Michelle Reaves est décédée mercredi 15 janvier, à San Diego (California), des suites d’un accouchement. Elle venait de donner la vie à un enfant qu’elle avait porté et mis au monde à l’intention d’un couple, pour qui elle avait déjà été mère porteuse une fois. Michelle Reaves était la mère de deux jeunes enfants, qui se retrouvent désormais orphelins de mère.
Morte en GPA, Michelle Reaves était une femme aimée, une amie appréciée. C’est ainsi que sa mort a été connue : l’une de ses amies, souhaitant aider le mari et les enfants endeuillés, a lancé une cagnotte.
Mais de toute évidence, cette nouvelle n’intéresse pas les médias américains : les quelques journaux qui ont relayé l’information, ont repris uniquement le message de Jaime Herwehe, l’amie à l’origine de la cagnotte. Aucun journaliste n’a pensé à demander à l’hôpital la cause de la mort, ou les modalités d’aide à la famille.
La famille de Michelle est aidée par la charité des inconnus. Et non pas par le contrat américain de GPA. Elle est aidée, fort heureusement, de manière plus substantielle que ne l’a été la famille de Premila Vaghela, cette mère porteuse indienne décédée en 2012, à 8 mois de grossesse, en portant pour une femme américaine un enfant (qui a pu être sauvé). La famille de Premila, son époux et ses deux enfants, ont été laissés à l’abandon, puisque le contrat mentionnait clairement qu’en cas de problème de santé, la mère porteuse et son mari assumaient tous les risques. La famille de Brooke Brown, morte en GPA à 34 ans (ainsi que les enfants qu’elle portait), a elle aussi été très peu soutenue suite à son décès. Les contrats de GPA prévoient le risque de mort de la mère, et protègent les commanditaires de l’enfant, pour qu’ils/elles n’aient rien à payer en plus, au cas où ce risque adviendrait.
Quand la GPA tue, elle tue en silence. Et personne, parmi ceux qui encaissent les énormes profits qu’elle génère, n’a intérêt à faire connaître de manière honnête les risques que les mères et les enfants encourent.
Pire encore : la GPA tue en silence, parce que les personnes qui connaissent ses méfaits ont peur d’en parler. La famille de Premila Vaghela, pauvre et vivant dans le dénuement, a refusé de parler à la presse. A la suite du décès de Brooke Brown, il apparaît que des mères porteuses américaines connaissaient d’autres cas de décès de mères, à différentes étapes de la grossesse, mais que personne n’en parlait. Après le décès de Michelle Reaves, une ancienne mère porteuse a contacté le Center for Bioethics and Culture (situé en Californie et qui agit pour stopper la GPA), pour l’informer qu’en février 2017 une autre mère porteuse est décédée, une fois rentrée chez elle, des suites de l’accouchement. Les autres mères porteuses qui la connaissaient en ont été informées par l’agence, qui leur a interdit d’en parler – d’ailleurs, cette femme a demandé à garder l’anonymat, par peur de poursuites.
Il y a quelques années, j’apprenais, sous réserve de confidentialité là aussi, la naissance d’un enfant mort-né, dans une clinique privée d’un beau quartier parisien. Les commanditaires de l’enfant avaient amené dans cette clinique la femme enceinte de « leur » enfant ; originaire d’un pays balte, jeune, ne parlant pas le français, mais seulement un peu d’anglais, cette femme a vécu une tragédie. Isolée par les « parents » et par le médecin qui l’avait « soignée », elle ne pouvait parler à personne. Le personnel soignant avait peur d’en parler; peur de déplaire au médecin.
Car si la GPA tue en silence, c’est que celles et ceux qui savent qu’elle peut tuer les mères et les enfants, n’ont aucun intérêt à en parler. Et parce qu’ils et elles savent aussi que la santé des femmes n’intéresse pas grand monde.
Personne ne saurait dire combien de femmes sont mortes en GPA. Ni combien d’enfants, à l’instar des jumeaux portés par Brooke Brown. Pour la simple raison que personne ne prévoit, nulle part, l’accompagnement médical des femmes ayant accouché comme mères porteuses. Personne ne cherche à savoir pourquoi des femmes meurent, des suites de couches, dans une grossesse GPA. Ni aux États-Unis, ni en Ukraine, ni en Grande-Bretagne, ni en Grèce – pays où cette pratique indigne est légale. Et encore moins dans les pays où elle est illégale, comme en France : combien de médecins qui font accoucher, en France, des femmes étrangères, en sachant qu’elles accouchent « pour » des Français, comme cette femme bulgare, ayant accouché en Gironde il y a quelques années, combien de médecins s’intéressent à la santé de la femme, après l’accouchement ? Surtout quand ils savent pertinemment que les commanditaires vont la faire repartir très rapidement.
La GPA tue sans demander d’avis à la Cour européenne des droits de l’homme, sans faire appel à la Cour de cassation, sans solliciter de convention de réglementation de la vente d’enfants à la Convention de droit international privé de La Haye.
Pourtant, les juges de la CEDH aussi bien que ceux de la Cour de cassation, comme les experts et autres consultants de la Convention de La Haye, savent que la GPA tue. Ils et elles le savent très précisément, puisque des associations les en ont informés, à plusieurs reprises. Et que ces juges, experts et consultants préfèrent toujours garder le silence.
Si la GPA tue, c’est parce qu’on la laisse faire. Parce qu’on accepte de ne rien dire. Parce qu’on cherche à faire plaisir aux entrepreneurs de cette industrie et aux commanditaires, dont la presse relate complaisamment la satisfaction, au mépris de toute véritable investigation sur les risques encourus par les mères, au mépris de la prise en compte des droits humains.
Ni les mères porteuses ni les enfants morts en GPA n’ont d’amis dans la presse, et encore moins les moyens de mener des campagnes de communication à l’aide de force agence spécialisée.
Le silence doit cesser. La vie humaine n’a pas de prix, et les marchands de l’humain n’ont pas à imposer leur loi du silence.
La GPA tue, c’est un fait. Elle tue des femmes et des enfants, et elle continuera à le faire tant qu’on ne l’arrête pas.
Ana-Luana Stoicea-Deram
Militante féministe