Ana-Luana Stoicea-Deram Militante féministe et Présidente du Collectif pour le Respect de la Personne
Le 15 mars, à huis clos, la Commission des questions sociales de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe votera le rapport « Droits humains et questions éthiques liées à la gestation pour autrui ».
L’auteure du rapport est médecin gynécologue et travaille avec des mères porteuses en Belgique, où la maternité de substitution est tolérée et considérée comme éthique, car les mères porteuses ne sont pas rémunérées pour leurs services reproductifs. Madame de Sutter milite également pour la légalisation de la maternité de substitution (dite aussi « gestation pour autrui », GPA).
Malgré cela, en janvier, la Commission « a décidé (par un vote à main levée) de ne pas procéder à un vote sur la possibilité de démettre la rapporteure de ses fonctions (article 3 conjugué à l’article 1.1.1. du Code de conduite des rapporteurs) » (cf. Carnet de bord). Autrement dit, la Commission ne veut pas demander explicitement à ses membres si la rapporteure se trouve en conflit d’intérêts. Pourquoi?
On mesure l’intérêt de cette décision pour les lobbys pro-GPA, quand on sait que Madame de Sutter collabore avec une clinique indienne qui commercialise la maternité de substitution. Cette clinique, Seeds of innocence, fait de sa collaboration avec la gynécologue belge un argument marketing pour ses clients internationaux: « What makes Seeds of innocence unique from other fertility clinics is its collaboration with the department of reproductive medicine of the University Hospital of Ghent, Belgium, represented by Prof. Dr. Petra De Sutter. This clinical collaboration is one of its kinds in referring and discussing cases, helping in clinical trials, exchanging academic expertise and in setting up quality management for exemplary services. »
Les clients sont ainsi rassuré.e.s: pour celles/ceux qui ne peuvent avoir accès à la « GPA éthique » belge, il reste toujours le recours à des services de qualité, certes plus coûteux et plus lointains, mais cautionnés par la collaboration avec l’hôpital universitaire de Gand.
Le Conseil de l’Europe va donc se prononcer en matière de GPA lors d’une séance à huis clos, sur la base d’un document réalisé par une personne qui soutient simultanément la GPA dite éthique (Belgique) et la GPA commerciale (Inde). L’éthique sert en l’occurrence de cache-sexe au marché.
Or, le Conseil de l’Europe doit être garant de ses propres conventions.
La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite Convention d’Oviedo, stipule que « Le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit » (art. 21). Pour la clinique commerciale indienne avec laquelle collabore la rapporteure du Conseil, le corps des femmes et les enfants sont une source explicite de profit (« Commercial surrogacy is permitted in India »).
La Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) stipule que, pour qu’un enfant puisse être adopté, la femme qui accouche de lui ne peut y consentir qu’après l’accouchement: « Le consentement de la mère à l’adoption de son enfant n’est valable que lorsqu’il est donné après la naissance, à l’expiration du délai prescrit par la législation, qui ne doit pas être inférieur à six semaines ou, s’il n’est pas spécifié de délai, au moment où, de l’avis de l’autorité compétente, la mère aura pu se remettre suffisamment des suites de l’accouchement » (art. 5).
Pour les enfants nés par GPA, la clinique commerciale indienne avec laquelle collabore la rapporteure du Conseil assure ses clients que la mère porteuse s’engage par contrat à remettre l’enfant aux commanditaires (« Surrogacy arrangement will continue to be governed by contract amongst parties, which will contain all the terms requiring consent of surrogate mother to bear child »).
En termes d’accès aux informations sur les origines personnelles, les enfants adoptés ont, selon cette même convention sur l’adoption, accès aux informations les concernant: « L’enfant adopté a accès aux informations détenues par les autorités compétentes concernant ses origines » (art.22).
Pour les enfants nés par GPA, la clinique commerciale indienne avec laquelle collabore la rapporteure du Conseil assure ses clients que le nom de la mère porteuse n’apparaîtra pas sur le certificat de naissance. Autrement dit, en bafouant le droit de toute personne à son identité et à la connaissance de ses origines, et sans autre nécessité que purement commerciale, on enlève à l’enfant à naître la possibilité d’avoir une trace de l’identité de la femme qui le met au monde (« The birth certificate of the surrogate child should contain the names of the commissioning parents only. »).
Quelle éthique promeut aujourd’hui le Conseil de l’Europe? Celle décrite dans ses conventions, ou celle du marché?