Deux notions sont couramment évoquées pour décrire certaines pratiques d’exploitation des êtres humains : la Traite et le Trafic. Il convient dans un premier temps d’en clarifier le contenu pour ensuite s’interroger sur leur pertinence pour qualifier la maternité de substitution.
Le Trafic (human smuggling)
Définition
La notion de trafic est définie dans le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [1] adopté en 2000, comme « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un États Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de l’état ».
Le transport illicite de personnes, est une condition suffisante pour qualifier un activité de trafic, sans qu’il y ait nécessairement exploitation. « Dans de nombreux cas, la facilitation de la migration irrégulière à des fins lucratives, bien que constituant un crime, n’expose pas les migrants à des menaces pour leur vie et leur sécurité » comme le précise l’ONUDC[2], Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.
Le code pénal espagnol, dans un chapitre traitant de « l’Accouchement présumé et modification de la parentalité, du statut ou de la condition de l’enfant » en son article 221.1 et 2, définit de façon très claire, le trafic d’enfant comme le fait que « toute personne qui remet un enfant, un descendant ou tout mineur à une autre personne, même s’il n’existe aucun lien de filiation ou de parenté, en échange d’une compensation financière, et en contournant les procédures légales de tutelle, de placement familial ou d’adoption, dans le but d’établir un lien similaire à celui de la filiation, sera puni d’une peine . d’emprisonnement […] 2. La même peine est infligée à la personne qui reçoit l’enfant et à l’intermédiaire, même si la livraison de l’enfant a eu lieu dans un pays étranger. » [3]
La maternité de substitution transfrontière peut, dans de nombreux cas, être assimilée au trafic d’enfant mais aussi à la vente d’enfants
Selon les textes précités qui définissent la notion de trafic comme non nécessairement liée à des situations d’exploitation, le traitement des enfants dans la GPA peut être assimilable au trafic d’enfants. C’est le cas lorsque les commanditaires et /ou les intermédiaires font entrer un enfant issu de GPA sur le territoire d’un pays où la GPA est prohibée et, selon le code civil espagnol, potentiellement, tout transfert de filiation rémunéré.
La gestation pour autrui relève, aux vu des textes internationaux, non seulement du trafic d’enfants mais aussi de la vente d’enfants
- La rapporteuse spéciale de l’ONU « sur la vente et l’exploitation sexuelle des enfants, y compris la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et d’autres contenus » a reconnu dans son rapport d’étape 2018[4] que « la maternité de substitution relève de la vente d’enfants dès lors que la mère porteuse ou un tiers reçoit une rémunération ou tout autre avantage en échange du transfert d’un enfant. »
- Dans le cadre de la gestation pour autrui, le futur enfant est attribué aux clients avant la conception, ce qui est assimilable à la vente d’enfante par la « Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale »[5]. Dans son article 4, elle exige en effet que le consentement des parents biologiques, et en particulier celui de la mère [qui donne naissance à l’enfant], soit obtenu après la naissance de l’enfant afin d’empêcher la contrebande, la vente ou le trafic d’enfants.
- Le « Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants »[6] définit, selon l’article 2, la vente d’enfants comme « tout acte ou transaction par lequel un enfant est remis par une personne ou un groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe de personnes moyennant rémunération ou toute autre contrepartie », ce qui est bien le cas dans la GPA.
La Traite des personnes (human trafficking)
Définition et évolution
Bien qu’il n’existe pas de définition universelle de la traite des êtres humains, des textes tentent d’y remédier. Il s’agit du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté en 2000[7], texte qui a servi de base à la définition que l’UE a inclus dans sa directive anti-traite de 2011[8]. « la traite, pour être qualifiée d’activité délictuelle doit répondre à 3 critères distincts :
- L’activité : qui consiste en le recrutement, le transport, l’accueil ou l’accueil de personnes ;
- Les moyens : y compris la menace ou le recours à la force, la tromperie, la coercition, l’abus de pouvoir, la position de vulnérabilité ; et ;
- L’objectif : l’exploitation des victimes de la traite.
En tout état de cause, le consentement de la victime à l’exploitation envisagée n’est pas requis si l’un au moins des moyens ci-dessus a été utilisé. Dans le cas des enfants victimes de traite, le critère de moyen n’est pas même nécessaire.
La traite des êtres humains n’est pas un phénomène nouveau, mais elle a pris de nouvelles dimensions dans le contexte de la mondialisation et a été facilitée par une mobilité accrue, et le développement des nouvelles technologies. Une des raisons pour lesquelles la traite des personnes est une activité de plus en plus florissante est le fait qu’elle comporte peu de risques et génère d’importants profits. En outre, les victimes, généralement parce qu’elles se sentent vulnérables, inférieures ou par peur, hésitent à porter plainte ou alerter les autorités, les trafiquants ne sont presque jamais poursuivis.
Bien que la traite à des fins d’exploitation sexuelle demeure la forme la plus fréquente de traite des personnes, dans le contexte social international actuel, de nouvelles formes de traite sont apparues. Plus précisément, Europol dans son évaluation 2021[9] de la menace que représente la grande criminalité organisée dans l’UE (SOCTA 2021), fait référence à « la participation forcée à des activités criminelles, à la mendicité contrainte et à l’obtention d’avantages économiques et sociaux en utilisant leur identité, au trafic pour le prélèvement d’organes et de tissus. » Il souligne que les femmes sont aussi victimes de la traite pour participer à des programmes illégaux de maternité de substitution, vendre leurs nouveau-nés, conclure des mariages blancs et être victimes d’esclavage domestique. et exprime, en effet, que ce sont des femmes en situation de vulnérabilité.
Les facteurs contribuant à la traite des êtres humains comprennent la pauvreté, la difficulté d’accès au travail, le manque de sécurité sociale et d’éducation, les inégalités basées sur le sexe, les conflits et la violence, en plus des promesses trompeuses de meilleures conditions de vie. Malheureusement, la maternité de substitution, comme d’autres formes de traite, est ancrée dans l’économie mondiale.
Le rapport de l’ONUDC de 2020[10] part de l’analyse des cas judiciaires de traite, pour montrer que la plupart des victimes se trouvaient dans une situation de vulnérabilité dérivée de l’impossibilité de voir leurs besoins les plus élémentaires satisfaits. Les victimes sont recrutées à un moment de leur vie où elles éprouvent des difficultés économiques persistantes et sont donc prêtes à prendre un niveau de risque élevé, car elles ont peu à perdre.
En outre, la traite des êtres humains comporte clairement une dimension sexo-spécifique. Les femmes et les hommes ne sont pas victimes de la traite de la même manière ou dans le même but. La position des femmes dans les sociétés diffère de celle des hommes, tout comme les rôles sexués perçus comme le résultat de croyances socioculturelles. La différence de pouvoir économique, social ou politique entre les hommes et les femmes, souvent en raison de la discrimination fondée sur le sexe, peut accroître la vulnérabilité des femmes à la traite des êtres humains. Malheureusement, l’anatomie des corps féminins adaptée à l’enfantement, leur sexualisation, sont une réalité, les femmes, dans tous les pays du monde, de différentes manières et à différentes échelles, se trouvent toujours de ce fait, dans une position défavorisée qui les rend particulièrement vulnérables à l’exploitation, notamment sexuelle et reproductive.
La maternité de substitution transfrontière peut être qualifiée de traite humaine des femmes en vue de leur exploitation reproductive
Plus que le trafic, qui implique le déplacement de population, mais pas leur exploitation, il nous semble que la GPA remplit tous les critères qui permettent de qualifier une activité de traite humaine :
En effet :
- (critère N°1 : activité).
Les mères porteuses sont recrutées par les agences ou, dans certains cas, directement par les commanditaires qui prennent langue avec elles via les réseaux sociaux et internet.
Elles peuvent être « transportées », lorsque les agences proposent de :
-
- déplacer les mères porteuses au pays des commanditaires pour le confort de ces derniers ;
- les déplacer dans un autre pays, pour contourner les réglementations locales, (cas du déplacement des mères porteuses ukrainiennes vers Chypres..) ;
- leur imposer une mobilité intérieure pour faciliter leur contrôle et le monitoring de leur grosses au profit des commanditaires.
- (Critère N° 2 : moyens).
Le « consentement » des mères porteuses à entrer dans cette pratique repose souvent de la tromperie- Ignorance dans laquelle on les tient du haut niveau de risques spécifiquement associés à cette pratique (pré-éclampsie, diabète gestationnelle, perte d’utérus, perte de potentiel de capacité reproductive avec le recours à la césarienne demandé par les commanditaire ou imposé par les agences, mort…) ;
- présentation mensongère de cette pratique comme progressiste, exemplaire, sans innocuité … par le marché et ses bras armés : lobby, commanditaires, agences, juristes … sur fonds de stéréotypes ;
La position de vulnérabilité sociale et économique des femmes appelées à s’impliquer dans cette pratique en tant que mères porteuses est largement prouvé.
- (Critère N°3 : objectif).
La maternité de substitution est une atteinte à la dignité humaine, et elle donne lieu à l’exploitation de la capacité reproductive des femmes, au bénéfices de tiers et pour le profit des acteurs impliqués dans cette traite humaine : agences, psychologues, juristes, cliniques, ……
Il existe un énorme manque de connaissances de la part des autorités des différents pays sur ce type de traite à des fins d’exploitation reproductive. En outre, les victimes ne se manifestent pratiquement jamais, car le processus de gestation et transfert de l’enfant aux commanditaires est accompagné d’une compensation financière, et dans le cas où cela se passe mal, rares sont celles qui osent porter plainte ou dénoncer la situation parce qu’elles n’en ont ni les moyens ni les connaissances nécessaires.
Le recours à la maternité de substitution, en tant qu’acte délictueux, voire criminel par nature est à proscrire mondialement
Tant qu’il y aura des pays dans lesquels la maternité de substitution est tolérée ou légale, que ce soit commercialement ou de façon réputée « altruiste », la traite des femmes à des fins d’exploitation reproductive et le trafic d’enfants ne pourront que perdurer et se développer.
Tant que le transfert de filiation de la mère porteuses aux parents commanditaires sera considéré comme non répréhensible bien que relevant de la vente et de l’achat d’enfants, tant qu’il sera organisé, voire encouragé au prétexte de l’intérêt supérieur de l’enfant, il y aura trafic d’enfants.
Tant que les intermédiaires et protagonistes du processus de GPA ne seront pas incriminés en tant qu’acteurs ou complice de trafic d’enfants et de traite humaine, la pratique se développera au détriment de notre humanité commune.
Par conséquent, la seule option valable est l’abolition mondiale de la maternité de substitution sous l’une ou l’autre de ses formes.
Sources
Directive 2011/36/UE EUR-Lex – 32011L0036 – FR – EUR-Lex (europa.eu)
Stratégie 2021-2025 pour lutter contre la traite des êtres humains de la Commission européenne
Rapport mondial des Nations Unies sur la traite des personnes 2020 Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (unodc.org)
Rapport Europol 2021 https://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/socta2021_1.pdf
———————————
[1] https://treaties.un.org/doc/Treaties/2000/11/20001115%2011-21%20AM/Ch_XVIII_12_bp.pdf
[2] https://www.unodc.org/e4j/zh/tip-and-som/module-12/key-issues/children-on-the-move–smuggling-and-trafficking.html
[3] https://www.boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-1995-25444
[4] https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/007/72/PDF/G1800772.pdf?OpenElement
[5] https://assets.hcch.net/docs/8fefcb0a-9479-426e-9830-31827ed22c74.pdf
[6] https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/optional-protocol-convention-rights-child-sale-children-child
[7] Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée . Dont l’objectif est de prévenir et de combattre la traite des personnes, en mettant l’accent sur les femmes et les enfants. Protéger et assister les victimes de ce trafic, dans le plein respect de leurs droits humains ; et. Promouvoir la coopération entre les États parties pour atteindre les objectifs de la convention. https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/protocol-prevent-suppress-and-punish-trafficking-persons
[8] Directive 2011/36/EU of the European Parliament and of the Council of 5 April 2011 on preventing and combating trafficking in human beings and protecting its victims, and replacing Council Framework Decision 2002/629/JHA http://data.europa.eu/eli/dir/2011/36/oj
[9] Rapport Europol
https://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/socta2021_1.pdf
Page 73 :
LA CRIMINALITÉ FORCÉE ET D’AUTRES FORMES D’EXPLOITATION
Les trafiquants abusent de leurs victimes pour les forcer à mendier, les impliquer dans la criminalité forcée, leur imposer un prélèvement d’organes et de tissus et, parfois, pour obtenir des avantages financiers et sociaux en utilisant leur identité. Les femmes sont également victimes de la traite pour participer à des programmes illégaux de maternité de substitution, vendre leurs nouveau-nés, conclure des mariages blancs et être victimes d’esclavage domestique. Comme pour les autres types de traite des êtres humains, le recrutement des victimes se fait de plus en plus en ligne.
Les victimes sont attirées par de fausses offres d’emploi, des annonces de mariage avec des étrangers et des offres d’achat de bébés. La plupart des victimes de la traite sont des sans-abri, des personnes souffrant d’un handicap mental ou physique, des parents isolés avec des enfants. ou sont âgées.
[10] Rapport mondial des Nations Unies sur la traite des personnes 2020