La gestation pour autrui (GPA) est une pratique sociale par laquelle une femme, en bonne santé et sans désir d’enfant, accepte de porter une grossesse jusqu’à son terme, à la demande d’autres personnes, dans le but de leur remettre l’enfant, dès sa naissance. Celui-ci peut être issu ou non des ovocytes de la mère, et celle-ci peut être rémunérée ou non pour donner la vie à l’enfant et pour le remettre à ses commanditaires. L’acronyme GPA désigne aussi un marché mondialisé, estimé en 2019 à environ 6 milliards de dollars (opérations légales, hors trafics).
En France, la pratique est interdite au nom des principes d’indisponibilité et de non-patrimonialité du corps humain. En revanche, les effets du marché et surtout la force d’entraînement de ses stratégies commerciales sont de plus en plus présentes, à travers des opérations marketing et publicitaires explicites, y compris dans les médias publics.
Dans ce contexte, l’expression « GPA éthique » revient régulièrement, pour faire croire qu’il existerait des modalités de cette pratique compatibles avec nos grands principes, à commencer par le respect de l’humain.
Ces modalités sont différentes, voire opposées, mais elles se réfèrent toujours à la femme qui devient mère porteuse. La « GPA éthique » serait, telle que décrite dans une émission de France culture (2013), un processus dans lequel la femme serait sélectionnée selon son état de santé physique et psychique, et aussi selon sa condition sociale, vérifiée à travers son avis d’imposition. Pour d’autres, ce qui compte c’est sa motivation : la femme doit être mue par le seul altruisme, et accepter par gentillesse l’argent (un « montant raisonnable » disent des clients satisfaits, militants pour le développement de ce marché) qui lui serait versé par les commanditaires, en guise de parfaite reconnaissance. Pour d’autres encore, au contraire, il ne saurait y avoir d’argent versé à la mère (il faut se méfier des femmes vénales). Enfin, les plus hardis osent envisager une condition concernant aussi les commanditaires, en proposant de désigner comme « GPA éthique » le processus dans lequel il y a un lien de famille entre les commanditaires et la mère, auquel cas, bien sûr, celle-ci aurait comme récompense la gratitude des futurs parents et la satisfaction de son altruisme sacrificiel. L’importance financière du marché et le lobbying de ses tenants (à travers force témoignages de ceux qui ont eu recours à des prestataires coûteux et influents), induisent, dans les discours publics, une tendance claire : la « GPA éthique » correspond au modèle commercial posé par les États-Unis, où la mère déclare aimer être enceinte, devenir « porteuse » par choix de « faire le don de la vie », où elle est rémunérée (pour le temps et l’énergie que représente la grossesse), sincèrement altruiste (sinon, elle ne le ferait pas), et convaincue que l’enfant n’est pas le sien. Heureuse coïncidence, qui fait correspondre les intérêts du marché – où les prix américains font la course en tête – et l’absolution morale des clients et des prestataires.
Mais ce discours publicitaire, très répandu, ne saurait transfigurer la nature de la GPA ; et quand le roi est nu, il faut avoir le courage de le dire. Il n’y a pas de GPA éthique, il ne peut pas y en avoir.
La question n’est pas celle de ses modalités, mais de sa nature même, qui est incompatible avec la notion d’éthique. La GPA consiste toujours à faire subir à une femme une grossesse surmédicalisée, et à lui faire prendre ainsi des risques énormes pour sa santé et pour sa vie, comme les analyses féministes l’ont montré depuis près de 40 ans[i]. Des mères porteuses sont mortes dès les années 1980 et jusqu’à cette année encore. Qu’elle soit payée ou non, pleinement informée des risques ou non, altruiste ou non, que les commanditaires soient des inconnus, des proches, voire des membres de sa famille, cela ne change rien. Une femme, mère, qui dit vouloir faire plaisir à d’autres, devient enceinte sans désir d’enfant ; si l’on accepte de faire porter aux femmes des grossesses dans ces conditions, la revendication de l’accès des femmes à l’IVG deviendra superflue. Durant la GPA, la mère s’impose à elle-même une dissociation psychique : elle est enceinte, subit des traitements médicamenteux lourds, doit remettre un enfant en bonne santé, mais ne doit pas s’y attacher ; elle n’est, à ses propres yeux, qu’un objet (four, cosse, incubateur). Cette fragmentation que la femme s’impose sur commande, est l’essence même du patriarcat ; la division de l’unité de la personne, le morcellement de la continuité de l’être humain, qui justifient l’effacement de la femme comme sujet. Par altruisme auto-sacrificiel (stéréotype sexiste par excellence), elle consent à sa déshumanisation, la revendique même. Enfin, comment parler de « GPA éthique », alors que ce marché consiste à fabriquer des êtres humains par contrat, sur commande, (le plus souvent) contre de l’argent. La vente d’enfant n’est ni légale, ni morale ; l’appeler « GPA éthique » ne la rend pas acceptable. Et disposer d’un nouveau né, sur la base d’un contrat, c’est lui nier le statut d’être humain, nier son égale dignité avec les autres humains.
L’adjectif éthique n’est utilisé que comme un joli paravent, mis là pour dissimuler la réalité sordide de l’exploitation.
Dénuée de sens par elle-même, l’expression « GPA éthique » désigne en revanche clairement le sentiment d’impunité des clients, notamment de ceux que leur richesse et leurs réseaux protègent. Elle désigne aussi une recherche de respectabilisation du marché, que la réglementation rendrait acceptable ; mais on ne réglemente pas l’accès au corps reproductif des femmes, si ce n’est en niant leur humanité. Enfin, cette expression résume le détournement des pouvoirs politique, médiatique et judiciaire au profit des intérêts marchands et au détriment des plus vulnérables.
La seule approche éthique de la GPA consiste donc à l’interdire et à l’abolir.
Ana-Luana Stoicea-Deram
membre du Collectif pour le Respect de la Personne (CoRP)
[i]M. Segalen et N. Athéa (coord.), Les Marchés de la maternité, Odile Jacob, 2021