Philippines

 

Aux Philippines, la gestation pour autrui se développe malgré tout dans un vide juridique, qui, en plus de la pratique en elle-même, favorise son déploiement de manière clandestine. Ce phénomène encore marginal à l’échelle nationale est en pleine expansion dans le contexte transnational surtout dans un pays qui exporte massivement sa main-d’œuvre féminine vers des emplois précaires à l’étranger. Les femmes philippines, souvent jeunes, pauvres, et peu informées, deviennent la cible de réseaux internationaux exploitant leur force de travail sous couvert d’opportunités économiques. Face à ces pratiques, l’État philippin reste passif, voire complice, dans la mesure où ce commerce s’inscrit dans une logique de rentabilité migratoire soutenue par les institutions publiques.

Un vide juridique qui rend la GPA illégale de facto

Comme expliqué, à l’heure actuelle, aucune loi ne légalise ni n’interdit explicitement la GPA aux Philippines[i]. Toutefois, plusieurs dispositions légales existantes permettent d’assimiler la GPA commerciale à une forme de traite des êtres humains. La Republic Act No. 9208[ii] nommé Anti Trafficking in Persons Act, modifiée par la loi philippine, inclut dans sa définition de la traite “ l’extraction ou l’exploitation d’organes reproductifs” ou “la manipulation du corps des femmes à des fins reproductives, même avec leur consentement, lorsqu’il y a exploitation ou profit d’un tiers”. De surcroît, la Loi anti-traite RA 10364[iii] peut etre invoquée : elle interdit de recruter une personne « sous prétexte d’emploi domestique ou de formation » en vue de la prostitution ou de l’exploitation sexuelle, et proscrit la fourniture, l’adoption ou la réception d’un enfant à des fins d’exploitation ou de vente. Or, dans la pratique, des « contrats » de GPA rémunérés s’apparentent souvent à des filières illicites. Cette ambiguïté légale a eu un effet paradoxal de criminaliser les femmes recrutées comme mères porteuses à l’étranger, au lieu de reconnaître leur situation de victimes. Par exemple, treize femmes Philippines ont été reconnus coupables par la justice cambodgienne de « trafic » après avoir agi comme porteuses commerciales[iv].

La GPA transnationale, les réseaux de trafic à l’œuvre

En octobre 2024 a eu lieu l’arrestation de 20 femmes philippines en partance pour le Cambodge a attiré l’attention sur l’existence de réseaux organisés de gpa transnational. Ces femmes avaient été recrutées via Facebook et transportées clandestinement, puis fécondées in vitro dans des cliniques clandestines. Treize d’entre elles étaient déjà enceintes au moment de leur arrestation[v]. Selon le bureau de l’immigration, ce cas est loin d’être isolé car les filières de recrutement exploitent la précarité des femmes pauvres, souvent issues des provinces rurales, en leur promettant jusqu’à 700 000 pesos, ce qui correspond à plus de 11 000 € (alors que le salaire minimum n’est que de 10 eur par jour), pour porter un enfant destiné à des clients étrangers[vi].

Les intermédiaires sont dans la majeure partie des cas des agents philippins travaillant pour des cliniques ou des agences situées en Géorgie au Cambodge ou en Ukraine. En décembre 2024, deux autres femmes ont été interceptées à l’aéroport de Manille alors qu’elles tentaient de rejoindre la Géorgie avec de faux documents de voyage[vii].

L’État géorgien étant devenu un nouveau pôle mondial de la GPA commerciale, ce cas révèle la nature transfrontalière du marché et la cooptation active des femmes du Sud global pour répondre à la demande du Nord[viii].

Logiques économiques et exploitation

Ce phénomène s’inscrit dans une politique économique néolibéral plus large. Depuis les années 1980, les Philippines ont institutionnalisé l’exportation de main-d’œuvre féminine[ix]. Chaque année environ 2,2 millions[x] de Philippins partent travailler à l’étranger ou renouvellent leur contrat, dont près de 60 % de femmes essentiellement dans les secteurs du travail domestique, du soin aux personnes âgées et de la santé (secteur des métiers du care)[xi]. Toutefois, derrière la promesse d’une ascension socio-économique, le gouvernement philippin exploite la précarité de certaines franges particulièrement vulnérables de la population, afin d’en tirer profit, « transformant des formes de subordination en opportunités »[xii]. Cette stratégie migratoire est victorieuse économiquement parlant car elle génère près de 32milliards de dollars de transferts annuels en 2017, soit environ 10 % du PIB du pays[xiii].

Le corps des femmes philippines est devenu un outil de la stratégie migratoire nationale. Il s’inscrit dans un modèle économique où la nation « exporte » des travailleuses du care pour générer des devises. Dans ce contexte, la GPA peut apparaître comme une extension reproductive de ce modèle : l’utérus devient un espace productif au service d’un client étranger.

Les conditions d’exploitation et le consentement vicié

Les témoignages recueillis par l’OIM et l’ambassade philippine à Phnom Penh font état de conditions assimilables à une détention reproductive. Les mères porteuses sont enfermées dans des maisons appelées “cliniques”, surveillées, souvent mal nourries, soumises à des injections hormonales et privées de toute autonomie médicale. Une fois l’enfant né, elles sont renvoyées aux Philippines avec un salaire partiel, sans suivi médical ni psychologique[xiv].

Dans ces conditions, le consentement des femmes est par essence vicié. Ces femmes sont toujours recrutées sous la promesse d’un travail propre et bien rémunéré, elles découvrent sur place qu’elles sont réduites à un rôle gestationnel, sans information sur les risques médicaux, ni sur les droits de l’enfant qu’elles portent. Une fois dans l’engrenage, elles ne peuvent plus s’en sortir.

Réactions institutionnelles

Face à l’ampleur du phénomène, quelques voix politiques s’élèvent. En octobre 2024, la sénatrice Risa Hontiveros a exigé une enquête parlementaire sur la traite reproductive, sous-entendant que certains agents de migration sont de connivence avec les réseaux criminels [xv]. La représentante du parti OFW, Marissa Magsino, a quant à elle évoqué la possibilité de la mise en place d’une loi interdisant spécifiquement la GPA commerciale impliquant des femmes philippines, y compris à l’étranger[xvi].

Le pays ne dispose pas non plus de dispositif de réinsertion ou de protection pour les femmes ayant servi de mères porteuses. Aucune campagne de prévention n’a été menée à l’échelle nationale. La rhétorique officielle se limite à des messages moralisateurs sur les dangers de la traite, ainsi que sur des considérations religieuses[xvii], sans remettre en question le modèle économique migratoire dont elle est issue.

 


[i] Aguiling-Pangalangan, E. H. (2019, juin). Not bone of my bone but still my own: Parents and children when law and technology unbundle traditional identities. https://libpros.com/wp-content/uploads/2019/06/final-paper-lp-lecture-adoptionsurrogacy.-6.2019.pdf#:~:text=Without%20legal%20parameters%2C%20%E2%80%9Cthe%20profit,the%20mercy%20of%20market%20forces

[ii] Republic Act No. 9208 — Anti-Trafficking in Persons Act of 2003 (Philippines). (2003, 26 mai). Philippine Commission on Women.https://pcw.gov.ph/republic-act-9208-anti-trafficking-in-persons-act-of-2003/

Senate of the Philippines. (2024, 16 octobre). P.S.R. No. 1211 https://web.senate.gov.ph/lisdata/4511240997!.pdf#:~:text=WHEREAS%2C%20Republic%20Act%20No,of%20exploitation%20or%20trading%20them

[iv] Généthique. (2024, 3 décembre). GPA : 13 femmes philippines condamnées au Cambodge. https://genethique.org/gpa-13-femmes-philippines-condamnees-au-cambodge/

[v] Associated Press. (2024, 12 octobre). Pregnant Philippine women arrested in Cambodia for surrogacy could be prosecuted after giving birth. https://apnews.com/article/surrogacy-human-trafficking-law-0ac21e8d40a0015dba0d62fb3b347601

[vi] Al Jazeera English / 101 East. (2024, 14 novembre). Inside the Philippines’ underground surrogacy industry [vidéo]. YouTube.https://www.youtube.com/watch?v=zEocVVzjz8k&t=556s

Bureau of Immigration (Philippines). (2024, 9 décembre). BI stops another illegal surrogacy trafficking attempt to Georgia.https://immigration.gov.ph/bi-stops-another-illegal-surrogacy-trafficking-attempt-to-georgia/

[vii][vii][vii] Bureau of Immigration (Philippines). (2024, 9 décembre). BI stops another illegal surrogacy trafficking attempt to Georgia. https://immigration.gov.ph/bi-stops-another-illegal-surrogacy-trafficking-attempt-to-georgia/

[viii] Guichard, T. (2024, 7 septembre). Gestation pour autrui : en Géorgie, un business en plein essor. La Croix.https://www.la-croix.com/international/gpa-en-georgie-un-business-en-plein-essor-20240907

[ix] L’industrie mondialisée du travail domestique aux Philippines : L’économie de l’altérité dans l’industrie migratoire. ENS Éditions. (s.d.).https://books.openedition.org/enseditions/46068?lang=fr

[x] Direction générale du Trésor (France). (2018, 21 mars). Les transferts des migrants philippins en 2017.https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/03/21/les-transferts-des-migrants-philippins-en-2017

[xi] CCFD-Terre Solidaire. (s.d.). 60 % des travailleurs émigrés philippins sont des femmes employées à des tâches domestiques. https://ccfd-terresolidaire.org/60-des-travailleurs-emigres-philippins-sont-des-femmes-employees-a-des-taches-domestiques/

[xii] IGG-GEO. (2023, 13 décembre). Les travailleuses domestiques (Philippines) : la main-d’œuvre invisible, fruit de la mondialisation.https://igg-geo.org/2023/12/13/les-travailleuses-domestiques-philippines-la-main-doeuvre-invisible-fruit-de-la-mondialisation/

[xiii] Direction générale du Trésor (France). (2018, 21 mars). Les transferts des migrants philippins en 2017. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/03/21/les-transferts-des-migrants-philippins-en-2017

[xiv] Al Jazeera English / 101 East. (2024, 14 novembre). Inside the Philippines’ underground surrogacy industry https://www.youtube.com/watch?v=zEocVVzjz8k&t=556s

[xv] Philippine News Agency. (s.d.). https://www.pna.gov.ph/articles/1235325

[xvi] House of Representatives (Philippines). (2024). H.R. No. 2055 [https://docs.congress.hrep.online/legisdocs/basic_19/HR02055.pdf

[xvii] Tan, F. Jr. (s.d.). Surrogacy in the Philippine Context: Bane or Boon? https://www.researchgate.net/profile/Fernando-Jr-Tan/publication/373679792_Surrogacy_in_the_Philippine_Context_Bane_or_Boon/links/64f73b0487d7f830e8016d50/Surrogacy-in-the-Philippine-Context-Bane-or-Boon.pdf


Pour informations complémentaires

Murdoch, L. (2017, 4 janvier). Philippine police arrest surrogate mothers-to-be in human trafficking crackdown. The Sydney Morning Herald.
https://www.smh.com.au/world/philippine-police-arrest-surrogate-motherstobe-in-human-trafficking-crackdown-20170104-gtli45.html

Daily Tribune Philippines. (2024, 7 décembre). Illegal surrogates intercepted at NAIA. PressReader.
https://www.pressreader.com/philippines/daily-tribune-philippines/20241207/281638195782078

Rappler. (s.d.). How Philippine clinics illegally facilitate surrogacy.
https://www.rappler.com/newsbreak/investigative/how-philippine-clinics-illegally-facilitate-surrogacy/

Al Jazeera English / 101 East. (2019). The baby factory: A 13-year-old surrogate mother in the Philippines [vidéo]. YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=8ipzwxXjAcA

Al Jazeera English / 101 East. (2023, novembre). Bébés abandonnés, faux actes de naissance : la maternité de substitution aux Philippines [vidéo]. YouTube.
https://www.youtube.com/watch?v=zEocVVzjz8k&t=59s

ABS-CBN News. (2024, 4 décembre). 13 pregnant Filipinas jailed in Cambodia in good condition – envoy.
https://www.abs-cbn.com/news/2024/12/4/13-pregnant-philipinas-jailed-in-cambodia-in-good-condition-envoy-1008

Philippine Journal of Obstetrics and Gynecology. (2024). Gestational surrogacy. Philippine Journal of Obstetrics and Gynecology, 48(1).
https://journals.lww.com/pjog/fulltext/2024/01000/gestational_surrogacy.6.aspx

SunStar Manila. (2024, 2 novembre). BI raises concern over surrogacy-related human trafficking.
https://www.sunstar.com.ph/manila/bi-raises-concern-over-surrogacy-related-human-trafficking

ABS-CBN News. (2024, 11 décembre). Immigration stops 2 Pinays allegedly recruited as surrogates in Georgia.
https://www.abs-cbn.com/news/nation/2024/12/11/immigration-stops-2-pinays-allegedly-recruited-as-surrogates-in-georgia-1300

Khmer Times. (2025, mai). Cambodia to sign MoU with the Philippines on human trafficking.
https://www.khmertimeskh.com/501679402/cambodia-to-sign-mou-with-the-philippines-on-human-trafficking/

France Culture. (2020, 19 octobre). Philippines : la fabrique de la domestique modèle [podcast Cultures Monde].
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/philippines-la-fabrique-de-la-domestique-modele-8488204

 

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