Intervention de Berta O. Garcia devant le sénat du Mexique le 16 mai 2022 lors d’un forum intitulé « gestación subrogada,
Vientres de alquiler, las otra voces »
Publié initialement par https://tribunafeminista.org/2022/05/en-las-entranas-de-la-gestacion-subrogada-secrets-and-lies/
The trouble with lying and deceiving
is that their efficiency depends entirely upon a clear notion
of the truth that the liar and deceiver wishes to hide.
Hannah Arendt
La mal nommée « Gestation pour autrui » est une histoire fictive faite des mensonges les plus grossiers et des oxymores les plus délirants. Mais les mensonges, même répétés mille fois, ne deviennent pas des vérités, même si Goebbels en a fait l’un des principes de la propagande nazie. Le paquet de canulars autour de la maternité de substitution, bien que faciles à digérer, ne résiste pas à une analyse rigoureuse à la lumière de la raison, de l’honnêteté, de la transparence, de la dignité humaine et des droits humains.
Tout d’abord, le nom de la pratique « maternité de substitution », est lui-même une fiction : la substitution est le fait de substituer, c’est-à-dire mettre quelqu’un ou quelque chose à la place d’une autre personne ou chose, et ni la gestation, ni la digestion, ni la respiration, ni aucune fonction physiologique ne peuvent être substituées.
Affirmer mille fois qu’une femme donne ou cède sa capacité de gestation à une ou plusieurs autres personnes qui se l’approprient – ce qui est impossible – la transformant en « mère porteuse », ne peut cacher la réalité de cette pratique. Pratique qui consiste à inciter une femme à abandonner l’enfant qu’elle a conçu et mis au monde pour le remettre à des tiers, par accord ou contrat, avec, en sus, le transfert du droit de filiation, élément fondamental de cette pratique qui n’existerait pas sans ce transfert organisé légalement du nouveau-né à ceux qui l’ont commandé.
Ce transfert juridique correspond, ni plus ni moins, à la légalisation de plusieurs délits : le délit d’abandon de mineur, le délit de vente et d’achat d’enfant et le délit d’altération de la filiation. C’est là la vérité cachée dans le mensonge, mille fois répété, de cette prétendue cession ou donation de la capacité de gestation. Comme nous le verrons plus loin la seule chose qui relève du don dans cette pratique est nié à dessein.
Un autre des mensonges répétés par les agences et les cliniques de maternité de substitution est de qualifier leur clients de « patients ». Tout sauf les appeler par leur vrai nom « clients », car là où il y a des clients, il y a un marché, et ces agences et cliniques qui prétendent être respectables révéleraient leur véritable activité.
Selon la définition de notre loi sur l’autonomie du patient[1] , le patient est « toute personne qui requiert des soins de santé et est soumise à des soins professionnels pour le maintien ou le rétablissement de sa santé« . Mais dans le contexte de la soit disant maternité de substitution, le patient est le client et les cliniques de maternité de substitution n’ont pas l’intention de les aider à améliorer ou recouvrer leur santé.
Le « traitement » n’est autre que l’utilisation d’une femme en bonne santé qu’ils transformeront en une patiente fonctionnelle pour leurs clients. En opérant férocement sur cette femme des pratiques médicales et psychologiques agressives, sans aucun besoin puisqu’elle est fertile et en bonne santé physique et psychologique, première et principale condition pour qu’une femme soit sélectionnée pour devenir ce que l’industrie appelle « mère porteuse ».
« Primum non nocere » (en premier, ne pas nuire), ce principe de prudence enseigné aux étudiants en médecine s’en trouve perverti, d’autant que ni la mère porteuse, ni l’enfant qu’elle mettra au monde n’inverseront l’infertilité des clients.
Avant que le « traitement » ne commence, les clients doivent, soit fournir leurs propres gamètes mâles et femelles – ce qui est rare – soit obtenir des ovocytes et du sperme auprès de personnes qui les fournissent anonymement, le plus souvent en échange d’une compensation ou d’un paiement. Les clients peuvent choisir leurs fournisseurs de gamètes sur la base de critères phénotypiques – souvent racistes – et d’autres caractéristiques, comme leur l’âge et certaines capacités physiques ou intellectuelles. Le vade-mecum médical est donc remplacé par les catalogues des fournisseurs et des prestataires de cellules germinales et de femmes candidates à la « gestation pour autrui » afin de fournir le « traitement particulier » que les cliniques de maternité de substitution offrent à leurs clients.
Il faut noter que le prélèvement d’ovocytes est une pratique qui n’est pas sans risque, car elle nécessite une hyper-hormonation ovarienne et une ponction folliculaire chirurgicale dont les conséquences à moyen et long terme n’ont pas été étudiées. Lorsque les ovocytes ne sont pas le reliquat de ceux qui ont été extraits d’une femme ayant eu recours à une fécondation in vitro, mais qu’ils ont été obtenus par le biais d’un don compensé ou rémunéré, nous sommes également confrontés à une pratique agressive d’exploitation reproductive.
Ces clients dits « patients » obtiennent un ou plusieurs embryons ou zygotes par fécondation in vitro à partir de leurs propres gamètes ou de ceux d’autres personnes qui, prétendent-ils, sont leur propriété exclusive. Bien qu’implantés dans l’utérus de la femme « gestatrice », ils soutiennent que ce n’est pas à elle, qu’ils ne les lui ont pas donnés et que le bébé qu’elle concevra et mettra au monde doit leur être remis, puisque, disent-il, ils sont ses parents et l’enfant est à eux..
Ils affirment en outre que cette femme ne peut en aucun cas être la mère de l’enfant, car elle n’a aucun lien génétique avec lui. Et ce, même si l’un, ou parfois des deux clients, n’ont eux-mêmes aucun lien génétique avec le nouveau-né, puisque les gamètes utilisés ne sont pas les leurs et ont été obtenus auprès d’une ou plusieurs autres personnes anonymes.
En bref, ils prétendent de façon ridicule que la fille ou le fils qui naît de la femme à qui l’embryon a été transféré, qui l’a porté et mis au monde, n’appartient pas à cette femme, mais est leur enfant au motif que l’embryon créé en laboratoire, dans une éprouvette, est leur propriété exclusive et qu’ils n’en ont pas fait don.
Mais n’en font-ils pas vraiment don ? Continuons à démêler les mensonges.
Aucune femme fertile ne se rend dans une clinique, ne subtilise un embryon qu’elle fait implanter dans son utérus pour le restituer à ses détenteurs en tant que bébé à 38 semaines de gestation. Le transfert d’embryons n’a pas lieu sans le consentement des donneurs, propriétaires de l’embryon. Oui, des donneurs, car qu’ils le veuillent ou non, ils ont besoin d’une femme pour lui transférer l’embryon et qu’il se développe dans son utérus, car il ne peut pas se développer tout seul dans une boite. N’avez-vous pas appris que toute personne qui reçoit des cellules, des tissus, des fluides et des organes d’un autre corps les a reçus de donneurs qui les ont fournis ?
Cette femme est donc la receveuse et les clients sont les donneurs de l’embryon, même s’ils le nient, même si l’industrie le nie, même si la législation sur les mères porteuses le nie, car le simple fait d’implanter un ensemble de cellules – dans ce cas, l’embryon – dans le corps d’une autre personne, appelée la receveuse, suppose à la fois le consentement et l’acceptation de la receveuse et le consentement et la renonciation du ou des donneurs.
Et cette renonciation doit être informée, volontaire, altruiste, libre et anonyme, et aucune rémunération, aucun bénéfice ou avantage ne peut être reçu du don – sinon il s’agit de trafic[2] – ni aucune contrepartie pour l’embryon donné[3] et, encore moins, sa restitution en tant que bébé après neuf mois de gestation et un accouchement.
Donner un embryon de façon non anonyme et prétendre recevoir en retour un bébé de la receveuse – réduite à une « femme enceinte » pour la priver de tout droit de maternité et de la conscience d’être mère – est pour le moins une perversion de tous les principes bioéthiques qui caractérisent le modèle mondial des transplantations. Imagine-t-on qu’un donneur de sang aveugle exige, en échange de son sang, les cornées saines de la receveuse ?
Il n’y a qu’un seul pays au monde, l’Iran, où le trafic d’organes est légal, mais il y a une poignée de pays – dont l’Iran – où cette anomalie bioéthique particulière qu’est la mal nommée « gestation pour autrui » est légale, avec inexplicablement, quatre aspects ahurissants :
- Le transfert d’embryon effectué sur la femme « enceinte » est exclu du concept de don, alors que le don est l’acte de donner organes, fluides, tissus et cellules humains destinés à un autre être humain, et que le transfert d’embryon répond à cette définition ;
- Le don, en principe, est effectué dans l’intérêt thérapeutique du receveur, mais dans le cas de la maternité de substitution, le receveur est une femme saine et fertile qui n’a besoin d’aucun type de traitement pour se reproduire et qui, paradoxalement, sera soumise à des pratiques médicales qui mettront en danger sa santé et son intégrité physique et psychologique pendant la grossesse, la naissance et le post-partum.
- Dans le cas de la gestation pour autrui, le don d’embryon n’étant pas anonyme, revendiquer la filiation avec l’enfant est rendu possible une fois celui-ci né, et même avant sa naissance.
- Les clients/donneurs tirent profit du don de l’embryon. Un grand avantage, d’ailleurs, puisque, bien que non quantifiable, c’est un être humain qui sera arraché à sa mère au moment de la naissance.
Ces quatre exceptions illégales et illogiques de l’arnaque de la maternité de substitution permettent et légitiment que les détenteurs de l’embryon exigent qu’on remettent l’enfant né de la mère qui lui a donné naissance sous prétexte que, même si elle l’a mis au monde, il ne porterait pas sa charge génétique, alors que, selon toute probabilité, cet enfant ne porte pas la charge génétique d’au moins l’un des clients ou d’aucun d’entre eux.
La Convention pour la protection des droits humains et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, connue sous le nom de Convention d’Oviedo[4] , stipule clairement que le corps humain et ses parties, en tant que tels, ne doivent pas être une source de profit ou de gain. Elle ajoute aussi que, en ce qui concerne les applications de la biologie et de la médecine, l’être humain doit être protégé dans sa dignité et son identité, et que toute personne, sans aucune discrimination, doit se voir garantir le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales.
Dans la pratique de la soi-disant maternité de substitution, tous ces principes sont corrompus, déformés et annulés.
- Tout d’abord, parce que même avec le consentement de la femme, l’utiliser comme un instrument et la réduire à une « mère porteuse » viole sa dignité et celle de tous les êtres humains.
- Ensuite, parce que la mère et l’enfant sont privés du droit à la filiation dans les deux sens et que le droit à l’identité de l’enfant est usurpé, pour ne jamais être retrouvé, puisque la mère est effacée de sa biographie et que le nouveau-né est discriminé par rapport aux autres personnes sur la base de sa naissance avec l’approbation de l’État.
- Troisièmement, parce que le droit fondamental de la mère à l’intégrité physique et psychologique est détruit.
- Et quatrièmement, en raison des exceptions particulières décrites plus haut, aux principes fondamentaux qui régissent le don – en tant qu’acte individuel exemplaire de solidarité, d’anonymat et d’altruisme au nom de la santé collective – en pervertissant cet acte et en le transformant en un paradigme d’égoïsme, de violence, d’iniquité et de mensonge.
Je conclurai en reprenant les propos de la Présidente du Sénat : Mme Sánchez Cordero, oui, il est extrêmement nécessaire et urgent de rompre avec l’inertie du passé et de s’adapter à la réalité d’une société qui a aboli l’esclavage.
Il n’y a qu’une seule solution à cette pratique héritée des temps passés où, pendant des millénaires, l’achat et la vente de personnes ont été normalisés. Cette solution est l’ABOLITION, et c’est pourquoi je suis membre de la Coalition internationale pour l’abolition de l’exploitation reproductive, présente dans 14 pays sur 3 continents et auteur du projet de Convention abolissant cette pratique archaïque, violente et déshumanisante à l’égard des femmes et des nouveau-nés. J’invite tous les sénateurs à visiter notre site web et à lire le texte de cette convention, à la promouvoir et à la faire connaître dans les institutions de l’État. Merci beaucoup.
[1] Loi 41/2002, du 14 novembre, loi fondamentale régissant l’autonomie du patient et les droits et obligations en matière d’information et de documentation cliniques.
Quelques exemples : « Les patients qui désirent recourir à la gestation pour autrui doivent demander un avis juridique avant le traitement, afin que toutes les parties prennent les meilleures décisions et respectent les lois entourant la maternité de substitution au Québec » https://cusm.ca/sites/default/files/users/user187/SUR_Surrogacy_Booklet_FR_042318_0.pdf
« La loi californienne donne filiation aux futurs parents à six (6) mois de gestation et de nombreux patients choisissent donc la Californie pour leur projet de GPA. ». https://cacrm-france.com/maternite-de-substitution-gestationnelle-gestation-pour-autrui-mere-porteuse/questions-dordre-juridique/
[2] Trafic d’organes, de tissus et de cellules et trafic d’êtres humains en vue du prélèvement d’organes. Étude conjointe du Conseil de l’Europe et des Nations unies, 2009.
[3] Articles 3.1 et 3.4 du décret royal 1301/2006 du 10 novembre 2006 établissant les normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains et approuvant les règles de coordination et de fonctionnement pour leur utilisation chez l’homme.
[4] Ratification de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine), faite à Oviedo le 4 avril 1997. BOE 251 du 20/10/1999 Sec 1 Page 36825 à 36830