Alors que le commerce d’enfants médicalement procréés se développe dans de nombreux pays, la CIAMS (Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution) est plus que jamais engagée contre cette pratique. Sa co-présidente, Marie-Josèphe Devillers dévoile l’importance de ce qui se joue aujourd’hui à La Haye.
Pourriez-vous nous rappeler brièvement en quoi ces tractations, le plus souvent commerciales, voire maffieuses, sont une atteinte grave aux droits des femmes ?
Rappelons d’abord ce qu’est la maternité de substitution, encore appelée GPA, Elle est une pratique sociale consistant à recruter une femme, contre rémunération ou non, afin de lui faire porter un ou plusieurs enfants, conçu(s) ou non avec ses propres ovocytes, dans le but de le ou les lui faire remettre à une ou plusieurs personnes qui souhaitent être désignées comme parents de ces enfants.
Cette pratique le plus souvent commerciale est mise en œuvre par des entreprises de reproduction humaine associant laboratoires, médecins, avocats, agences, intermédiaires, psychologues. Ce marché de plusieurs milliards de dollars a besoin de femmes en tant que moyens de production et même de leurs corps en tant que « réservoir » de matières premières. La maternité de substitution fait de l’enfant un produit avec une valeur d’échange, de sorte que la distinction entre la personne et la chose s’en trouve annulée. Elle renforce la vision patriarcale des femmes en tant que conteneur passif, dédié à la reproduction, commercialisant leur utérus au nom d’un pseudo « choix », les privant de leurs droits humains, pourtant inaliénables, en organisant leur servitude volontaire sous couvert de “consentement”.
Sous le vocable hypocrite d’ « équilibre familial », en clair, si vous avez déjà un garçon, utilisez la GPA pour vous procurer une fille, presque toutes les agences de maternité de substitution offrent le choix du sexe de l’enfant, pourtant proscrit par la convention d’Oviedo, Elles vendent aussi l’illusion de pouvoir obtenir un enfant génétiquement amélioré en se procurant des gamètes femelles, et plus rarement mâles, à partir de catalogues qui vantent les caractéristiques physiques et intellectuelles des pourvoyeuses (dites donneuses d’ovocytes). Des pratiques eugénistes que l’on croyait abandonnées depuis longtemps !
En tant que féministes, nous pensons que la maternité de substitution doit être reconnue dans les instruments et traités internationaux comme une violence à l’égard des femmes et comme de la traite d’êtres humains. Il nous revient aussi d’informer le grand public de la réalité délictueuse, voire criminelle, de cette pratique, occultée par des médias majoritairement investis dans la défense des acheteurs et totalement ignorants et aveugles de ses conséquences délétères pour les femmes et les enfants. Il est urgent de conduire les acteurs politiques et décideurs à réaliser que l’industrie de la maternité de substitution, sous couvert de progrès, de diversité et d’inclusion, renforce l’inégalité entre les sexes et porte atteinte à la justice sociale. Il nous faut les convaincre que le courage politique consiste aujourd’hui à abolir le recours à cette pratique et non à l’organiser sous quelque forme que ce soit.
Cet accaparement du ventre des femmes se fait généralement par le pouvoir de l’argent, les riches paient et les pauvres se soumettent à ces pratiques. Les agences et ceux qui en profitent nous en vantent les mérites, on n’entend presque jamais la parole des femmes qui portent ces bébés; la CIAMS peut-elle faire entendre leurs paroles ?
Les femmes engagées dans le système prostitueur livrent un double discours, l’un apologétique, l’autre, celui des survivantes, qui ouvre une fenêtre sur les conditions réelles de leur exploitation sexuelle sans glamourization des violences subies.
De façon analogue, les récits des mères porteuses se répartissent entre ces deux extrêmes, d’un côté, un narratif conforme à l’argumentation déployée par les agences qui mettent en avant la générosité des mères porteuses, leur bonheur convenu d’offrir ce « cadeau » à des tiers, d’un autre côté, des récits qui dévoilent la réalité de l’exploitation reproductive de ces femmes, récits hélas plus rares puisque bon nombre de contrats comportent des clauses de confidentialité. Ce qu’elles nous disent, par le truchement de la chercheuses indienne Sheila Saravanan, c’est leur proximité avec la mort, décès en couche, mort de leur compagne, mère porteuse comme elles, car la GPA est une pratique à risque, ne l’oublions jamais. Elles parlent aussi de la mort des nouveaux nés dont elles venaient d’accoucher. En 1987 déjà, dans une vidéo, des mères porteuses exprimaient leur sentiment extrêmement fort que ces enfants, qu’elles ont mis au monde, sont bien leurs enfants, quoiqu’on leur dise. Des années plus tard, elles cherchent encore, en vain, à obtenir un droit de visite.
Que sait-on des effets de ce type de conception sur les enfants ? Des études sérieuses ont-elles été menées ?
Hélas, les données de toute nature manquent. On ne sait combien d’enfant naissent de GPA, à de rares exceptions, ni combien de mères porteuses en meurent, ni combien en gardent des séquelles, ni combien d’enfant nés de GPA connaissent ou pas leur origine, ni combien de litiges opposent mères porteuses et clients, et avec quelles issues ?
Nous avons cependant rassemblé et analysé des récits d’enfants nés de GPA, accessibles sur la toile. Beaucoup expriment le sentiment d’avoir été abandonnés, rejetés. Récemment, une jeune femme née de mère porteuse, Olivia, a témoigné dans les médias et lors d’un webinaire que nous avons organisé, de sa douleur et de son incompréhension d’avoir « été échangée contre un chèque »
La situation crée par la GPA affecte aussi les enfants des mères porteuses. La fille de l’une d’entre elles s’inquiète : « Tu ne me donneras pas, dis ? »
La Conférence de la Haye de droit international privé s’est engagée depuis 2010 à élaborer un projet de convention internationale qui traite de filiation dans le contexte de la GPA afin de garantir aux personnes qui y ont recours, les effets de la GPA transfrontières. Quelle est sa légitimité ? Peut-on s’y opposer, et si oui comment ?
En Europe, la dignité humaine, en tant que valeur commune, conduit à l’interdiction de la GPA dans la majorité de ses 28 membres. Dans les pays sous influence anglo-saxonne, la culture du pragmatisme incite à la réglementation. Les États Unis qui mettent en avant la liberté individuelle et d’entreprise ainsi que les républiques de l’ancienne URSS, insuffisamment soucieuse des droits humains, favorisent la GPA de type commercial.
Au plan international, la HCCH, Conférence de la Haye de droit international privé, compte 91 États membres, dont l’Union Européenne, et travaille à un projet de réglementation de la GPA qui ne dit pas son nom. Cet organisme, au fonctionnement très opaque, se donne encore deux ans pour finaliser son projet de convention internationale sur la filiation dans le contexte de la GPA. Il confie cette tâche à des juristes qui défendent exclusivement l’intérêt des clients de la GPA, au détriment des droits des femmes et des enfants. L’aboutissement de ces travaux serait redoutable car ils légitimeraient mondialement le recours à la GPA, au profit d’une industrie qui exploite la capacité reproductive des femmes.
Depuis sa création en 2018, la CIAMS tente de s’opposer à leurs travaux, en vain. Aussi lance-t-elle de nouvelles actions : une pétition pour alerter et mobiliser l’opinion publique qu’il faut absolument continuer à partager et propager :
Un rassemblement le 13 novembre prochain devant le siège de la HCCH à la Haye (Pays Bas) afin de faire entendre notre désaccord et interpeller la nouvelle équipe d’experts, qui se réunira ce jour-là, appointée pour finaliser les travaux entamés.
Quel est l’état du droit international à ce sujet, combien de pays ont légalisé cette pratique attentatoire à la dignité des femmes et des enfants qui deviennent les objets de transactions commerciales ?
En Europe, en réaction aux horreurs du nazisme de la Seconde Guerre Mondiale, la question du droit à la dignité humaine y est devenue primordiale, jusqu’à occuper le premier article de la charte de droits fondamentaux de l’union européenne. La Maternité de substitution y est majoritairement considérée comme une atteinte à la dignité humaine, d’où son interdiction dans une vingtaine de pays européens. Soulignons le cas particulier de la Suisse où cette interdiction est stipulée par la Constitution fédérale.
Dans les pays anglo-saxons, la culture du pragmatisme incite à la réglementation.
Une grande partie des pays de l’ex-empire britannique a choisi la voie de la réglementation (Royaume Uni, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Afrique du Sud …) “Puisque la maternité de substitution est déjà pratiquée, il faut la réglementer, car l’abolir serait vain », cette position de type pragmatique entend l’encadrer pour en prévenir les excès et protéger toutes les parties. Malheureusement, sous la pression du marché, les dispositions contraignantes pour les commanditaires sont progressivement édulcorées ou supprimées. Par exemple au Royaume Uni, lors de la révision de la loi de 1985, le délai, dit de rétractation, au cours duquel la mère porteuse peut renoncer à transférer la filiation aux clients et donc, en théorie, décider de garder l’enfant, serait ramené de 6 mois à 6 semaines. De plus la publicité serait autorisée pour attirer davantage de candidates mères porteuses …
Les États Unis qui mettent en avant la liberté individuelle et les républiques de l’ancienne URSS, insuffisamment soucieuse des droits humains, favorisent la GPA de type commerciales.
Les pays d’influence néo-libérale comme les États-Unis et certains Pays d’Amérique latine, au nom de la liberté individuelle centrée sur le principe d’autodétermination absolue (droit à disposer de son corps dans la sphère commerciale), et de la liberté d’entreprendre développent la GPA commerciale. Par exemple en 2018 l’État de Washington a légalisé la maternité de substitution commerciale jusque-là interdite, et l’État de New-York a suivi la même voie en 2020.
Quant aux pays de l’Ex-URSS, ils se sont ouverts, dès le début des années 1990, à la GPA transfrontière en mode commercial – en particulier en Géorgie, en Russie et en Ukraine (dont il a été question pendant le covid, les enfants ne pouvant plus être livrés à leurs commanditaires restaient en souffrance comme de vulgaires marchandises) Cette activité très lucrative, source de devises, y est considérée comme une activité comme une autre par une industrie en plein développement, qui exploitent les femmes les plus vulnérables économiquement et socialement.
Enfin en Afrique, la GPA se développe aussi avec quatre foyers principaux : au Kenya pour le marché international puisqu’ il est possible de produire des enfants blancs avec des femmes noires ; en Afrique du Sud pour la classe la plus riche, au Nigeria, où la pression à la reproduction pèse lourdement sur les femmes avec des pratiques violentes de grossesses forcées ; et plus récemment en Ouganda où une initiative, lancée par des occidentaux, consiste à échanger un bébé issu d’une GPA contre une formation, sous couvert d’action humanitaire sans doute !