Les mères porteuses ….. réflexions

   Jusqu’ici, il a surtout été question de législation, de droit des adultes, de leur peine, voire de « l’injustice » qui les accablerait du fait de ne pas pouvoir avoir/faire d’enfant.

Je vais tenter ici de me placer du côté de l’enfant et vous proposer mes réflexions :

Contribution par Docteur Fanny Cohen Herlem, Psychiatre   Pédopsychiatre

 

Il n’y a pas d’enfant sans parents. Nous devons considérer en premier la façon dont il aura été conçu et le contexte dans lequel il aura été abandonné puis remis à d’autres adultes qui deviennent alors ses « parents ».

Commençons par faire la différence avec l’adoption:

Dans l’adoption, un couple, ou une personne seule se voit confier un enfant tel qu’il est, quelle que soit son origine, avec l’histoire qui le précède et qu’ils ne connaissent pas toujours. Ils le reçoivent comme le leur charnellement et spirituellement, pour toujours, et pour le faire grandir et devenir adulte.

L’enfant abandonné peut être un enfant désiré.

Les adoptants se voient confier des enfants qui n’ont pas moins de deux mois, ce qui correspond au délai de rétractation des parents de naissance. Cet enfant n’a rien d’eux sur le plan génétique.

Dans l’adoption internationale les enfants sont en général beaucoup, plus âgés.

Dans le cas du recours à une mère porteuse, le couple aura préféré, me semble t-il, avoir un enfant bébé, dès sa naissance, et issu de ses gênes au moins partiellement. Donc, comme s’il l’avait fait.

Il y a le risque d’une négation des événements traversés par le fœtus dans le ventre de celle qui le porte*.

La GPA (grossesse pour autrui) ne peut être conçue comme le recours face aux difficultés de l’adoption.

On a pas fait le compte du nombre d’enfants nés ainsi (et pour cause!). Par contre on sait qu’il y a environ 600 à 700 naissances sous le secret en France, par an, et qu’en 2012 1795 enfants nés à l’étranger ont été adoptés.

On a pu évoquer le don d’enfants qui existe dans d’autres cultures. Mais, dans le don d’enfants traditionnel, la relation entre les parents biologiques et l’enfant confié est rarement effacées, le lien persiste, ce qui n’est pas le cas en matière de GPA

Pourquoi pas ?

Dans d’autres cultures existe la polygamie, plusieurs femmes et un seul homme et de nombreux enfants.

Dans la GPA se pose /se posera très vite la question des limites, qui porte quel enfant, pour qui ? L’interdit de l’inceste, fondateur de nos cultures, comment sera t-il préservé ?

A propos de l’enfant et des adultes :

L’enfant rêve d’être la bonne réponse au désir d’enfantement de ses deux parents, d’être le fruit de leur union et c’est ce qui fait le creuset de son développement psychique.

Si l’on trouve des personnes pour penser que la gestation pour autrui doit être légalisée c’est qu’il y a effectivement une demande, mais d’une part faut-il que la société réponde à toutes les demandes du corps social, d’autre part combien de femmes sont-elles prêtes à être mères porteuses ?

La société pense t-elle qu’elle se doit de réparer les « dommages » de la nature ou les « injustices » comme pour les personnes handicapées pour lesquelles, avec ce qui se nomme « la classification internationale de fonctionnement » , il est dit que c’est l’environnement qui crée le handicap? Ceux qui ne peuvent avoir d’enfant doivent-ils être considérés comme des handicapés pour que la société annule, autant que faire se peut, cette différence avec les autres qui peuvent avoir des enfants?

Enfin, peut-on admettre que des femmes préfèrent faire porter leur enfant par une autre pour des raisons « de confort » ?

Posons nous donc quelques questions:

Que pensera un enfant volontairement dépossédé de son lien de filiation à son insu dès avant sa naissance ?

Que pensera un enfant d’avoir été conçu puis porté dans un projet d’abandon concerté dès avant sa naissance ?

L’enfant porté peut-il être considéré comme totalement différent et étranger à la femme qui l’a porté et lui a donné naissance ?

On ne parlera pas ici d’instinct maternel mais plutôt de ce que nous savons à présent, grâce aux avancées de la science, de ce qui se passe entre une mère et son fœtus : Quels échanges, quelles capacités de relation s’instaure au cours d’une grossesse ?

Pour l’enfant de la mère porteuse: quelle sécurité si sa propre mère peut porter un enfant comme elle l’a porté pour l’abandonner ensuite ?

Si, de plus, on lui dit que ce don est un don d’amour cela met tous les enfants en insécurité de pouvoir penser que l’on peut encore les donner « par amour ».

Que peut-on dire de cet amour supposé qui consisterait pour une femme à « prêter » son utérus et à porter l’enfant d’une autre ? On sait qu’il existe des relations  d’amour pathologiques, …

Enfin, qu’en sera t-il pour les parents de l’enfant de leur dette infinie à l’endroit de la femme, du couple qui aura accepté de faire cela pour eux ? Et comment cela pèsera t-il sur le développement psychique de l’enfant ?

Dans cette construction d’un enfant, l’enfant est considéré comme un objet et non comme un sujet. Objet du désir des personnes  en peine de le concevoir et qui ne peuvent/ne veulent renoncer à leur désir. Pas d’épreuve de castration structurante dans ce cas.

L’enfant, pour la femme qui le porte (pour le « donner ») n’est pas le fruit de son désir mais il est le résultat, le produit d’un transfert d’une combinaison de gamètes dans son corps.

L’enfant devient un produit de la science et non pas du désir.

L’enfant, dans la construction de son roman familial, (construction fantasmatique par laquelle le sujet imagine sa filiation) rêve d’avoir eu d’autres parents que les siens, on l’a volé, les autres étaient bien mieux ; ici, une partie du rêve devient réalité le fantasme d’avoir été vendu ou volé risque de s’enraciner dans la réalité de sa provenance…

Le fait d’avoir été « cédé » à d’autres, même s’il est désiré par eux et attendu, porte atteinte au narcissisme de l’enfant.

Le deuil de la mère porteuse pourra t-il se faire et comment ? Les femmes deviendront-elles toutes des figures maternelles potentiellement abandonnantes (comme on peut le voir pour certains enfants abandonnés et adoptés) ?

Venons en au nourrisson.

Que se passe t-il dans une grossesse et juste après la naissance?

Freud disait qu’on ne savait pas encore quel poids avaient les relations entre le fœtus et sa mère. Si l’on ne sait encore que peu de choses, on sait cependant que l’enfant est nourri par le sang de sa mère par l’intermédiaire du placenta qui « appartient » à la mère. On sait également que le fœtus est sensible aux sons, à la lumière, et aux bruits qu’il entend filtrés par le liquide amniotique. Il est également sensible aux mouvements de la femme qui le porte.

Pendant sa grossesse, la femme est inondée d’hormones et son psychisme est modifié. Elle se prépare autant physiquement que psychiquement à l’accouchement et à l’accueil de cet enfant. C’est une forme d’identification de la mère à son nourrisson qui se prépare. Cette identification, lui rendra possible, à la naissance, et si tout se passe bien, d’avoir cette capacité particulière, cette empathie, qui consiste à savoir ce dont son nourrisson a besoin. Cette sensibilité accrue dure les premières semaines qui suivent la naissance et permettent à la mère de renoncer à ses intérêts personnels afin de les diriger sur l’enfant.

Cette « préoccupation maternelle primaire » (Winnicot) conditionne le début de la structuration du Moi de l’enfant.

Le nourrisson est avec sa mère comme dans un œuf qui le protège en lui offrant tout ce dont il a besoin, chaleur et nourriture, mots et affects. Il ne sait pas encore que la mère est un être distinct de lui. Mais elle le protège de stimulis trop  intenses et lui « explique » le monde dans lequel il arrive.

Le nourrisson fait vivre des émotions très intenses à sa mère qui doit pouvoir les supporter et lui renvoyer « filtrées » ces émotions en leur donnant du sens.

C’est ainsi que l’enfant structure peu à peu sa capacité à penser/rêver.

On peut dire que la mère, après avoir assumé la gestation utérine porte son nourrisson dans son esprit et fait ainsi advenir sa vie psychique.

Tout ceci ne s’apprend pas.

(Et ne disons pas que, pour les parents adoptifs, c’est la même chose puisque leur enfant sera arrivé dans d’autres circonstances)

Poursuivons un peu 

Si l’on ne raisonne qu’en termes de Droit :

On aura vite fait de se retrouver devant des problèmes «d’accès» aux droits par ceux que la Loi ne dira pas éligibles. L’on sait que cela donnera évidemment lieu à des recours devant les tribunaux, français d’abord puis européens, et la loi française, restrictive, se devra d’être changée en faveur de ceux qui l’auront demandé, plus ou moins tard.

A jouer ainsi uniquement sur le législatif et en voulant éliminer tout le subjectif, (et pourtant nous sommes tous des sujets pensants), on court le risque d’en venir à des extrêmes.

Je pense également à l’arrivée d’ici peu de temps des utérus artificiels. Les femmes/mères auront ainsi disparu, les hommes/pères également et il faudra à nouveau légiférer puisque les citoyens voudront là encore être égaux devant ces possibilités techniques de procréation….Parions que l’existence des mères porteuses pour tous (ne rêvons pas aux restrictions de la Loi) ouvrira cette possibilité/exigence.

Orwell aura donc décrit avec un peu d’avance ce qui arrivera, pas pour nous, mais pour nos enfants et nos petits enfants. Il me semble que nous devons d’être responsables devant les générations futures de ce que nous leur préparons avec tant d’application….

* Mais nous pouvons ajouter à la –lumière des dernières connaissances scientifiques, que l’épigénétique a une place importante dans la transmission foeto-maternelle, d’une part et que la découverte de la mémoire implicite, mémoire qui loge dans l’hippocampe et qui existe avant le langage change également la donne quant aux échanges entre mère qui porte un enfant et enfant pendant la grossesse.

 

Docteur Fanny Cohen Herlem
Psychiatre   Pédopsychiatre

 

 

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