines après l’accouchement, en pleine dépression post-partum, elle accepte de renoncer à ses droits sur l’enfant dans une déclaration qui lui a été extorquée par le père et son conjoint, la juge valide cette renonciation sans considérer le contexte et en niant l’abus de vulnérabilité au prétexte que Julie « maîtrise parfaitement ce qu’elle écrit ».
Il est stupéfiant de constater avec quel aveuglement volontaire cette juge aux affaires familiales ferme les yeux et tait la loi. Avec quelle violence elle fait fi de la volonté d’une mère d’assumer sa maternité et refuse de prendre en considération les preuves fournies par Julie. Car la JAF se réfère à l’arrangement de « gestation pour autrui » conclu initialement par Julie et le couple d’hommes : « une gestation pour autrui gratuite faite par [Mme] par choix et conviction » (sic). Et sur cette seule base décide que Julie, mère de l’enfant, est dessaisie de l’autorité parentale au profit du conjoint du père de l’enfant. Or, l’article 16-7 du code civil dit clairement que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». De même, l’incitation à l’abandon d’enfant – dont Julie explique avoir été victime dans des circonstances de grande vulnérabilité -, ne pose aucun problème à la juge, qui veut en assurer les effets. Mais une telle déclaration, même écrite, n’a aucune valeur. Aussi bien l’arrangement supposé de GPA altruiste que le renoncement aux droits par Julie sont nuls. Et ce qui est nul ne produit pas d’effet. Puisse la juge se le rappeler. D’autant plus que, sans craindre l’incohérence, tout en privant la mère de l’autorité parentale sur son enfant (sans avoir rien à lui reprocher), la JAF la condamne à payer une pension alimentaire au conjoint du père.
De toute évidence, devant cette cour, la mère ne vaut rien, son exploitation est ignorée, pour lui préférer ouvertement un homme afin de s’occuper de son enfant. La juge admet de garantir les effets d’une GPA « gratuite faite par choix et conviction », et refuse de se prononcer sur le fonds : l’exploitation d’une mère.
Une directive européenne récente sur la prévention de la traite des êtres humains prévoit que : « il convient d’inclure l’exploitation de la gestation pour autrui, […] dans les formes d’exploitation visées dans ladite directive, dans la mesure où les éléments constitutifs de la traite des êtres humains sont réunis, y compris le critère des moyens. Plus particulièrement, en ce qui concerne la traite aux fins de l’exploitation de la gestation pour autrui, la présente directive cible les personnes qui forcent les femmes à être mères porteuses ou qui les amènent à agir ainsi par la ruse. » Or, en plus de « la ruse » mentionnée par cette directive pourtant fort limitée, la définition de la traite des personnes (Protocole de Palerme) précise, parmi les moyens, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ; et elle montre clairement que le consentement d’une victime de la traite à l’exploitation envisagée est indifférent lorsque l’un des moyens a été utilisé.
Sommes-nous encore en France ? La justice dit-elle encore le droit ? La justice combat-elle la pratique indigne de la « gestation pour autrui », comme elle est censée le faire ? Si certains juges s’en détournent, les défenseurs des droits humains, et en particulier des droits des femmes, redoublent de vigilance à cet égard, en attendant le procès en appel.
La GPA commerciale est une vente d’enfants. La GPA altruiste, comme celle que Julie pensait faire, est pire : elle déshumanise la mère et encourage les bénéficiaires à se croire tout permis. Non seulement aucune réglementation ne peut encadrer la vente d’enfants, ni la déshumanisation des femmes, mais seule l’abolition de cette pratique et une information de l’opinion publique à la hauteur des enjeux, peut protéger les femmes et les enfants.
Ana-Luana Stoicea-Deram – Marie Josèphe Devillers
Co-présidentes de la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (CIAMS)