La vérité des grossesses à contrat – Jennifer Lahl

La vérité des grossesses à contrat : Les contrats de maternité de substitution ne protègent ni les mères porteuses ni leurs enfants

Jennifer LAHL[1]

Le débat actuel sur la maternité de substitution présente deux positions principales. L’une des parties soutient que nous devrions permettre la pratique, en la réglementant. L’autre partie soutient qu’il faut interdire totalement la maternité de substitution. Toutes les parties reconnaissent généralement qu’il peut y avoir des abus et de l’exploitation, et que l’intérêt supérieur des enfants doit être pris en considération.

Le point central du désaccord porte sur ce qu’il faut faire pour réduire au minimum les préjudices causés aux femmes qui servent de mères porteuses, et aux enfants issus de ces ententes contractuelles. Comment pouvons-nous protéger toutes les parties prenantes, y compris les parents d’intention ? Nombreux sont ceux qui croient que les règlements, les lois et les contrats offriront une protection suffisante. Ma position est que les règlements, les lois et les contrats ne protègent pas – en fait, ils ne peuvent pas protéger les femmes et les enfants. La seule façon d’aller de l’avant est d’adopter des lois pour mettre fin à la maternité de substitution dès maintenant.

 

Les contrats de maternité de substitution. Ce qu’ils sont vraiment

L’argument le plus efficace contre les conventions de maternité de substitution est peut-être le libellé des contrats eux-mêmes. Avez-vous déjà lu un contrat de maternité de substitution ?

Je l’ai fait. Un certain nombre, en fait, sont rédigés dans mon État, la Californie.[2] La Californie est l’un des États les plus favorables à la maternité de substitution en Amérique. Un État favorable à la maternité de substitution est un État qui autorise les contrats commerciaux, ne limite pas le paiement à une mère porteuse et garantit que les parents d’intention seront les parents légaux de l’enfant, les protégeant contre le changement d’avis de la mère porteuse et ne renonçant pas à remettre l’enfant après la naissance.

Je crois que toute maternité de substitution devrait être interdite et non simplement réglementée. Les lois, les règlements et les contrats ne peuvent jamais protéger les femmes et les enfants de tous les nombreux préjudices liés à la maternité de substitution. Les contrats de maternité de substitution typiques que j’analyserai ci-dessous démontrent clairement que les règlements et les contrats ne protègent pas les femmes et les enfants. Au lieu de cela, ils facilitent leur utilisation comme de simples marchandises – juste une autre collection de produits, de biens et de services à échanger.

« Les contrats de maternité de substitution typiques […] ne protègent pas les femmes et les enfants. » Jennifer Lahl. Source image.
Que trouve-t-on dans un contrat de maternité de substitution typique ?

Les contrats de maternité de substitution contiennent beaucoup de jargon juridique standard. L’accord typique de maternité de substitution gestationnelle commence par les noms des parents/du parent d’intention et le nom de la mère porteuse qui conclut l’accord. On notera que le mot « mère » n’est jamais utilisé à l’égard de la mère porteuse. Il n’est utilisé que s’il y a une mère d’intention impliquée. En effet, le mot « mère » est totalement absent lorsque l’accord est conclu entre un homme célibataire ou un couple homosexuel et une mère porteuse.

Une section des considérants est également incluse : elle décrit les parents d’intention et la mère porteuse (et son mari si elle est mariée), et déclare que la mère porteuse est pleinement informée et n’a pas l’intention de faire valoir ses droits parentaux ou ses revendications envers l’enfant. Il y a généralement un libellé déclarant que l’entente ne vise pas l’achat d’un enfant ni le consentement de la mère porteuse à la remise de l’enfant en vue de son adoption. Un contrat stipule clairement qu’il ne viole pas les articles 181 et 273 du Code pénal de la Californie, qui interdisent la vente de bébés ou la coercition de livrer un enfant.

Ces accords exigent beaucoup de tests médicaux et psychologiques et de dépistage. Parfois, ces tests ne sont exigés de la mère porteuse que pour s’assurer qu’elle est en bonne santé physique et mentale, mais à d’autres moments, les parents d’intention doivent également subir un dépistage et un test. La structure de paiement est décrite, ainsi que les dépenses remboursables (allocation vestimentaire, remboursement de l’essence et du kilométrage pour se rendre chez le médecin et en revenir, compensation de la perte de salaire si la mère porteuse doit s’absenter du travail ou cesser de travailler en raison de complications liées à la grossesse, etc.) Et il y a toujours un langage qui établit la maternité et la paternité une fois que l’enfant ou les enfants sont nés.

L’aspect le plus troublant de ces contrats n’est généralement pas ce montage logistique, mais l’ajout des caprices et les souhaits des parents d’intention. Les parents d’intention dirigent presque tous les détails de la vie de la mère porteuse jusqu’au moment de la naissance et de l’abandon de l’enfant. L’utilisation commerciale de l’ensemble du corps de la femme pendant toute la durée de la grossesse est donc très claire.

La plupart des contrats contrôlent ainsi, explicitement, l’alimentation, l’exercice physique, les conditions de vie, les déplacements et les activités de la mère porteuse. J’ai vu un contrat exigeant de la mère porteuse qu’elle suive un régime végétalien ou qu’elle ne mange que des aliments bio. Certains parents intentionnels ne permettent pas à la mère porteuse de teindre ses cheveux. Un contrat stipulait que « La mère porteuse et son mari conviennent qu’ils ne formeront ni ne tenteront de former une relation parent-enfant avec tout enfant que la mère porteuse pourrait porter. » Interdire par contrat le lien mère-enfant, comme si une telle chose était même possible !

La confidentialité des renseignements personnels sur la santé est un sujet si grave que le gouvernement fédéral a institué des lignes directrices strictes[3] pour la préserver. Pourtant, cette confidentialité est tout simplement évacuée dans de nombreux contrats de maternité de substitution. Tous les renseignements médicaux de la mère porteuse sont à la disposition des parents d’intention, qui sont souvent de parfaits inconnus. Voici les termes et le langage d’un contrat :

« La Surrogate (NDT : terme anglais pour « mère porteuse ») renonce expressément au privilège de confidentialité et, par la présente, ordonne la divulgation aux futurs parents, sur leur demande, du rapport et des autres renseignements obtenus à la suite de toute évaluation ou de tout test psychologique, psychothérapeutique ou médical obtenu ou effectué conformément aux dispositions du présent accord. La Surrogate convient que les futurs parents ont accès aux renseignements psychologiques relatifs à sa santé mentale et à tout autre renseignement pertinent se rapportant spécifiquement à cet accord de maternité de substitution. »

Un autre contrat stipule :

« La Surrogate renonce au secret médical, comme l’exige le présent accord et accepte par les présentes toute formule de décharge nécessaire pour permettre à l’Agence et aux autres futurs parents de communiquer avec tout le personnel médical traitant et d’examiner les dossiers médicaux pertinents concernant la grossesse ou la santé de la mère porteuse. »

Les contrats régissent également le moment où la mère porteuse peut se livrer à une activité sexuelle et avec qui. Permettez-moi de citer une longue section pour montrer à quel point cela devient compliqué :

« La Surrogate s’engage à ne pas avoir de relations sexuelles ou intimes avec quiconque, à l’exception de son partenaire (mais seulement s’il se soumet à des tests médicaux comme l’exige la section X), pendant la durée de la présente entente et, en particulier, à partir du dépistage médical initial prévu à la section X jusqu’à et pendant la procédure de transfert des embryons et pendant sa grossesse avec un futur partenaire, sauf si un dépistage et approbation médicaux sont effectués conformément à la section X. Sans préjudice de l’accord de la Surrogate de s’abstenir de relations sexuelles ou intimes avec d’autres personnes, la Surrogate convient en outre que pendant une période de trois semaines avant une tentative de transfert de l’embryon du/des parents d’intention dans l’utérus de la Surrogate et pendant la grossesse de cette dernière, dans la mesure où la Surrogate ou son partenaire prévoient des relations sexuelles avec une personne autre que l’autre, et dans le cas du partenaire de la Surrogate, s’il continue d’entretenir une relation intime avec la Surrogate, alors la Surrogate ou le partenaire de la Surrogate doit prendre des dispositions pour que toute personne avec qui elle peut devenir ou est sexuellement active subisse un test de dépistage des maladies vénériennes et sexuellement transmissibles (dont le SIDA et le virus VIH) et de l’hépatite avant de s’engager dans des relations sexuelles. »

Les contrats contiennent également une clause d’avortement et de résiliation :

« La Surrogate convient expressément de mettre fin à la grossesse avant l’expiration d’un délai de dix-huit semaines, au choix et à la discrétion des futurs parents. À l’exception de l’interruption fondée sur le sexe, qui ne sera pas permise, le droit des futurs parents de demander une interruption/un avortement est absolu et ne nécessite aucune explication ou justification auprès de la Surrogate, y compris, mais sans s’y limiter, si une anomalie ou un défaut génétique a été déterminé, comme la paralysie cérébrale ou le syndrome de Down. »

Les contrats traitent aussi de la réduction fœtale :

« Les futurs parents se réservent le droit ultime et exclusif de réduire [le nombre de fœtus] de façon sélective avant la fin de la période de gestation de vingt (20) semaines (…). Les futurs parents ont le droit exclusif de déterminer le nombre de fœtus à réduire sélectivement en tenant compte de la recommandation du médecin traitant de la Surrogate…. Le droit des futurs parents de demander une réduction sélective est absolu et ne nécessite aucune explication ou justification auprès de la Surrogate. »

En tant qu’infirmière, je dois avouer que lorsque j’ai lu cet article sur la prise de décision en fin de vie, mon sang s’est refroidi :

« Si la Surrogate en est à son deuxième ou troisième trimestre de grossesse et dans l’éventualité où l’équipement médical de survie est nécessaire pour préserver et maintenir la vie de la Surrogate et si les futurs parents le demandent, la Surrogate et son mari conviennent que la vie de la Surrogate sera maintenue avec l’équipement de survie pendant une période suffisante pour assurer la viabilité du fœtus en tenant compte des meilleurs intérêts et du bien-être du fœtus… Les futurs parents prendront la décision quant à la durée du maintien en vie avant la naissance de l’enfant en tenant compte de la recommandation de l’obstétricien ou du périnatologue et des désirs de la famille de la Surrogate. Le mari de la Surrogate, ou son plus proche parent, est seul responsable pour déterminer le moment où le traitement de maintien des fonctions vitales sera interrompu après la naissance de l’enfant. »

 

Ces contrats contiennent toujours des dispositions sur la façon de traiter avec une « surrogate » qui ne se conforme pas au contrat. Si la mère porteuse décide qu’elle n’interrompra pas la grossesse à la demande des futurs parents, les contrats indiquent souvent, dans ce genre de formatage en majuscules et en caractères gras :

« DANS LA MESURE OÙ LA SURROGATE CHOISIT D’EXERCER SON DROIT D’AVORTER OU DE NE PAS AVORTER D’UNE MANIÈRE INCOMPATIBLE AVEC LES INSTRUCTIONS DES PARENTS D’INTENTION, IL EST ENTENDU QU’UNE TELLE ACTION PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME UNE VIOLATION DU PRÉSENT ACCORD. »

Que se passe-t-il lorsque la mère porteuse ne respecte pas son accord ?

« La Surrogate comprend et accepte qu’elle renoncera à tous les frais reçus, tous les frais futurs et peut être tenue responsable des dommages résultant de la violation du présent Contrat. La Surrogate comprend et accepte que les coûts remboursables peuvent comprendre, sans toutefois s’y limiter, la liste suivante d’articles : Frais de FIV, frais d’agence, honoraires d’avocat, médicaments et frais de déplacement. La Surrogate comprend également qu’elle peut être responsable des soins et des coûts d’un enfant né, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 18 ans, si l’enfant est né à la suite d’une violation de l’article X (AVORTEMENT/RÉDUCTION/résiliation sélective) de la présente convention. »

On me demande souvent si ces contrats sont légaux. S’ils sont écrits et exécutés dans un État favorable à la maternité de substitution, ils sont absolument légaux. Mais les contrats de maternité de substitution violent-ils des aspects du bien commun ? Comment ne le pourraient-ils pas ? Voyez vous-mêmes : vie privée, confidentialité médecin/patient, intégrité corporelle, pouvoir de décision médical, et plus encore. Les contrats de maternité de substitution sont rédigés pour protéger les futurs parents, pas la mère porteuse ni l’enfant.

On me demande souvent pourquoi une femme signe un contrat qui l’amène à renoncer à une si grande partie de sa vie personnelle – son intégrité corporelle même – au profit d’étrangers. La réponse courte est : « l’argent ». Les motifs financiers obligent souvent les femmes à s’engager dans un marché qui est, franchement, prédateur. La maternité de substitution est présentée aux mères porteuses potentielles comme une occasion de « donner le don de la vie » et les risques sont minimisés. C’est exactement la raison pour laquelle il est illégal d’acheter et de vendre des organes. Nous savons que si le don d’organes devenait un marché commercial, le besoin d’argent et la possibilité d’aider quelqu’un dans le besoin inciteraient les gens à prendre de sérieux risques pour leur santé. L’argent sape le processus de consentement éclairé. Ce seront toujours les gens qui ont besoin d’argent qui vendront ; les riches seront les consommateurs/acheteurs.

La lecture des contrats de maternité de substitution peut vous faire pleurer, vous mettre en colère et vous faire mal au ventre. J’espère que cela vous convaincra à exiger que la maternité de substitution soit interdite en France. La vérité, c’est que la maternité de substitution est un problème international qui a besoin d’une solution internationale. La réglementation de la maternité de substitution ne protège pas les femmes et les enfants. Cela ne fait que les traiter davantage comme des choses. La solution ne peut être que d’interdire totalement les grossesses sous contrat.

 

(traduction de l’anglais Etats-Unis par le Collectif pour le Respect de la Personne)

 

[1] Présidente du The Center for Bioethics and Culture Network, États-Unis

[2] C’est J. Lahl qui souligne.

[3] Le Health Insurance Portability and Accountability Act (HIPAA), adopté en 1996, décrit les droits du patient; il est consultable sur le site du ministère de la santé (US Departement of Health and Human Services) hhs.gov

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.