Evolution des positions de la CEDH sur la filiation et la maternité de substitution

Condamnation d’affaires par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme)

  • Affaire Paradiso et Campanelli Italie[1] (2017) :

En 2015 la Cour Européenne des droits de l’Homme s’était opposée au droit italien par un arrêt du 27 Janvier 2015. Dans cette affaire, la Cour de Justice Italienne avait condamné un couple italien qui avait eu recours à une GPA en Russie en 2011. Ils avaient ramené l’enfant en Italie, muni d’un certificat de naissance falsifié (car aucun des deux clients n’est biologiquement reliés à l’enfant) et demandé aux autorités italiennes de reconnaître l’enfant comme le leur. Les autorités italiennes avaient refusé et placé l’enfant sous tutelle avant d’être adopté par un autre couple. En janvier 2015 le couple commanditaire a saisi la CEDH qui a d’abord, condamné l’Italie au nom du « droit des parents à fonder une famille ».

Cependant, en 2017, la Cour Italienne, à la demande du Gouvernement Italien, a fait appel et la CEDH a réajusté son verdict. Le 24 Janvier 2017, la CEDH juge que l’Italie n’avait pas agi contrairement à la Convention Européenne des Droits de l’Homme puisqu’en l’absence de tout lien biologique, l’Etat n’est pas obligé de reconnaître une filiation légale pour les couples ayant recours à la GPA. De plus, elle souligne la courte durée de la cohabitation des commanditaires, la faiblesse juridique des liens familiaux et malgré l’existence d’un projet parental, sa décision se conclut sur « l’absence de vie familiale ».

Cette décision ré-instaure la protection des enfants contre des pratiques illégales dont certaines telles que la GPA peuvent être justement qualifiées de traite humaine. La Grande Chambre rappelle que « l’intérêt général prime le désir de parentalité (…) accepter de laisser l’enfant avec les requérants serait revenu à légaliser la situation créée par eux en violation de règles importantes du droit italien ».

Cette révision de la décision de la CEDH consolide donc la position de la Grande Chambre qui considère désormais que “[2]s’il y a absence de vie familiale en plus de l’absence de lien génétique, les commanditaires ne peuvent se prévaloir d’une éventuelle violation de l’article 8” de la CEDH. L’absence de vie familiale est prise en compte en fonction de la faible durée de cohabitation et de la précarité juridique des liens, malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs.

  • Arrêt D. c. France (16 juillet 2020)[3] :

La décision rendue le 16 juillet 2020 par la Cour Européenne des droits de l’homme concerne le refus des autorités françaises de transcrire sur les registres de l’état civil français l’acte de naissance d’un enfant né d’une mère porteuse en Ukraine, désignant la mère d’intention du couple comme étant la mère légale, alors qu’elle n’a pas accouché. La situation familiale fait intervenir un couple français composé d’un homme (père biologique), une femme (mère génétique) et une mère porteuse (femme qui accouche). L’acte de naissance rédigé en Ukraine désignait les deux individus du couple comme parents de l’enfant né par GPA.

Devant la Cour Européenne, les requérants soutenaient que le rejet de la demande de transcription de l’acte naissance étranger de l’enfant désignant la mère d’intention comme mère de l’enfant était constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son “droit au respect de sa vie privée” dès lors que la mère d’intention est la mère génétique.

La Cour a rappelé qu’elle s’était déjà prononcée lors des arrêts Mennesson et Labassee (26 juin 2014), et que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le “droit au respect de la vie privée de l’enfant” requiert la reconnaissance du lien de filiation par l’unique voie de la transcription dans l’acte de naissance.

La Cour a donc affirmé que le rejet de la demande (de transcription de l’acte de naissance de l’enfant) ne constitue pas une ingérence disproportionnée (dans son droit au respect de sa vie privée) du seul fait que sa mère d’intention est sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre la mère d’intention et l’enfant peut-être établi par une autre voie, notamment par l’adoption.

Rappelant que “l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention”[4].

Il n’y a donc pas de violation de l’article 8 de la Convention (respect de la vie privée) pris isolément et combiné avec son article 14 (discrimination).

La CEDH confirme dans cet arrêt que les Etats ne sont pas obligés de procéder à la transcription de l’acte d’état civil étranger d’un enfant né par GPA si sont désignés comme parents : le père biologique et la mère génétique, que l’enfant ait été ou non conçu avec l’ovocyte de cette dernière. Elle estime que l’adoption, qui permet un examen concert au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, est suffisante.

Cet avis de la CEDH se fait donc dans le respect du principe juridique que la mère est celle qui accouche. Ce type de jugement par adoption de l’un des membres du couple est de plus en plus utilisé par les Etats pour garantir  l’intérêt supérieur de l’enfant tout en condamnant la pratique de la GPA.

  • Affaire K.K et autre c. Danemark[5] (2022)

Le Danemark avait refusé d’autoriser la requérante K.K à adopter les requérants C1 et C2, deux jumeaux nés de GPA en Ukraine. K.K et son compagnon, le père biologique de l’enfant, avaient eu recours à une GPA avec mère porteuse qui a perçu une somme d’argent conséquente en échange de l’enfant. En droit danois, l’adoption n’est pas permise lorsque la personne qui y consent a été rétribuée.

E n 2022, la CEDH a condamné la décision du Danemark sur la base de la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (« Droit au respect de la vie privée et familiale ») quant au droit des enfants requérants au respect de leur vie privée. Selon la CEDH, les autorités danoises n’ont pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de l’enfant et l’intérêt de la société à ce que soient limitées les conséquences négatives de la GPA commerciale.

Toutefois, cette décision fut prise à 4 voix contre 3, le Danois, la Finlandaise et la Turque qui ont exprimé une opinion dissidente expliquant que la GPA commerciale est bien de la vente d’enfant et qu’on ne doit pas utiliser la notion d’intérêt supérieur de l’enfant pour imposer aux Etats de valider des pratiques assimilables à de la vente d’enfant.

Ces exemples nous montrent qu’il existe encore de réelles dissensions sur la GPA au sein de la CEDH. Les évolutions récentes de la Cour sur ce sujet vont vers une reconnaissance de la légitimité des Etats à statuer sur les liens de filiation par GPA notamment internationale et la marchandisation des corps et enfants par la pratique.

Le pouvoir individuel et discrétionnaire des juges observé lors de l’arrêt K.K et autres c. Danemark peut alors devenir un moyen d’appuyer l’opposition à la GPA directement vers les juges. Le plaidoyer contre la pratique devrait donc se faire vers eux, en tant que détenteur du pouvoir judiciaire.


[1] Institut Européen de Bioéthique “https://www.ieb-eib.org/fr/justice/debut-de-vie/procreation-medicalement-assistee/affaire-paradiso-et-campanelli-c-italie-gpa-470.html

[2]Institut Européen de Bioéthique, “https://www.ieb-eib.org/fr/justice/debut-de-vie/gestation-pour-autrui/cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-gestation-pour-autrui-553.html

[3]Institut Européen de bioéthique : https://www.ieb-eib.org/fr/justice/debut-de-vie/gestation-pour-autrui/arret-d-c-france-gestation-pour-autrui-transcription-de-l-acte-de-naissance-a-l-etat-civil-551.html

[4] Dalloz Etudiant : https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/gpa-conventionnalite-de-la-jurisprudence-francaise-a-legard-de-la-mere-dintention/h/9bc0feeb82e28b974830a2189652857a.html?tx_ttnews%5Blink%5D=actualite%2Fa-la-une%2Fh%2Fb0e66b0409%2Fbrowse%2F4%2Farticle%2Fportee-de-la-cession-du-droit-a-limage.html#:~:text=La%20d%C3%A9cision%20rendue%20le%2016,la%20m%C3%A8re%20l%C3%A9gale%20alors%20qu’

[5] “https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=46807&opac_view=-1”

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