Par Jocelyne Fildard, Ana-Luana Stoicea-Deram
Monsieur le Président,
Le 15 mars 2016, la Commission des questions sociales de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, réunie à huis clos à Paris, a rejeté le projet de rapport, assorti de propositions de résolution et de recommandation, préparé par Madame la Sénatrice Petra De Sutter, sur le thème « Droits de l’homme et questions éthiques liées à la gestation pour autrui ».
Ce projet, qui consistait à demander au Conseil de l’Europe d’avaliser et de légitimer la pratique de la gestation pour autrui sous couvert notamment de régulation au travers de « guidelines » avait suscité une grande émotion et inquiétude de la part de nombreuses associations de défense des droits humains, et des droits des femmes en particulier.
Ainsi, 47 organisations non gouvernementales de différents pays d’Europe, avaient signé un appel en faveur d’une abolition universelle de la maternité de substitution et demandaient au Conseil de l’Europe de travailler à la défense des droits humains, en l’occurrence la dignité des femmes et des enfants.
C’est pourquoi les associations signataires ont appris avec stupéfaction que la rapporteure avait été chargée de présenter un nouveau rapport sur cette question, toujours dans une optique favorable à la GPA sous le masque de la question de l’intérêt des enfants ou d’une hypocrite distinction entre une GPA qui serait « commerciale » et une autre qui serait « altruiste » et donc légitime.
Il s’agit là d’un coup de force antidémocratique qui n’est pas acceptable.
Il n’est pas acceptable que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe aborde à huis clos, sans information adéquate de la société civile, un sujet aussi sensible que celui de la maternité de substitution.
C’est d’autant moins acceptable que la rapporteure du projet se trouve en situation de conflit d’intérêt, contrairement aux règles de fonctionnement de l’Assemblée parlementaire: non seulement Mme De Sutter dirige un service hospitalier pratiquant la gestation pour autrui, ce qui lui donne un intérêt professionnel incompatible avec toute neutralité sur le sujet, mais en outre son service collabore avec la clinique indienne Seeds of Innocence, où la maternité de substitution (ouvertement commerciale) est pratiquée et qui met en avant sur son site internet sa collaboration avec Mme De Sutter comme argument pour ses clients internationaux de GPA.
Il y va de la confiance du public dans les travaux de l’Assemblée parlementaire, en un temps où la transparence des institutions est un sujet de préoccupation légitime des citoyennes et citoyens européens.
Il ne serait pas acceptable, surtout, que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avalise et légitime, sous couvert de régulation et en instrumentalisant la délicate question de l’intérêt des enfants, le développement du marché mondialisé de la maternité de substitution.
Cette pratique constitue dans son principe même une atteinte aux droits fondamentaux : un processus dans lequel une femme met à disposition durant neuf mois l’ensemble de sa vie physique et psychique pour porter et mettre au monde un enfant remis à la naissance à ses commanditaires est une prise de possession du corps d’autrui qui n’a pas de précédent depuis l’abolition de l’esclavage. Le droit à la santé est bafoué: que sait-on des effets immédiats et à long terme des « traitements hormonaux » nécessaires à cette grossesse artificielle? Cette question est systématiquement occultée.
La distinction entre une gestation pour autrui qui serait « commerciale » et une autre qui serait « altruiste » est une pure hypocrisie: c’est bien par l’argent que l’on extorque le consentement de la mère porteuse, quand bien même le paiement serait déguisé en simple « compensation », et la pression psychologique intrafamiliale ou entre amies n’est pas moins redoutable que celle de la nécessité financière.
Les bénéficiaires de la maternité de substitution, commanditaires et professionnels qui en tirent profit, mettent en danger la santé physique et psychique de la mère porteuse, dont les intérêts passent systématiquement après ceux des commanditaires, ainsi que la jouissance de ses droits les plus élémentaires, tels que la maîtrise des décisions relatives à sa santé. La multiplication des scandales montre suffisamment, notamment, que l’autonomie juridique de la mère porteuse est vidée de toute substance compte tenu des graves conséquences qu’elle subit lorsqu’elle ose s’opposer à la volonté des commanditaires.
Ils mettent également en danger la santé psychique de l’enfant transformé en objet de contrat, dont on peut disposer comme d’une chose qui serait dans le commerce au mépris des liens tissés avec sa mère durant la grossesse.
Une telle pratique d’exploitation est contraire au droit international et européen de protection des droits humain, et en particulier, mais pas exclusivement, contraire à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes, les textes internationaux et européens sur la lutte contre la traite, ainsi que la convention d’Oviedo qui interdit de faire du corps humain une source de profit.
Enfin, étant donnés les liens que le Conseil entretien avec l’Union européenne, nous rappelons que le Parlement européen, dans son rapport sur les droits humains pour 2014, « condamne la pratique de la gestation pour autrui qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme » (§114).
Nous vous remercions, Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire, d’assurer par votre action le respect des droits humains et de la dignité de chaque personne.