La GPA criminalisée en Italie : un premier pas vers son « abolition universelle » ?

Autrice : Ana-Luana Deram Co-présidente de la CIAMS (Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution)

Publication : le 29/10/2024 par le Journal La Croix.https://www.la-croix.com/a-vif/la-gpa-criminalisee-en-italie-un-premier-pas-vers-son-abolition-universelle-20241029

Le Sénat italien a adopté récemment une loi par laquelle les citoyens italiens ayant recours à la GPA à l’étranger recevraient la même sanction que si elle était réalisée en Italie, où elle est illégale. Le crime est reconnu comme étant de même gravité, quelle que soit la nationalité des victimes et l’endroit où il est commis.

Yulia est originaire du Donbass et veuve de guerre. Elle a 35 ans et deux enfants quand elle accepte de porter un enfant pour un couple d’étrangers. Une fois le contrat signé, Yulia est allée en Géorgie pour être inséminée avant de revenir en Ukraine. Mais les clients sont inquiets à cause de la guerre (et pas confiants dans son régime alimentaire)et lui demandent d’aller en Albanie. Elle ne peut refuser, le contrat est plus contraignant qu’elle ne le pensait. Stressée à l’idée de laisser ses enfants avec les grands-parents, Yuliarepousse l’échéance, mais à 7 mois de grossesse les clients la pressent, alors elle finit par se rendre en Albanie, où elle va accoucher. Les clients sont rassurés.

Ángela se remet de son accouchement. Une hémorragie post-partum avait failli l’emporter, mais dans 5-6 mois elle sera rétablie, même si elle ne pourra plus avoir d’enfants. C’était une seconde grossesse GPA. Lors de la première, elle avait rencontré le « papa » à la maternité ; il voulait qu’elle allaite le petit, et quand elle lui a expliqué qu’elle ne le souhaitait pas, il a été très gentil et n’a pas insisté. Ensuite, il a voulu que ses enfants aient la même « gestatrice » et a directement fait appel à elle pour son deuxième embryon. Dix-huit mois plus tard, elle était à nouveau enceinte. Mère de deux enfants, elle aura bientôt 28 ans et l’argent de cette seconde GPA finira de payer la dette laissée par son ex-mari. De son côté, le « papa » est content (rapport qualité/prix et fiabilité, la Colombie se situe bien).

Leslie a décidé de devenir mère « porteuse » après avoir eu son troisième enfant « gardé » (keepers, comme elles les appellent entre elles les surrogates, pour les différencier des surroBB qu’elles ne gardent pas). La première grossesse GPA s’est bien passée, si ce n’est les horribles maux de tête que rien ne soulageait et les traces douloureuses des injections, qui ont mis des mois pour se résorber. Mais c’est lors de la seconde, entamée en pleine forme et confiance, qu’un cancer lui a été diagnostiqué, lorsqu’elle était enceinte de 22 semaines. Elle a été très partagée, entre l’inquiétude de ne pas se soigner à temps et risquer de laisser ses enfants orphelins d’une part et de l’autre sa responsabilité de remplir son contrat avec les « parents d’intention ». Elle a accouché un peu prématurément, à 37 semaines, et a démarré in extremis son traitement, grâce à une bonne assurance.

Clara n’ose pas poser de questions. Ses parents l’aiment et elle les aime en retour. Depuis toute petite elle a su qu’elle était née d’une bonne fée. Avec le temps, elle a compris que papa-maman ne sont pas ses parents génétiques. A des journalistes qu’ils lui ont fait rencontrer depuis ses 6-7 ans, ses parents et elle expliquaient le formidable triple don (de sperme, d’ovocyte et de gestation) dont elle est née. Le puzzle de la parentalité ravissait tout le monde. Elle aimerait toutefois savoir à qui elle ressemble, où sont ses racines, qui lui a donné la vie. A 24 ans, Clara sait qu’elle n’est pas la seule à se poser ces questions et se sentir coupable de ne pas parvenir à les faire taire. D’autres jeunes nés, comme elle, d’une mère « porteuse » (ils préfèrent ne pas dire « gestatrice », comme le font certains de leurs parents), expriment la même perplexité, sentiment du devoir, conflit de loyauté.

Andrej aura 6 ans et vit toujours dans ce foyer où il a été placé à 8 mois, comme des dizaines d’enfants nés en Ukraine de mères « porteuses ». Leurs commanditaires ne sont jamais allés les chercher. Mark et Ryan apprennent que leur maman est partie pour un long voyage et qu’elle fait ça pour leur bien ; avec d’autres Philippines, elle s’est rendue au Kirghizstan pour être mère « porteuse ».

La GPA est légale dans les pays cités comme dans d’autres pays. Les personnes qui souhaitent y avoir recours font leurs choix sur un marché mondialisé où la diversité des offres vise à satisfaire tous les profils de clients. Pour le prix demandé on obtient un ou des nouveau-nés mis au monde par contrat. Leurs mères ne sont pas payées pour renoncer à un enfant, ni pour accepter par avance son adoption (ce qui serait illégal). La femme qui accepte de devenir mère « porteuse » acquiesce à son dédommagement partiel pour « la douleur, la souffrance et la détresse émotionnelle qu’elle peut subir du fait de sa participation» au contrat. Autrement dit, une mère accepte d’être dédommagée pour subir des violences (médicales, obstétricales, psychologiques) infligées sciemment et sans aucune nécessité. A cela s’ajoutent les contraintes physiques et la violence économique et sociale, soigneusement invisibilisées. Sur ce marché, des patrons d’agence (quasi tous des hommes) sont devenus millionnaires.

La GPA est un marché global qui monétise des violences faites aux femmes afin d’organiser des ventes d’enfants au profit d’un système ultralibéral nourrit par les inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et par l’objectification des enfants et des femmes.

 

Violence et objectification sont les mêmes, et tout aussi contraires aux droits humains, quel que soit l’endroit de la planète et le prix payé pour les contractualiser.

Tous les pays qui luttent contre les violences faites aux femmes et la marchandisation des êtres humains devraient unir leurs efforts pour faire abolir la GPA. C’est par son abolition universelle que l’esclavage a pu être combattu efficacement. Et c’est par l’abolition universelle de la GPA que ses victimes pourront être protégées.

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