Il n’y a pas de droit à l’enfant – un marketing habile et des récits en apparence progressistes n’y changeront rien.

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

 Nous étions à une fête d’anniversaire. Mon partenaire et moi sommes gays et, ces derniers temps, nous avions entendu parler de plus en plus souvent de couples qui avaient eu des enfants par le biais d’une mère porteuse. Nous avons pensé que le monde était en train de changer. Nous-mêmes n’avions jamais pensé avoir des enfants. Lorsqu’on nous a présentés à un couple, nous étions très intéressés, car ils étaient sur le point de commander des enfants par GPA. Nous avons trouvé tout cela très intéressant et nous n’avons pas parlé d’autre chose de toute la soirée.

Mais sur le chemin du retour, j’ai eu un sentiment d’étrangeté. De nombreux termes médicaux et juridiques avaient été utilisés. Il était question des taux de réussite des transferts d’embryons, des différences de prix entre différents pays, de la possibilité de sélectionner le sexe, des difficultés avec les assurances maladie allemandes et américaines, mais aussi des questions d’état civil et, finalement, de la peur que la mère porteuse ne veuille pas remettre l’enfant. Mon partenaire était enthousiaste, voire euphorique. Il avait échangé des numéros de téléphone et des adresses e-mail et, dans les jours et les semaines qui ont suivi, il n’a cessé de me montrer des photos de couples gays avec des enfants, de m’indiquer des influenceurs sur YouTube ainsi qu’une page spécialement destinée aux hommes gays avec les adresses de cliniques et d’agences et les prix pratiqués.

J’étais choqué, par ces prix à six chiffres. Nous n’avions pas autant d’argent, donc le beau rêve devait de toute façon s’arrêter là. J’étais un peu triste, car tout semblait si harmonieux. Sur certaines photos, on voyait même la mère porteuse avec son partenaire et ses enfants, ainsi que la donneuse d’ovocytes avec son mari et ses enfants. Douze personnes en tout, une construction familiale moderne et élargie. Étrange et attirant à la fois. Il y était question de participation, d’acquisition de droits reproductifs, d’intégration dans la société et de sens. C’était parfois un peu trop émotionnel pour moi, mais au fond, j’étais moi aussi très enthousiaste. Les Américains sont si exubérants, ne soyons pas obtus ! Par la suite, mon partenaire s’est renseigné et a découvert que l’organisation qui gérait également le site de comparaison des prix pouvait apporter un soutien financier. Les prix exorbitants et maintenant cette proposition de soutien financier des hommes gays par une organisation américaine m’ont paru très étranges. Nous avons vu des reportages dans lesquels des hommes expliquaient que leur fille avait été financée par un prêt immobilier.

Il n’était plus question que d’argent et les premières disputes avec mon partenaire ont éclaté. Il m’a demandé de ne pas penser à l’argent, car il s’agissait d’un être humain. Là où il y a une volonté, il y a toujours une solution, disait-il. Il a cherché des séminaires, des congrès, des conférences etc. sur le sujet et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à un moment donné à un congrès sur les formes alternatives de famille qui s’adressait spécifiquement aux personnes queer. Des pères ayant eu recours à une mère porteuse nous ont fait part de leur bonheur et nous ont invités à un grand congrès à Bruxelles. Des hommes trans enceints, se sont appelés « papas hippocampes » et ont témoigné de l’incompréhension de leur entourage. Certains élevaient leur enfant sans distinction de genre et d’autres dans un collectif sans référent fixe. Des livres alternatifs pour enfants étaient à disposition et tous les participants étaient vraiment très sympathiques.

Mais contrairement à mon partenaire, mon malaise grandissait. Il n’a jamais été question de ce que les enfants pourraient ressentir. On nous a conseillé le livre « Que disent les enfants ? pour lever tous nos doutes. Dans notre couple, il ne s’agissait presque plus que de me convaincre et de trouver un moyen de financement. Pour moi, tout était trop rapide. Les aspects éthiques critiques n’étaient que brièvement évoqués dans des émissions comme SternTV, Galileo ou Nachtcafé. Des amis et des connaissances sont venus me voir pour me demander pourquoi j’étais si réticent. Nous serions pourtant de merveilleux pères. Il n’y aurait pas d’autre possibilité pour les gays ou les trans d’avoir des enfants. Les mères porteuses voulaient aider et on pouvait donc l’accepter. Je m’étonnais que personne ne soit critique, à l’exception de nos parents, qui trouvaient indigne de réduire un enfant à une marchandise ou à un service. Mais cela a été vite balayé. Ils ne voulaient pas non plus nous prêter d’argent, ce qui a provoqué d’autres problèmes au sein de la famille. Nos nouvelles relations ont souligné que les grands-parents changeraient d’avis dès qu’on leur présenterait leurs petits-enfants : nos parents et grands-parents sont d’une autre génération, insistaient-ils, maintenant, tout est plus moderne. Et de nouveau des visages souriants, sympathiques et aimables partout. J’avais désormais l’impression d’être convaincu. Pourquoi ne pouvais-je pas simplement me réjouir ?

Mon partenaire fréquentait des groupes Facebook, voulait se rendre au congrès de l’organisation américaine à Bruxelles et entassait devant moi des livres sur les familles alternatives. Il m’a montré que de nombreuses personnes connues aux États-Unis avaient fait appel à des mères porteuses. Et que l’organisation, qui gère également le comparateur de prix pour la GPA, organisait des congrès, des ateliers et des salons sur le désir d’enfant dans de nombreuses grandes villes occidentales. Y participent des agences, des cliniques et des cabinets d’avocats. Ils se déroulent également dans des pays comme l’Allemagne, bien que la pratique de la maternité de substitution y soit interdite. Un auteur connu a publié l’histoire de la création de sa famille par le biais de la maternité de substitution. Son livre est aujourd’hui traduit dans de nombreuses langues et est devenu un ouvrage de référence dans le milieu. Depuis, il travaille comme représentants de cliniques et d’agences de GPA. Je devais bientôt faire sa connaissance à Bruxelles, tout comme les nouveaux amis que mon partenaire s’était constitué via internet. Parfois, cela me faisait presque penser à une secte. Ces nouvelles connaissances s’extasiaient sur leur grand bonheur et soulignaient que, dans la vie de tous les jours, personne n’osait dire quoi que ce soit contre le fait de fonder une famille grâce à une mère porteuse.

Le climat social actuel est très libéral. Même si je me considère comme libéral, je me suis vite senti dépassé et j’ai commencé à chercher des voix critiques sur le thème de la maternité de substitution. Je les ai d’abord trouvées dans les milieux féministes. J’étais étonné, car j’avais toujours entendu les féministes dire « Mon ventre m’appartient »! Ce n’est qu’avec le temps que j’ai compris qu’il existait deux types de féminisme opposés et que le féminisme queer moderne était, par exemple, favorable à la prostitution (« Le travail du sexe est un travail ! ») et à la maternité de substitution (« La maternité de substitution est un travail de reproduction ! »). Le féminisme radical plus ancien considère la maternité de substitution comme l’un des plus grands systèmes d’exploitation des femmes et s’y oppose clairement. J’ai également remarqué qu’il en va de même pour le thème de la transidentité. Là encore, deux orientations du féminisme diffèrent totalement. J’ai lu que l’auteure de Harry Potter, J.K. Rowling, avait été prise entre deux feux et je n’avais pas réalisé à quel point le sujet du transgenrisme et de la maternité de substitution étaient un nid de guêpes. J’ai été très reconnaissant de trouver des voix qui partageaient mon malaise au lieu de tout approuver au nom du progrès.

En poursuivant mes recherches, j’ai été particulièrement intéressé par le point de vue des enfants, qui n’a pratiquement jamais été abordé. Tout au plus en tant qu’embryons. Seraient-ils testés génétiquement avant l’implantation, déterminerait-on le sexe de l’enfant à naître, pourrait-on transférer deux embryons par précaution au cas où l’un d’eux ne s’implanterait pas ? Autour d’un café à la table du bistrot, on a discuté avec de parfaits inconnus pour savoir qui avait fécondé quels embryons. S’il y avait-eu deux mères porteuse différentes ou une seule, la donneuse d’ovocytes étant dans la plupart des cas identique. Pour des raisons de coûts, c’est en Amérique du Sud qu’ils se tourneraient désormais, les listes d’attente y étant t également plus courtes.

Vous avez la tête qui tourne ? C’est ce qui nous est arrivé. Mon partenaire aussi en a eu assez. J’ai continué à faire des recherches et j’ai trouvé des associations de personnes nées de dons de gamètes qui s’opposaient à la maternité de substitution. Nous avons vu les films de Jennifer Lahl, réalisatrice américaine et ancienne infirmière pédiatrique, qui a mis en lumière le côté obscur des contrats de maternité de substitution. J’ai appris que la maternité de substitution existait autrefois dans des pays pauvres comme la Thaïlande et l’Inde, mais qu’elle avait été interdite pour de bonnes raisons. J’ai été choqué par des cas tragiques très connus tels les cas de Baby M[1]. et Baby Gammy[2]. Dans le premier cas, la mère porteuse ne voulait pas donner l’ enfant et dans le second, ce sont les parents commanditaires qui n’ont accepté l’enfant atteint de trisomie. Le cas de Theresa Erickson [3], gérante d’une agence californienne de GPA, est troublant. Celle-ci avait commandé des enfants à bas prix en Ukraine et les avait fait venir aux États-Unis à grands frais. C’est par hasard que son trafique avait été découvert. Elle a déclaré qu’elle n’était que du menu fretin dans l’industrie de la maternité de substitution et qu’il s’y passait encore bien d’autres choses. Elle a refusé de le préciser, mais j’ai trouvé ça effrayant.

J’ai vu des interviews d’enfants allemands et américains issus de la gestation pour autrui, qui souffraient de leur histoire et hésitaient à s’exprimer en public. J’ai trouvé des sites comme anonymous.us[4], initié par un enfant issu d’un don de gamètes, qui souhaite offrir à d’autres un espace protégé pour raconter leur histoire. Et aussi « Them before us »[5], crée par une femme qui a certes été élevée avec amour par ses mères lesbiennes, mais qui a en même temps souffert toute sa vie de son désir d’avoir un père. À la maison, elle ne pouvait pas aborder ce sujet, car tout était balayé par la question rhétorique « Qu’est-ce qui est normal ? » Dans son site, elle aussi souhaite que les histoires des adolescents et des jeunes adultes soient racontées de manière anonyme.

Il nous a fallu beaucoup chercher pour trouver des informations alternatives et critiques. Il n’y a pas grand-chose en allemand. C’est pourquoi j’apprécie que mon texte soit publié, car les informations critiques sont indispensables pour se faire une idée globale. Il serait en outre utile que les médias apportent un éclairage critique approprié sur ce sujet aux multiples facettes. Il est facile de montrer des photos de bébés mignons et des images de familles heureuses. Elles sont appréciées des téléspectateurs. Personne n’aime lire les clauses en petits caractères des contrats. Or, dans le cas de la maternité de substitution, les petits caractères ne sont même pas mis à disposition de manière complète et facilement lisible. De plus, le sujet est tellement exotique pour le grand public qu’il ne reste pas suffisamment longtemps en mémoire pour qu’il se fasse une opinion. « Que chacun fasse ce qu’il pense être juste », entend-on alors.

Ce qui me bouleverse, c’est la manière dont nous, les hommes gays, sommes sollicités de manière ciblée en tant qu’acheteurs. Bien sûr, seuls les hommes solvables sont visés, car la maternité de substitution coûte cher. Le marketing habile a une objection pour chaque point et n’a peur de rien. On y prétend que la solution serait  la légalisation totale, afin que les prix baissent, que l’État n’a pas à décider du choix des femmes. Et on juge que les enfants qui ont l’impression d’avoir été achetés devraient finalement se réjouir d’être des enfants désirés, que les homosexuels seraient quasiment contraints d’y avoir recours puisqu’ils ne peuvent pas porter eux-mêmes leurs enfants. La couverture médiatique unilatérale et le marketing habile génèrent des désirs qui se font finalement sur le dos des enfants. Le bonheur des enfants ne devrait-il pas l’emporter sur le désir des parents ? Si l’on dispose de suffisamment d’informations et que l’on est honnête, on se rend vite compte qu’il s’agit de beaucoup d’argent. Certes, les intermédiaires accordent des rabais pour attirer des clients financièrement moins riches. Les mères porteuses sont contractuellement tenues de garder le silence. Certes, elles racontent que tout est merveilleux, puisque les parents commanditaires sont en fin de compte leurs clients.  Et l’enfant est relégué au rang de trophée coûteux réservé aux élites.

Bien entendu, aucun membre du gouvernement n’osera lancer un débat critique, préférant se faire photographier avec les adorables bébés. Bien au contraire, le gouvernement allemand tente actuellement de légaliser le don d’ovocytes et la maternité de substitution et aussi le droit à l’autodétermination de genre. Pourquoi ne demande-t-on pas l’avis des enfants ? Les interdictions de la GPA ne fonctionnent pas au niveau national, car les demandeurs ont la possibilité de se rendre à l’étranger. Il faut informer au lieu de faire preuve de romantisme. Si les gens ne font plus appel à des mères porteuses, la demande diminuera. Si les femmes refusent d’être recrutées comme mères porteuses, le marché s’assèchera. Et si des enfants disent à haute voix qu’ils n’ont jamais voulu cela, peut-être que des personnes se détourneront de la GPA. Tout comme nous.

Il n’y a pas de droit à l’enfant. Mais l’enfant a le droit de ne pas être acheté ou vendu. Et les couples gays avec un enfant ne sont pas plus au centre de la société que les couples gays sans enfant. Le mouvement gay pourrait volontiers s’inspirer du mouvement féministe des années 70/80.

Mirko Huttner (Allemagne)

[1] https://en.wikipedia.org/wiki/Baby_M

[2] https://en.wikipedia.org/wiki/2014_Thai_surrogacy_controversy

[3] https://archives.fbi.gov/archives/sandiego/press-releases/2012/prominent-surrogacy-attorney-sentenced-to-prison-for-her-role-in-baby-selling-case

[4] https://anonymousus.org/

[5] https://thembeforeus.com/?utm=semalt.com

 

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