La maternité de substitution en Inde, un bazar mondialisé construit sur l’exploitation des femmes – entretien avec Sheela Saravanan

Sheela Saravanan enseigne dans le département d’anthropologie de l’Université de Heidelberg, en Allemagne. Cet entretien a été réalisé par Sandrine Goldschmidt pour le CoRP, CQFD Lesbiennes Féministes, la Cadac et l’Assemblée des Femmes dans le cadre d’un événement qui sera rendu public dans les prochains jours.

J’ai écrit une proposition de recherche intitulée “la construction sociale et commerciale de la maternité de substitution en Inde”, qui a été acceptée par le cluster d’excellence Europe-Asie de l’université de Heidelberg consacrée au tourisme médical transnational. […]

Dans mon étude, j’ai sélectionné deux de ces cliniques pour en faire des études de cas, dans l’ouest de l’Inde. J’ai alors pu constater que la maternité de substitution est une violation des droits humains. Elle aliène les femmes de l’expérience de la grossesse, de leur corps et de l’enfant à naître. En outre, les inégalités sociales structurelles rendent les femmes indiennes plus vulnérables à l’exploitation, à la fois, au sein du marché, par les praticiens, mais aussi par leurs maris et leurs familles.

J’ai mentionné dans mon livre que dans ce “bazar de la GPA” tout tourne autour de la capacité reproductive des femmes, et les enfants sont marketés et tarifés; les parties du corps des femmes, leur lait maternel, leur activité maternante, le nombre d’enfants nés, le poids de leurs bébés, le sexe de l’enfant et même la caste, le poids ou la religion sont tarifés.

Une fois arrivée dans les cliniques, j’ai constaté que les femmes qui restaient dans les dortoirs ne l’avaient pas choisi -c’était obligatoire, imposé aux mères “porteuses”. Leur alimentation, leurs mouvements, leurs activités, jusqu’à la musique qu’elles écoutaient, étaient surveillés. Elles ne pouvaient entrer en contact avec leurs familles, leurs enfants, que dans un cadre très restreint.

Les mères de substitution transféraient l’entièreté de leur droit à disposer de leurs corps aux praticiens et aux parents d’intention pendant le temps de la grossesse. Dans le processus, il y avait des violations flagrantes de l’éthique médicale. Jusqu’à cinq embryons pouvaient être implantés dans l’utérus de la mère même si légalement la limite était fixée à trois. Des avortements sélectifs étaient effectués si plus de deux embryons parvenaient à se développer, ce qui favorisait la sélection du sexe.

Invariablement les accouchements s’effectuaient par césarienne. Les mères n’avaient pas de copie de leur contrat. Dans la clinique-dortoir, les mères devaient allaiter et s’occuper des enfants en échange d’argent après la naissance, alors que dans l’autre clinique, les bébés étaient séparés immédiatement après la naissance. Le directeur de la clinique craignait que voir les bébés crée de l’attachement maternel et du lien. Et par dessus tout ça, les mères de substitution ne recevaient aucune aide psychologique et aucune assurance pour leur vie.

Par ailleurs, l’approche de la maternité de substitution minore l’importance de la gestation dans le lien parental, en donnant la prééminence au lien génétique et à la capacité d’acheter. Cela a pour conséquence d’isoler la mère sous contrat de toute émotion ou sentiment d’attachement au fœtus. C’est du travail aliénant, de l’objectification, de la marchandisation et un déni de la subjectivité. […]

Dans la maternité de substitution, les enfants aussi sont marchandisés. On leur met des tarifs, par enfant. Rien n’est payé en cas de fausse couche, les enfants nés avec un handicap ou qui ne sont pas du sexe désiré se retrouvent à l’orphelinat, vendus ou abandonnés dans les rues. Les paiements effectués aux mères de substitution étaient calculés en fonction du poids du bébé, il y avait une négociation au rabais en cas de grossesse gémellaire, faisant de cela un véritable marché de l’enfant.

De fait, les femmes étaient suralimentées pendant la grossesse afin d’augmenter le poids du bébé.

Le fait qu’on ne paie pas la fausse couche signifie qu’on ne paie pas pour la gestation mais pour l’enfant. Il y a aussi eu des signalements de trafics d’adolescentes et de femmes à des fins de maternité de substitution. Dans la clinique que j’ai visitée, une femme était morte et nombreuses avaient de gros problèmes de santé. Un enfant handicapé avait été jeté à la rue. Des femmes qui voulaient devenir mères de substitution mais souffraient d’anémie étaient bourrées de médicaments pour les rendre aptes à la gestation. […]

L’autorisation de la maternité de substitution altruiste est fondée sur le postulat que le marché peut être régularisé. Mais, comme c’est le cas dans d’autres marchés similaires, comme ceux de la drogue, des travailleuses domestiques ou de la prostitution, celui-ci montre de piètres capacités à la régularisation.

En Inde la prostitution est légale. En conséquence, il y a un immense trafic clandestin qui alimente le marché de la prostitution. Si c’est interdit d’acheter du sexe, la femme qui est victime de trafic et d’exploitation peut se plaindre et revendiquer ses droits. La loi est de son côté. Avec la légalisation, les femmes doivent prouver qu’elles sont forcées à la prostitution et qu’elles n’y participent pas librement.

En fait,la situation est totalement hors de contrôle en Inde. Si bien que quand le marché de la maternité de substitution a été rendu légal, les mêmes canaux utilisés pour l’exploitation des jeunes filles de zones rurales pauvres de l’ouest de l’Inde vers les grandes villes à des fins de prostitution ou de travail domestique ont été utilisés pour la maternité de substitution. C’est devenu une nouvelle forme de business lucratif pour les exploiteurs. […]

Ma recherche a également montré qu’en même temps qu’elle renforce les préjugés de classe, race, sexe, validité, la maternité de substitution commerciale renforce aussi les préjugés de caste, de religion et les préjugés post-coloniaux.

Saravanan, Sheela. (2018) ‘A Transnational Feminist View of Surrogacy Biomarkets in India’. Singapore:  Springer Nature Singapore Pte Ltd.

l’intégralité de l’entretien se trouve ici SheelaSaravanan itv

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https://collectif-corp.com/2018/08/24/la-maternite-de-substitution-en-inde-un-bazar-mondialise-construit-sur-lexploitation-des-femmes-entretien-avec-sheela-saravanan/

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