Dans le cadre de la révision de la Directive 2011/36/UE relative à la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène au niveau européen, nous plaidons pour l’inscription et la reconnaissance de la maternité de substitution comme une forme d’exploitation (sexuelle et reproductive) à prendre en compte dans le trafic d’êtres humains.
Cet amendement permettrait de reconnaitre la gestation pour autrui comme une pratique déviante sur l’ensemble du territoire européen.
La révision de cette directive entend adopter des mesures en terme de : reconnaissance des formes d’exploitation, vis-à-vis du développement des nouvelles technologies, sur le recours aux formes d’exploitation soit agir sur la demande et enfin sur le manque de données. Sur tous ces points, la maternité de substitution peut-être intégrée et reconnue comme une forme de trafic humain.
PROPOSITION D’AMENDEMENT VISANT À INCLURE LA MATERNITÉ DE SUBSTITUTION
COMME UNE FORME DE TRAITE DES ÊTRES HUMAINS
La proposition du Parlement européen et du Conseil visant à modifier la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes, doit – de toute urgence – inclure la pratique de la gestation pour autrui en la reconnaissant comme un délit de traite des êtres humains punissable par tous les États membres de l’UE (voir la proposition d’amendement à la fin de ce document).
Nous pensons que l’article 2 (mentionné ci-dessous) de la Directive initiale 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil, 05/04/2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes[1], caractérise parfaitement les situations de maternité de substitution et d’exploitation reproductive comme une pratique relevant de la traite des êtres humains et du trafic de migrants.
Article 2
Infractions liées à la traite des êtres humains
- Les États membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les comportements intentionnels suivants soient punissables : Le recrutement, le transport, le transfert, l‘hébergement ou l’accueil de personnes, y compris l’échange ou le transfert du contrôle exercé sur elles, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation.
- Une situation de vulnérabilité signifie que la personne concernée n’a pas d’autre choix réel ou acceptable que de se soumettre à un tel abus.
» Considérant que l’inégalité entre les sexes, la pauvreté, les déplacements forcés, le chômage, le manque d’opportunités socio-économiques, le manque d’accès à l’éducation, la violence fondée sur le genre, la discrimination et la marginalisation ainsi que la corruption sont quelques-uns des facteurs qui contribuent à rendre les personnes, en particulier les femmes et les enfants, vulnérables à la traite ; que les causes profondes de la traite des êtres humains sont encore négligées « [2] (Rapport du Parlement européen sur la mise en œuvre de la directive 2011/36/UE).
Pour appuyer notre argumentation, nous nous réjouissons de la position de Siobhán Mullally, rapporteur spécial des Nations unies sur la traite des personnes, qui s’est rendue en Colombie et a reconnu la maternité de substitution comme une forme de traite et d’exploitation sexuelle des femmes et des filles, en particulier celles qui se trouvent dans les situations les plus vulnérables (racialisées, migrantes, pauvres…)[3].
Définition : La maternité de substitution est définie comme la pratique consistant à recruter une femme, avec ou sans rémunération, pour porter un ou plusieurs enfants, conçus ou non avec ses propres ovules, dans le but de les donner à une ou plusieurs personnes qui souhaitent être désignées comme les parents de ces enfants.
La maternité de substitution est une forme d’exploitation à des fins reproductives
Afin d’améliorer la capacité des États membres à lutter plus efficacement contre la traite, il est nécessaire d’harmoniser le paysage juridique européen et de renforcer la coopération transfrontalière, comme le souligne ce rapport.
Cependant, ne pas reconnaître la maternité de substitution comme une forme d’exploitation reproductive revient à ignorer une partie de la traite qui a lieu même au sein de l’UE et contribue donc à une approche laxiste, incomplète et partiale de la question de la traite.
La traite en tant que crime sexiste est bien documentée, puisque plus des trois quarts des victimes dans l’UE sont des femmes et des filles, et que l’exploitation sexuelle est la forme la plus courante de la traite. Le rapport sur la mise en œuvre de la directive indique que « la tolérance sociétale à l’égard de l’inégalité entre les sexes et de la violence à l’encontre des femmes et des filles perpétue un environnement permissif pour la traite à des fins d’exploitation sexuelle« . Le fait de ne pas reconnaître la maternité de substitution comme une pratique d’exploitation sexuelle et/ou reproductive visant exclusivement les femmes contribue à cet environnement permissif déploré dans le rapport.
Des changements importants ont été recherchés dans cette directive, en particulier la reconnaissance du mariage forcé et de l’adoption illégale comme formes d’exploitation à l’article 2(3) de la directive. Il s’agit d’une amélioration de la liste des formes d’exploitation, mais il est nécessaire d’y inclure la maternité de substitution, car cette pratique contribue à la mondialisation et à l’acceptation d’un processus fonctionnel dans lequel le corps des femmes est perçu comme une valeur d’usage et une valeur commerciale sur le marché de la reproduction. Contribuer à l’expansion de la pratique des mères porteuses en la réglementant reviendrait à banaliser un marché fondé sur l’exploitation des femmes au nom de stéréotypes sexistes et misogynes.
Le développement des technologies numériques, des médias sociaux et des services internet comme outils de la traite des êtres humains
Bien qu’il n’existe pas de définition universelle de la traite des êtres humains, un certain nombre de textes tentent d’y remédier. Il s’agit notamment du Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, organisée de 2000[4] qui a servi de base à la définition utilisée par l’UE dans sa directive de 2011[5] sur la lutte contre la traite des êtres humains. Pour être considérée comme une activité criminelle, la traite doit répondre à trois critères distincts :
L’activité : qui consiste en le recrutement, le transport, l’accueil ou l’accueil de personnes ;
Les moyens : y compris la menace ou le recours à la force, la tromperie, la coercition, l’abus de pouvoir, la position de vulnérabilité ;
L’objectif : l’exploitation des victimes de la traite.
Agir sur les » moyens » de la traite est l’une des façons de classer la maternité de substitution dans la catégorie de la traite, car le « consentement » relatif des mères porteuses à s’engager dans cette pratique est basé sur la tromperie :
- L’ignorance du niveau élevé de risques : spécifiquement associés à cette pratique (pré-éclampsie, diabète gestationnel, perte de l’utérus, perte de fertilité potentielle par le recours aux césariennes demandées par les commanditaires ou imposées par les agences, décès…).
- La présentation erronée de cette pratique : comme progressiste, exemplaire, inoffensive (etc.) par le marché et ses forces : lobbies, sponsors, agences, avocats, etc… sur base de stéréotypes.
La vulnérabilité sociale et économique des femmes appelées à s’engager dans cette pratique en tant que mères porteuses a été amplement démontrée.
Comme le souligne la » Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes « , le développement des technologies en ligne est un terrain convoité par les responsables de la traite en Europe. A cet égard, « les actes intentionnels et certains moyens (coercition, fraude, tromperie, abus de pouvoir) et l’exploitation (en particulier l’exploitation sexuelle) doivent inclure les actes commis au moyen des technologies de l’information et de la communication. »
La mondialisation a favorisé le phénomène de la traite des êtres humains en raison de la mobilité accrue et du développement des nouvelles technologies. L’utilisation des technologies en ligne (internet, médias sociaux, plateformes…) justifie une action au niveau européen, car ces nouvelles technologies permettent aux trafiquants de recruter, contrôler, transporter et exploiter les victimes, ainsi que de transférer des profits et d’atteindre des » utilisateurs » à l’échelle mondiale sans franchir de frontières. Dans le cas de la maternité de substitution, le développement des nouvelles technologies contribue de facto au développement illégal de cette pratique.
Les courtiers et les agences de maternité de substitution en ligne sont un phénomène en pleine expansion, qui permet aux trafiquants d’exploiter les femmes en toute impunité. Sans mentionner le contact entre les trafiquants et les mères porteuses potentielles, facilités par les réseaux sociaux.
Recours à des services d’exploitation
Cibler « l’utilisation de services d’exploitation en sachant que la personne est victime de la traite » est une catégorie d’actions qui peut réduire la traite. En ce sens, cibler la demande de services d’exploitation équivaut à cibler les clients potentiels.
Dans la maternité de substitution, les clients (également connus sous le nom de « parents intentionnels ou parents commanditaires ») sont la cause principale du développement de la pratique.
L’exemple de la prostitution : la maternité de substitution et la prostitution sont deux pratiques comparables à bien des égards, bien que dans cette proposition la prostitution soit reconnue comme une exploitation tandis que la maternité de substitution ne l’est pas.
Sur le « Rapport sur la mise en œuvre de la directive 2011/36/UE (a21) concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes »[6], le PE a mentionné la conclusion d’Europol selon laquelle « dans les États membres où la prostitution est légale, il est plus facile pour les trafiquants d’utiliser un environnement légal pour exploiter leurs victimes », comme c’est le cas aujourd’hui avec la maternité de substitution dans les pays qui légalisent la pratique ou ne le font pas.
Europol souligne également que « la traite est alimentée par les profits élevés des trafiquants et par la demande, qui encourage toutes les formes d’exploitation ». Il est donc nécessaire de répondre à la demande des clients. Comme la prostitution, qui est alimentée par des Etats qui ont réglementé plutôt qu’aboli la pratique, la maternité de substitution prospère dans les pays où une réglementation laxiste contribue à la traite, avec des profits et une demande des clients en constante augmentation. Cependant, l’offre de mères porteuses est beaucoup plus faible.
La Grèce en est un bon exemple : La Grèce a choisi de réglementer la maternité de substitution en 2005, avec une clause spécifique interdisant aux femmes étrangères d’agir en tant que mères porteuses. Cependant, en 2007, le législateur est revenu sur cette clause, puis l’a abolie, car l’offre de mères porteuses grecques était insuffisante pour répondre à la demande des clients. Cela a conduit à la traite des femmes étrangères vers la Grèce.
Il est nécessaire de condamner « non seulement les trafiquants, mais aussi (…) ceux qui profitent du crime et exploitent les victimes », c’est-à-dire les demandeur-es. Dans les pays où la maternité de substitution est illégale (la majorité en Europe), seuls les prestataires (agences et courtiers) sont sanctionnés pour avoir offert des services de maternité de substitution. Cependant, si un citoyen d’un pays interdisant la maternité de substitution décide de se rendre dans un pays voisin – où la pratique est légale – pour avoir un enfant par le biais d’une mère porteuse, son retour contribue au tourisme reproductif et au trafic d’enfants sans aucune sanction.
Un manque important de données
Comme le souligne le rapport susmentionné, « le manque de données cohérentes, comparables et complètes continue d’entraver une évaluation adéquate et fondée sur des preuves de l’ampleur et des tendances de la traite ; invite les États membres à intensifier leurs efforts et à financer la recherche, l’analyse et la collecte de données sur toutes les formes de traite ».
Afin de s’assurer que la maternité de substitution soit catégorisée comme une pratique de traite et de trafic, il est nécessaire d’obtenir plus de données. Le manque de recherches, de chiffres et de statistiques sur la maternité de substitution est regrettable dans la lutte pour faire reconnaître cette pratique comme une forme de violence relevant de la traite.
PROPOSITION D’AMENDEMENT
Proposition de directive
Directive 2011/36/UE
Article 2 – paragraphe 3
Texte proposé par la Commission (caractères gras insérés à l’article 2 bis)
- L’exploitation comprend au moins l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles ou le prélèvement d’organes, le mariage forcé ou l’adoption illégale.
Amendement
- L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui et de la gestation pour autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle et reproductive, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles ou le prélèvement d’organes ou le mariage forcé, ou l’adoption illégale«
International Coalition for the Abolition of Surrogate Motherhood – -Feminist and human rights organization
163 av. de Charenton 75012 Paris – France – 37 av. Pasteur 93100 Montreuil – France – + 33 612 96 85 27
RNA W931017751 – SIRET 84082258900015
Mail: – Website: http://abolition-ms.org/en/home/
Facebook: ">@surrogacy.abolition – Twitter: @@CIAMS_Coalition – Instagram: ciasm-icasm
***
[1] Directive 2011/36/UE du Parlement Européen et du Conseil, 05/04/2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, URL :https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:101:0001:0011:FR:PDF#:~:text=3.,comme%20une%20circons%20tance%20aggravante.
[2] Extrait du rapport sur la mise en œuvre de la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène, ainsi que la protection des victimes 01/02/2021, URL : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0011_FR.html
[3] https://www.elespectador.com/investigacion/la-gestacion-subrogada-es-una-forma-de-trata-relatora-especial-de-onu/
[4] Protocole de Palerme visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée . Dont l’objectif est de prévenir et de combattre la traite des personnes, en mettant l’accent sur les femmes et les enfants. Protéger et assister les victimes de ce trafic, dans le plein respect de leurs droits humains ; et. Promouvoir la coopération entre les États parties pour atteindre les objectifs de la convention. https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/protocol-prevent-suppress-and-punish-trafficking-persons
[5] Directive 2011/36/EU of the European Parliament and of the Council of 5 April 2011 on preventing and combating trafficking in human beings and protecting its victims, and replacing Council Framework Decision 2002/629/JHA http://data.europa.eu/eli/dir/2011/36/oj
[6] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0011_EN.html