Quand céder n’est pas consentir
Cette fiche thématique sur la notion de consentement est nécessaire pour rappeler la réalité des pratiques tout comme la réalité des mères porteuses, personnes les plus impliquées dans la maternité de substitution. Cet argument du consentement est avancé par les courants néo-libéraux et les personnes pro-GPA pour justifier de la liberté des femmes à entrer dans cette pratique. Ils l’utilisent pour neutraliser tout questionnement sur les conditions de consentement dans la signature des contrats. Nous verrons donc qui sont les réels décideurs dans les contrats, quelle réalité et quelles conditions sont masquées.
La Grossesse Pour Autrui (GPA) à l’aune du droit des contrats
Les défenseurs de la maternité de substitution mettent en avant le consentement des mères porteuses, leur liberté de disposer de leur corps, leur autonomie individuelle dans leur capacité à décider pour elles-mêmes.
Cette argumentation adopte le seul angle social du consentement, comme relevant de l’évolution des mentalités et d’une fiction libérale qui permettrait aux femmes un libre arbitre dont elles ne pouvaient jouir des décennies plutôt. Par cette démonstration libérale, c’est bien le point de vue des clients qui s’exprime au nom des femmes et en aucun cas celui des femmes
Dans la GPA, le consentement relève avant tout de la sphère juridique, il est requis à la signature du contrat marchand établi entre la mère porteuse et les clients. La licéité du contrat est à interroger sous deux angles, l’objet du contrat d’une part et le consentement requis de la mère porteuse d’autre part pour l’avaliser.
L’objet du contrat est-il valide ?
Juridiquement appliqué lors de signatures de contrats marchands, et nous insisterons sur le côté marchand, : « ce contrat, fondé sur le consentement des deux parties, légitime le droit d’user de l’autre, et de son corps, comme l’on userait d’un objet »[1]. Ni la mère porteuse dont on use pendant 9 mois, ni l’enfant à remettre aux commanditaires ne sont des objets. Nul nul ne peut disposer d’un être humain, pas plus de soi-même que d’un autre être humain ne peut porter sur une personne. La licéité de l’objet des contrats de GPA est donc questionnable. Il est significatif que pour contourner cette impasse, des juristes ont construit une étrange fiction juridique selon laquelle le contrat ne porterait pas sur la remise d’une enfant, mais sur une “prestation de gestation”. Or sans livraison d’enfant, pas d’intérêt à l’action, donc pas de volonté d’établir un contrat.
Ajoutons aussi que dans les plupart des contrats de GPA étudiés, les clauses énoncées peuvent être qualifiées de “léonines”, (la part du lion)? les obligations imposées aux deux parties sont en effet totalement déséquilibrées en faveur unilatérale des commanditaires .
L’expression du consentement peut-elle être considérée comme réelle et informée ?
• Le consentement de la mère porteuse est il valide ?
Le consentement des parties est une des conditions nécessaires à la validité d’un contrat. En droit français, le consentement doit être exempt de vice, c’est-à-dire formulé de façon libre et éclairé, « réel et complètement informé »[2], faute de quoi le contrat doit être considéré comme nul et non avenu. Trois causes peuvent entacher la validité du contrat : l’erreur caractérisée par la fausse représentation de la réalité , le dol, une manœuvre destinée à tromper l’autre partie et à la pousser à consentir au contrat et la violence, une contrainte physique ou morale pour obtenir la signature du contrat.
La mère porteuse ne peut donner un consentement éclairé si elle ne peut savoir à l’avance ce que sera sa grossesse, son accouchement et les suites de celui-ci. De nombreux risques peuvent être occultés lors de la signature du contrat et, pour autant, advenir lors des étapes médicalisées de la GPA. Rappelons que la maternité de substitution n’est pas une pratique sans risques et sans complications, « l’hémorragie de la délivrance reste l’une des plus redoutables pouvant se terminer malgré les thérapeutiques médicales (…) par le décès de la femme ». Tout au long du déroulement de la grossesse, des situations médicales peuvent se présenter et des décisions urgentes peuvent être prises, en accord avec les médecins : « l’éventualité d’une réduction embryonnaire en cas de grossesses multiples, l’arrêt ou non de la réanimation dans les très grandes prématurités ou les souffrances foetales aiguës à la naissance, l’interruption médicale de grossesse ou sa poursuite en cas de malformations découvertes à l’échographie, malformations qui peuvent être opérables ou non. Qui prendra la décision, la mère porteuse ou le couple d’intention ? ». Dans ce sens, les risques aussi pour l’enfant sont majeurs. Rappelons l’exemple de cette grossesse gémellaire en 2014 (l’affaire « Gammy ») dont l’un des deux enfants était porteur de trisomie 21 et pour laquelle sa mère aurait décidé de garder sa grossesse malgré la connaissance du diagnostic en anténatal. La vulnérabilité de cet enfant a conduit la mère à le protéger, à décider de mener sa croissance à terme. À la naissance, les commanditaires ont choisi de ne garder que l’un des jumeaux, celle sans handicap et d’abandonner à la mère porteuse le second. Là encore, partant d’un contrat initial de projet d’enfant, la temporalité de la grossesse et les aléas de la reproduction changent la donne.
Citons aussi les contrats libellés dans une langue que la mère porteuse ne maitrise pas, ce fut le cas par exemple en Inde avec des contrats formulés en anglais.
• En supposant que le consentement puisse être informé, n’est-il pas tout de même faussé par le besoin économique ?
Dans la réalité du marché, on constate la multiplication impressionnante des agences florissantes proposant des femmes gestatrices. Selon l’avis 110 du CCNE : « Dans tous les pays qui ont légalisé la GPA, il a été constaté que les parents sont issus d’un milieu social plus élevé que la gestatrice »[3]. Reproduction donc des dominations de classe, la notion de consentement est elle même victime d’une double fiction nous permettant de dire que « céder n’est pas consentir »[4] :
- Fiction socioéconomique[5] : « ce n’est pas parce que la femme qui consent à porter l’enfant d’un(e) autre ne saurait pas ce qu’elle fait, ou qu’elle serait forcément dominée, aliénée ou forcée, qu’il faut l’ C’est parce que, dans les faits, le risque du mirage est trop grand : c’est pour offrir des études à son enfant, à qui elle a pu donner un toit grâce à sa première gestation pour autrui, que la femme indienne envisage de renouveler l’expérience ; comment ne pas être incommodé par le contraste entre sa pauvreté et la multiplicité des contraintes qui pèsent sur son choix et l’aisance relative du couple d’intention ? » (Hennette-Vauchez, 2012). Légaliser la GPA revient à admettre que tout peut se vendre et se louer par la grâce de la « fiction néo-libérale » du consentement sans que soient prises en compte les contraintes socio-économiques qui peuvent le vicier.
- Fiction culturelle : la réglementation la plus contraignante qui soit, imposant la gratuité du geste, sa réalisation dans le contexte exclusivement familial ou amical et la vérification du consentement, parviendra-t-elle à éviter les pressions qui ne manqueront pas de s’exercer sur une sœur, une cousine, une employée dotée, par chance d’un utérus fonctionnel?
La gestation pour autrui repose sur une mise à disposition du corps des femmes et de ses fonctions reproductrices, disposition qui, dans un monde d’inégalités et de violences économiques, ne peut sérieusement être envisagée comme désintéressée et respectueuse du libre consentement.
Citons ici Carol Pateman[6], selon laquelle le consentement n’est pas un critère de légitimité lorsque le contrat lui-même est l’expression d’un système d’exploitation sexuelle, comme c’est le cas, selon elle, des contrats de mariage, des contrats de prostitution … et des contrats de mères porteuses.
Dans le cas des GPA, les mères porteuses « consentiraient » à accepter les conséquences de la conception d’un enfant pour autrui. Pour autant, ce type de consentement marchand est une perversion de l’usage du contrat puisqu’il n’y a pas ou peu d’obligations réciproques. Sans évolution sociétale majeure, c’est encore et toujours aux femmes et aux plus lésées que l’on fait la demande du consentement. Ici alors, le consentement sera « donné » par la mère porteuse, au profit du couple commanditaire.
Pour la primauté de la dignité humaine
Consentir à porter un embryon et donner naissance pour autrui revient alors à consentir au don et à la disposition d’un être humain qui n’est pas encore né. Cette logique contrevient en tout point avec l’argument du consentement évoqué par bons nombres de défenseurs de la GPA. Il n’est pas envisageable de donner son consentement à quelque chose – et en l’occurrence quelqu’un, un être humain titulaire de droits – qui ne nous appartient pas et ne peut nous appartenir. En France, le droit réaffirme ce principe en vue de l’article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». De plus, l’article 16-1 rappelle que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».
Même si une seule femme choisit de consentir à la maternité de substitution, malgré un consentement partiellement éclairé (puisque le consentement totalement informé est impossible), motivée par le besoin économique et acceptant une domination de classe, cela ne peut en aucun cas justifier la pratique dans la mesure ou la dignité humaine est bafouée. L’argument du consentement, « signe juridique moderne de l’individualisme et du libéralisme »[7] est de nature à lever toutes les interdictions et à légitimer tous les comportements. La dignité pose la primauté de l’être humain sur tout autre intérêt et la personne humaine vaut, plus que tout autre, comme raison d’interdire.
En 1995, l’affaire du « lancer de nain » avait interdit cette pratique au nom de la dignité juridique, et n’avait pas pour principal objectif de protéger le nain lui-même contre la maltraitance subie – rappelant d’ailleurs que cette personne protestait contre l’interdiction qui le privait, selon lui, d’une ressource économique -. Ce n’est pas non plus l’ensemble de la population naine qui faisait l’objet de l’affaire, mais bien l’humanité de notre société par la primauté de la dignité humaine.
La notion de consentement, perçue comme l’incarnation de la liberté individuelle, avec son influence néo-libérale, transforme l’unité du corps en une parcellisation au bon vouloir d’autrui. Comme le rappel M-A Frison-Roche, « la question philosophique de ce siècle est celle du consentement, car, par le consentement, les êtres humains acceptent de n’être plus des personnes unifiées que l’on ne peut entamer mais posent qu’elles sont des ensembles de fonctionnalités dans lesquelles d’autres peuvent puiser dès l’instant qu’elles y ont elles-mêmes avantages, par la rencontre des intérêts »[8]. Cela décrit bien la désincarnation de la personne en elle-même, via le droit des contrats et les « prestations de service » qui transforment les corps (les personnes) en instrument de service à la disposition d’autrui.
Dans le cas de la gestation pour autrui, les entreprises qui promeuvent la pratique s’efforcent d’effacer le caractère marchand des femmes et enfants au profit de l’offre de « prestations ». Ainsi, les clients achètent la fourniture de services de « gestation » où le mot « grossesse » disparait, et avec elle, la femme.
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Cette fiche thématique nous permet donc de déconstruire l’argument libéral du consentement, largement repris pour justifier la signature des contrats de GPA par les mères porteuses, comme relevant de leur liberté individuelle.
Finalement nous voyons ici que le consentement ne peut être justifié lorsqu’il est mobilisé dans une pratique d’exploitation allant à l’encontre de la dignité humaine, en dépit de tous les accords et arrangements conclus avec des personnes réputées “consentantes”.
[1] Salvat Christophe, « L’éthique à l’épreuve de la Gestation pour autrui (GPA) », Raison publique, vol. 23, no. 1, 2018, p. 165
[2] Tourame Pierre, « Quelle liberté pour la mère porteuse ? », Les Cahiers de la Justice, vol. 2, no. 2, 2016, p. 283
[3] URL : <https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_110.pdf>, p. 10
[4] Falquet, Jules. « Pour une anatomie des classes de sexe : Nicole-Claude Mathieu ou la conscience des opprimé·e·s », Cahiers du Genre, vol. 50, no. 1, 2011, p. 206
Publié en 1985 dans L’arraisonnement des femmes (1985a) et repris dans L’anatomie politique (1991)
[5] Roman, Diane. « La gestation pour autrui, un débat féministe ? », Travail, genre et sociétés, vol. 28, no. 2, 2012, p. 196
[6] Carol Pateman, The Sexual Contract, Stanford, Stanford University Press.
[7] Fabre-Magnan, Muriel. « La dignité en Droit : un axiome », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 58, no. 1, 2007, p. 6
[8] Frison-Roche, Marie-Anne. « Pour protéger les êtres humains, l’impératif éthique de la notion juridique de personne », Archives de philosophie du droit, vol. 60, no. 1, 2018, p. 366