Par Ana-Luana Stoicea-Deram, Jocelyne Fildard
Le 21 septembre, le Conseil de l’Europe examinera un rapport sur la gestation pour autrui (GPA). Son auteure y préconise de reconnaître et d’encadrer la GPA pour deux raisons principales. D’abord, parce qu’elle serait inéluctable : pratiquée dans plusieurs pays à travers le monde, elle est désormais trans-nationale. Ensuite, parce qu’on peut trouver des femmes qui veulent être mères porteuses – les femmes seraient en effet, par nature, généreuses et « altruistes ». La rapporteure recommande par ailleurs de bannir la pratique commerciale, et d’encadrer ce qu’elle appelle la GPA familiale, amicale, altruiste.
Autrement dit, elle encourage les personnes qui cherchent une mère porteuse à se tourner vers leur entourage pour en dénicher une. Si quelques-unes des femmes sollicitées de la sorte ont pu accepter de le faire -telle femme a porté l’enfant de son fils, telle autre celui de sa fille, telle autre encore celui de sa mère-, il est peu probable que tous ceux et toutes celles qui chercheront une mère porteuse, en trouveront parmi leurs proches. On peut aisément imaginer les tensions familiales, la pression qui s’exercera sur les femmes récalcitrantes et qui finira bien par les faire consentir à être altruistes… Pendant longtemps, on a considéré que les femmes se dévouaient à leurs familles et à leurs proches par charité et par esprit de sacrifice. On sait aujourd’hui qu’elles y étaient maintenues par une domination masculine qui les a longtemps empêchées d’avoir accès à leur propre argent, et d’exercer librement des activités professionnelles. Evoquer « l’altruisme » et la « générosité » innées des femmes, c’est s’aveugler devant les stratégies de pression et de pouvoir par lesquelles on s’assure de leur consentement. Par ailleurs, donner de l’espoir aux personnes qui veulent avoir recours à une mère porteuse, c’est aussi nourrir l’offre commerciale, qui prospère.
Le Conseil de l’Europe se verra ainsi incité à réglementer l’exploitation consentie des femmes, leur transformation volontaire en corps gestationnels, pour le bonheur de leurs proches et de leurs ami.e.s.
Mais la gratuité de l’acte consenti par la mère porteuse ne veut pas dire oublier les profits de cette pratique qui rapporte des milliards. En effet, si altruisme il y a, ce sera celui de la « femme porteuse ». En revanche, ce dont on ne parle pas, ce sont les énormes honoraires des avocats qui conseillent parents d’intention et femmes « gestatrices », des agences de recrutement, des cliniques et de tous les autres agents économiques qui tirent profit de « l’altruisme » des femmes.
Il faut rappeler que la rapporteure est une militante et une professionnelle de la GPA. Sénatrice en Belgique, elle y promeut une législation favorable à cette pratique. Médecin gynécologue, elle a accompagné des mères porteuses. Enfin, si dans son rapport elle parle de « GPA altruiste », elle collabore à titre professionnel avec une clinique indienne de GPA commerciale (la clinique Seeds of innocence ; en mars, la rapporteure déclarait à ce sujet: « J’ai accepté de collaborer avec cette clinique pour que les questions éthiques y soient de plus en plus prises en compte » La Libre Belgique, 13/03/16).
Le conflit d’intérêts n’est-il pas évident?
Ce lien très clair entre GPA commerciale et GPA « altruiste » est d’ailleurs présent dans son rapport. La rapporteure recommande au Conseil de l’Europe d’admettre la GPA altruiste, et en même temps de « rapprocher les différentes juridictions dans la lignée des travaux menés au niveau mondial par la Conférence de La Haye de droit international privé» (La Libre Belgique, 13/03/16). Or, cette institution défend les intérêts des lobbys, ses rapports en vue d’établir une convention internationale pour la GPA s’appuient sur les points de vue des avocats conseils, des agences de maternités de substitution et des professionnels de santé -aucune association de défense des droits des femmes n’a été consultée, par exemple. En faisant admettre le principe d’une GPA dite altruiste, basée sur l’exploitation consentie des femmes, le rapport qu’examinera le Conseil de l’Europe proposera donc de suivre la future convention internationale que rédigera la Conférence de la Haye, et qui organisera la perpétuation de l’exploitation commerciale de femmes que l’on désigne désormais comme « porteuses », ou « gestatrices ». Mais les êtres humains ne sont pas des outils ou des instruments; on ne doit pas pouvoir les réduire à une fonction.
Le Conseil de l’Europe est garant du respect des droits humains. Espérons qu’il continuera à considérer les femmes comme des êtres humains, et non pas comme des « gestatrices » ou des « porteuses ».
Pour aller plus loin :
La CADAC, la CLF et le CoRP, avec le soutien de plusieurs dizaines d’associations féministes et de droits des femmes, appellent à un rassemblement devant le Conseil de l’Europe, mercredi 21 septembre, à 9h.
Cette tribune est également signée par Nota Tenenbaum, Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (CADAC).
https://www.huffingtonpost.fr/analuana-stoiceaderam/femmes-gpa_b_12084056.html?utm_hp_ref=fr-gpa