Ce texte rédigé par Berta O. Garcia a été transmis à Reem Alsalem, Rapporteure spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles
Définition la Gestation Pour Autrui, appelée également Grossesse Pour Autrui (GPA)
Tout d’abord, il convient de définir ce qu’est la gestation pour autrui – ou quel que soit le nom donné à cette pratique – afin de préciser qu‘il ne s’agit en aucun cas d’une technique de procréation médicalement assistée, mais d’une pratique sociale consistant à recruter une femme, avec ou sans rémunération, pour qu’elle porte et mette au monde un ou plusieurs enfants, conçus ou non avec ses propres ovules, dans le but de les remettre à une ou plusieurs personnes qui souhaitent être désignées comme leurs parents, en obtenant le transfert de la filiation à leur nom et en effaçant la mère qui les a mises au monde.
La traite humaine est définie juridiquement dans le protocole de Palerme
On entend par traite des personnes le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par le recours à la menace, à l’utilisation de la force ou à d’autres formes de contrainte, à la fraude, à la tromperie, à l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, à l’octroi ou à l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, à des fins d’exploitation. Le consentement donné par la victime de la traite des personnes à toute forme d’exploitation intentionnelle décrite de quelque manière que ce soit n’est pas pris en considération lorsque l’un des moyens énumérés ci-dessus a été utilisé.
Cette définition juridique de la traite des personnes est introduite dans le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, un protocole à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Communément appelé Protocole contre la traite des personnes ou Protocole de Palerme (1) ,il est l’un des trois protocoles adoptés par les Nations unies à Palerme, en Italie, en 2000. Il est entré en vigueur le 25 décembre 2003 et, en 2022, il avait déjà été ratifié par 180 États parties.
Le Protocole contre la traite des personnes est le premier instrument international juridiquement contraignant pour les États parties et le premier texte juridique international qui établit une définition de la traite fondée sur les comportements, les moyens et les finalités.
La traite des personnes implique des comportements tels que le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes en situation de vulnérabilité, et des moyens tels que la menace ou l’usage de la force ou d’autres formes de contrainte, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou l’acceptation d’un paiement ou d’un avantage, dans le but d’obtenir le consentement d’une personne à des fins d’exploitation. Le consentement donné par la victime n’est pas pertinent.
La tromperie dans le recrutement de femmes à des fins d’exploitation reproductive dans la GPA
La gestation pour autrui est une forme de traite des êtres humains dans la mesure où toutes les femmes sont recrutées pour devenir des « mères porteuses » par le biais de la tromperie suivante :
- Qu’elles ne sont pas les mères des enfants qu’elles mettent au monde ;
- Que les enfants qu’elles mettent au monde ne sont pas leurs enfants ;
- Qu’étant donné qu’elles ne sont pas les mères de ces enfants, elles ne les vendent ni ne les donnent, mais les rendent simplement à leurs parents (les commanditaires, en réalité) une fois qu’elles ont accouché, après avoir mené à terme la grossesse ;
- Que le processus auquel elles vont se soumettre est une technique de procréation médicalement assistée, conférent à cette pratique une aura d’autorité scientifique. Bien que ce processus puisse impliquer des techniques de procréation médicalement assistée, telles que la fécondation in vitro, l’insémination artificielle ou le transfert d’embryons, la gestation pour autrui en tant que telle, avec ses multiples acteurs étrangers au domaine médical, ne peut être qualifiée de technique de procréation médicalement assistée.
Le recrutement par tromperie de femmes à des fins d’exploitation reproductive est intrinsèque à la gestation pour autrui ou à tout euphémisme utilisé pour désigner cette pratique sociale qui consiste à mettre une femme fertile enceinte afin qu’elle remette son enfant nouveau-né à ceux qui le lui ont commandé par contrat verbal ou écrit, qu’elle soit rémunérée ou non et quelle que soit la méthode utilisée pour la mettre enceinte : insémination naturelle ou artificielle, fécondation in vitro et transfert d’embryons.
Sans cette tromperie lors du recrutement, il n’y aurait pas de gestation pour autrui.
Sans cette tromperie, il n’y aurait pas d’industrie.
Cette tromperie est systémique dans la gestation pour autrui.
On trompe les femmes et on les convainc.
Très peu de femmes vendraient ou donneraient leurs enfants si elles étaient conscientes qu’ils sont les leurs. On trompe ces femmes et on les convainc que, n’impliquant pas leur matériel génétique, elles ne sont pas les mères de l’enfant qu’elles mettent au monde et qu’elles doivent donc le remettre aux commanditaires, qui sont ceux qui ont fourni les gamètes, donnés ou achetés, pour constituer l’embryon qui est transféré à la mère porteuse.
Cette fiction repose sur une confusion entre biologie et génétique : la grossesse est un processus biologique, de sorte que la femme enceinte est la mère biologique et que le donneur de sperme a, sans aucun doute, un lien génétique avec la personne née, mais, étant étranger à la grossesse, il est trompeur de le désigner comme parent biologique. Il est encore plus erroné d’extrapoler cette confusion à la femme, en la considérant comme mère biologique uniquement si elle a apporté son patrimoine génétique.
Pourquoi devraient-elles alors renoncer à la filiation si, comme on l’affirme, elles ne sont pas les mères des enfants ? Toutes les mères porteuses, quelle que soit la législation ou le modèle (commercial ou altruiste), doivent renoncer avant ou après l’accouchement à la filiation maternelle – car dans tous les pays du monde, la filiation maternelle est déterminée par l’accouchement – et à être titulaires des droits et obligations qui découlent de l’autorité parentale, ainsi que des avantages sociaux liés à la maternité, tels que le congé ou l’allocation de maternité, la réduction du temps de travail pour allaitement pour les mères qui travaillent et d’autres avantages fiscaux.
Depuis que la fécondation in vitro et le transfert d’embryons se sont révélés efficaces à la fin des années 70 du siècle dernier et se sont généralisés en tant que techniques de procréation assistée, ils ont servi à deux fins opposées :
- Pour réaffirmer le lien entre la conception, la grossesse et l’accouchement et la maternité. Pour dire à certaines femmes qu’elles sont bien les mères des enfants qu’elles mettent au monde, même si elles ne portent pas leur charge génétique, car la maternité est déterminée par l’accouchement, ce qui est incontestable dans tous les pays du monde. C’est ce que les cliniques de reproduction transmettent aux patientes souffrant de problèmes de fertilité qui viennent de leur propre initiative pour se faire soigner.
- Pour dissocier la conception, la gestation et l’accouchement de la maternité, en disant aux mères porteuses qu’elles ne sont pas les mères des enfants qu’elles mettent au monde parce qu’elles ne portent pas leur charge génétique et qu’elles doivent renoncer à la filiation et à l’enfant et les céder aux commanditaires. C’est ce que les agences et les cliniques transmettent aux mères porteuses et à leurs clients, qui seront reconnus comme pères et mères, même si leur seule contribution consiste à fournir un échantillon de sperme,des ovules, donnés ou achetés, à signer un contrat et à mettre de l’argent sur la table.
La contrainte dans le recrutement de femmes à des fins d’exploitation reproductive
La gestation pour autrui relève de la traite des êtres humains dans la mesure où toutes les femmes sont recrutées pour devenir mères porteuses sous la contrainte. Le stéréotype sexiste qui présuppose chez les femmes une inclination innée au sacrifice pour les autres et les éduque dans ce sens constitue un facteur de vulnérabilité. La contrainte peut opérer sur les plans psychologique, culturel, familial, émotionnel, social, religieux et, surtout, économique, car la rémunération ou la compensation constituent une incitation importante, sinon la plus importante, au moment de donner son consentement pour devenir mère porteuse.
La principale vulnérabilité des femmes est d’ordre économique. La féminisation de la pauvreté est mondiale, les femmes étant les plus touchées par le chômage, la précarité des contrats, l’emploi temporaire et à temps partiel et l’écart salarial, et ce sont principalement les femmes qui assument le travail non rémunéré et les tâches domestiques, avec les conséquences aggravantes de la pauvreté multidimensionnelle, encore plus importante dans les pays en proie à des conflits armés, comme c’est le cas de l’Ukraine et de la Russie, deux pays où la gestation pour autrui est légale. Dans ces conditions de précarité économique et sociale et de vulnérabilité, de nombreuses femmes sont les victimes idéales de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et reproductive en échange d’une rémunération ou même d’une promesse de rémunération qui n’est pas toujours tenue. Ce recrutement de femmes vulnérables se fait sans aucune restriction sur Internet, comme c’est le cas dans les milliers de groupes de recrutement pour la gestation pour autrui qui existent sur Facebook.
La pauvreté multidimensionnelle touche davantage les femmes que les hommes sur les cinq continents – 27,4 % des femmes en Amérique latine et dans les Caraïbes vivent dans la pauvreté – et s’est aggravée de manière disproportionnée depuis la pandémie de COVID-19. La capacité à disposer librement de sa santé sexuelle et reproductive est inversement proportionnelle à la pauvreté : plus la pauvreté est grande, moins l’autonomie sexuelle et reproductive est grande.
Le transfert de femmes à des fins d’exploitation reproductive
Outre la tromperie et la contrainte inhérentes et intrinsèques au recrutement de femmes à des fins d’exploitation reproductive, le transfert de femmes ajoute un élément non négligeable à la traite.
En 2021, la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (CIAMS), en collaboration avec le Réseau européen des femmes migrantes (ENoMW), a entrepris une étude sur des cas documentés dans les médias de 72 pays, parmi lesquels la Grèce, l’Ukraine, le Mexique et l’Inde ont fait l’objet d’une analyse plus approfondie. Malgré la quantité considérable d’informations recueillies, il a été constaté qu’il existait très peu d’études universitaires ou de rapports officiels sur le transfert de femmes dans le contexte de la gestation pour autrui, ce qui rend les résultats de la recherche de la CIAMS et de ENoMW très pertinents : « Femmes migrantes et exploitation reproductive dans l’industrie de la maternité de substitution (GPA) »
Nous avons constaté que certaines femmes migrantes, qui ont parfois un projet personnel autre que la gestation pour autrui, sont recrutées comme mères porteuses dans le pays de destination, tout comme il existe des femmes initialement recrutées pour être utilisées comme mères porteuses dans leur pays, mais qui sont ensuite transférées vers un autre pays, parfois dans le cadre de pratiques mafieuses de traite des êtres humains ou pour donner naissance dans le pays des clients, pour leur confort. Parfois, cela vise à réduire le coût du processus de gestation pour autrui, à contourner une législation prohibitionniste ou à pratiquer sur elles des actes médicaux qui n’existent pas dans leur pays d’origine. Qu’elles émigrent dans un autre pays avec ou sans intention de devenir mères porteuses, qu’elles migrent une fois enceintes pour l’industrie de la gestation pour autrui ou qu’elles soient recrutées à destination, ces femmes ont un profil très similaire, la grande majorité d’entre elles, pour ne pas dire toutes, se trouvant dans une situation de grande précarité économique et sociale et de vulnérabilité, accrue par la migration.
Cette étude met également en évidence un mode de transfert spécifique dont souffrent ces femmes : elles doivent quitter leur environnement familial pour se soumettre à tous les traitements imposés, en particulier le transfert d’embryons et l’accouchement, qui est trop souvent pratiqué inutilement par césarienne. Loin de leur environnement quotidien et familial, elles sont plus vulnérables.
Ces femmes sont victimes de traite et de trafic d’êtres humains, souvent victimes de grossesses forcées et de violences physiques et psychologiques, auxquelles s’ajoute l’abandon quasi certain à leur sort une fois qu’elles ont remis leur bébé dans le pays de destination. Ces femmes sont également victimes de fraude, car la rémunération promise ou convenue ne leur est pas garantie, et courent un risque sérieux d’être à nouveau victimes d’autres formes de traite des femmes, telles que l’exploitation sexuelle ou l’exploitation à des fins de mendicité.
La fraude dans le recrutement de femmes à des fins d’exploitation reproductive
De nombreuses agences de gestation pour autrui font de la publicité frauduleuse à des fins de recrutement. Sur leurs sites web et sur les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Instagram, elles promettent des rémunérations très élevées qui ne correspondent pas à la réalité ou omettent de préciser que ce montant inclut une grossesse gémellaire, un accouchement par césarienne ou la perte de l’utérus.
Le confinement de femmes recrutées à des fins d’exploitation reproductive
L’accueil des femmes, souvent en régime de confinement ou de semi-confinement, est un autre élément qui fait de la gestation pour autrui une forme de traite des êtres humains. Elle a généralement lieu au troisième trimestre avant l’accouchement, mais des cas ont également été signalés tout au long de la grossesse ou après l’accouchement, afin de contrôler la femme pendant les démarches d’enregistrement du nouveau-né et l’obtention des autorisations nécessaires pour le faire sortir du pays. Ce n’est qu’une fois les formalités accomplies que la mère porteuse reçoit l’intégralité de sa rémunération et retrouve sa liberté. La situation de vulnérabilité de ces femmes est aggravée par leur état de grossesse ou de post-partum, souvent suite à une césarienne.
Les femmes utilisées comme mères porteuses n’ont ni autonomie ni liberté de mouvement. Elles doivent se soumettre à des horaires stricts et à un couvre-feu. Il n’est pas nécessaire de remonter aux fermes de femmes en Inde, au Cambodge, au Népal ou à Cancún (Mexique) l’enfermement existe également en Ukraine, où les femmes enceintes sont transférées à Kiev et logées dans des appartements appartenant aux agences elles-mêmes, dans des conditions de surpeuplement et soumises à des horaires qu’elles sont tenues de respecter. De manière générale, dans tous les pays, les contrats de gestation pour autrui comprennent des clauses sur le rayon de libre déplacement que la femme enceinte ne peut dépasser sans autorisation expresse.
Outre ces conditions de vie imposées, les femmes recrutées pour devenir mères « porteuses » subissent des restrictions de leur liberté sexuelle, sont soumises à des contrôles surprise de consommation de tabac, d’alcool et de drogues et, souvent, à des régimes alimentaires dictés par le client. Elles perdent leur autonomie en tant que patientes et doivent se soumettre aux tests et contrôles médicaux imposés par l’agence et les clients, tout en étant obligées de communiquer les rapports et les résultats. Aux États-Unis, ce sont les commanditaires qui sont considérées comme « patients » par les médecins, les mères porteuses ne sont que des instruments jetables après usage..
Depuis 2024, la GPA est considérée comme infraction liée à la traite des êtres humains punissable dans toute l’Union européenne
Le 23 avril 2024, le Parlement européen a approuvé la modification de la directive 2011/36/UE relative à la prévention et à la lutte contre la traite des êtres humains et à la protection des victimes, qui inclut le mariage forcé, l’adoption illégale et l’exploitation de la gestation pour autrui dans le domaine des infractions liées à la traite des êtres humains punissables dans toute l’Union européenne, au même titre que l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation aux fins de la criminalité ou le prélèvement d’organes.
La formule choisie, « exploitation de la maternité de substitution », est confuse et pourrait laisser entendre qu’il existe une maternité de substitution qui n’exploite pas les femmes et une maternité de substitution qui les exploite, cette dernière devant être poursuivie comme traite des êtres humains. Le texte de la directive dit littéralement « en ce qui concerne la traite à des fins d’exploitation de la maternité de substitution, la présente directive vise les personnes (physiques ou morales) qui contraignent ou trompent des femmes afin qu’elles agissent en tant que mères de substitution ».
La nouvelle directive européenne contre la traite des êtres humains3 ne prend en compte que le recrutement et la tromperie dans le recrutement des femmes et ignore tous les autres comportements et moyens à des fins d’exploitation reproductive exposés ici. Néanmoins, à la lumière de la nouvelle directive, toute gestation pour autrui doit sans exception être qualifiée de traite des êtres humains, car la contrainte et la tromperie sont toujours présentes dans la gestation pour autrui ; deux comportements qui font du recrutement de mère porteuse un trafic, au même titre que la contrainte, la force, le transfert, la séquestration, la fraude, l’abus d’autorité, la situation de vulnérabilité de la victime ou la réception de paiements ou d’avantages. Ces deux comportements – la contrainte et la tromperie – étant systémiques, intrinsèques et inhérents à la GPA sous toutes ses formes, celle-ci doit être poursuivie comme une forme de traite et un crime grave constituant une violation grave des droits fondamentaux des femmes et des enfants, ayant plusieurs causes profondes, telles que la pauvreté, l’inégalité, l’absence de possibilités d’emploi viables ou de soutien social et la discrimination, qui rendent les femmes et les mineurs particulièrement vulnérables à la traite. Et bien sûr, le sexe, car la spécificité du phénomène de la traite varie en fonction du sexe et ce sont toujours des femmes qui sont utilisées comme mères porteuses.
Les législations de chaque État membre de l’Union européenne qui doivent découler de cette directive devront démontrer que la lutte contre la traite des êtres humains est une priorité pour l’Union et les États membres, en s’engageant activement à interdire et à poursuivre la gestation pour autrui sous toutes ses formes et à soutenir les victimes, quel que soit leur pays d’origine. Au niveau international, l’approche doit être similaire : on ne peut pas donner une apparence de légitimité à une pratique qui est en soi un cumul de violences et de violations des droits, dont la seule solution est l’abolition par l’interdiction et la poursuite pénale.