REPONSE À MR FOGIEL SUITE A SON LIVRE: « Qu’est-ce qu’elle a ma famille ? »

UNE CRITIQUE RAISONNÉE DU LIVRE DE MARC OLIVIER FOGIEL

NON M. FOGIEL RIEN D’ADMIRABLE DANS VOTRE DÉMARCHE              Couverture du livre du présentateur Marc-Oliver Fogiel : Qu’est-ce-qu’elle a ma famille? Source image.

Si j’ai un regard critique sur votre livre, je précise qu’ il ne repose pas sur ce que vous êtes,
mais sur un certain nombre de positions que vous défendez dans votre ouvrage « qu’est-ce qu’elle, a ma famille? »

Mr FOGIEL, la lecture attentive de votre ouvrage m’a donné matière à réfléchir sur mon expérience de vie de femme, de mère, et de gynécologue qui durant une pratique de plus de quarante ans a rencontré quotidiennement des femmes enceintes et qui a assuré la prise en charge de nombreux couples stériles. Si j’ai un regard critique sur votre livre, je précise qu’ il ne repose pas sur ce que vous êtes, mais sur un certain nombre de positions que vous défendez dans votre ouvrage « qu’est-ce qu’elle, a ma famille? » et que je voudrais discuter ici.

1) Le tsunami en Thailande

Vous débutez votre livre par une référence à cette catastrophe à laquelle vous avez assisté. Au milieu de ce drame humain , ce que vous voyez , c’est que des mères en train de se noyer étaient contraintes de lâcher leur enfants, et vous en concluez que « l’instinct maternel n’est pas tout-puissant et qu’il n’est pas toujours aussi fort que l’instinct de survie ». Et c’est immédiatement après ce commentaire que vous envisagez la possibilité d’en passer par une mère porteuse pour avoir un enfant : les mères, ces femmes qui lâchent les enfants… Est-ce de ce fait qu’elles ne vont plus être nommées mères?

Car il n’y aura plus de mère dans votre livre ; il y aura des femmes avec des fonctions morcelées, pour qu’elles soient peut-être le moins mères possible.

Je ne tiens pas à faire ici une apologie unilatérale des mères, qui pourrait être comprise comme le refus d’une fonction parentale concernant les homosexuels, ce qui n’est en rien mon propos et contre quoi je m’élève. Mais je ne peux manquer de répondre à un déni affirmé des mères dans votre livre. Car il y aura surtout des pères, (en dehors de quelques couples hétérosexuels qui demandent une GPA que vous évoquez) dans votre livre. Si je pense qu’un couple d’hommes peut élever un enfant aussi bien et aussi mal que tout le monde, je pense aussi que les mères ne peuvent être effacées. On ne saurait oublier que les pères ont largement démontré de tout temps que l’enfant n’était pas le centre de leurs préoccupations pour une majorité d’entre eux ; le nombre des père abandonnant leur famille, ne payant pas de pension alimentaire, ne revoyant plus leurs enfants sont encore légion aujourd’hui et ils n’ont pas besoin d’un tsunami pour ce faire. Vous constatez tout de même que les mères thaïlandaises qui avaient vécu ce drame terrible vivaient ensuite une culpabilité atroce : mais cette leçon-là, vous ne l’avez pas retenue ; dans votre conception idyllique d’une GPA vous semblez croire qu’aucune des mères qui ont porté un enfant 9 mois et qui l’ont mis au monde ne porte une culpabilité d’avoir abandonné un enfant. Je peux penser que certaines mères porteuses se sentent coupables d’avoir vendu celui qu’elles peuvent considérer comme leur enfant, comme les mères qui accouchent sous X se sentent très souvent coupables d’avoir abandonné leur enfant, j’en ai rencontrées.

2) La conception et la gestation sont séparées

c’est aussi ce qui vous autorise à penser que la femme qui porte un enfant n’est pas la mère ; mais, dans votre histoire, qui est la mère? Ce n’est pas la femme qui a donné un ovule. Ce n’est pas le père biologique : même si vous vous décrivez comme père maternant, vous ne délirez pas ; vous ne vous considérez pas comme une mère. Si ce n’est pas la femme qui a porté et accouché d’un enfant, qui a de tout temps été désignée comme mère, alors, qui est la mère? Il me semble essentiel de reconnaître cette femme comme la mère: une mère peut abandonner secondairement un enfant, comme le font les mères qui accouchent sous X, mais elles sont néanmoins désignées comme mère. Il est essentiel que soit reconnu son rôle et le rôle de chacun. L’abandon de cet enfant va permettre à une autre personne de devenir parent adoptif, père ou mère. Mais cela n’empêche pas de reconnaître que la mère, que chacun s’emploie à gommer dans la GPA, n’est pas une femme porteuse mais bien une mère porteuse parce qu’elle est porteuse d’enfant. Etre dans un déni de mère ne me paraît pas compatible avec la transparence dont vous voulez nous convaincre.

3) La biologisation de la reproduction

« J’ai toujours voulu être père, donner la vie, ne pas interrompre la chaîne des générations, transmettre des valeurs, un nom, continuer à exister… ». La reproduction génétique est essentielle pour Mr F. ; les exigences qu’il a de la « qualité » de l’ovule féminin le démontre également ; s’il commence par exprimer quelques scrupules vis à vis du choix de la donneuse d’ovule, réalisant bien par là la nature eugénique de ce projet, il balaie vite ces interrogations, qui de façon paradoxale, deviennent alors une légitimation de son choix. Il va même en rajouter sur les exigences faites à la donneuse d’ovule : « nous voulions privilégier les traits relevant de l’intelligence, de la réussite scolaire et sociale : nous voulions être fiers du patrimoine génétique que nous allions transmettre à nos enfants ». C’est dire à quel point Mr F. doit être fier lui-même de son patrimoine biologique, que l’on espère à la hauteur de celui de la donneuse d’ovule.

La nature narcissique de son projet conceptif apparaît ainsi en toute clarté.

Auparavant, les exigences des parents étaient plus modestes et plus réalistes : ils souhaitaient des enfants en bonne santé ; aujourd’hui, les exigences des parents deviennent exorbitantes et les enfants en porteront le poids. Quant aux qualités qu’il pense ainsi transmettre par ce choix, elles seront loin d’être celles qu’il escompte et qu’il est prêt à payer près de 10 000 dollars pour les obtenir. La formation d’un embryon comporte de nombreux remaniements, qui conduisent à ce que la patrimoine génétique d’un enfant soit bien différent de celui de leurs parents et les qualités acquises ne sont pas génétiquement transmises. Une sociologue canadienne, L.Vandelac, disait à ce propos « you are not a xerox and baby is not just a copy» [« Vous n’êtes pas une imprimante et votre bébé n’est pas une simple photocopie.», NDLT]. La biologisation de la reproduction, entendu comme la volonté de transmission de son patrimoine génétique, est le facteur majeur qui conduit aux PMA comme à la GPA aujourd’hui. Lutter contre cette représentation erronée de la génétique dans la reproduction est un facteur majeur pour lutter contre ces pratiques. Et des caractères transmissibles qui ne passent pas par les chromosomes ont été démontrés entre une mère, « même porteuse» et non liée génétiquement à l’enfant porté. Ce qui signifie qu’on ne peut pas séparer de façon radicale la transmission qui se fait par l’ovule et celle qui se fait par la gestation : l’enfant se verra transmis des caractères provenant des deux origines, même si ce n’est pas à part égales ni sur les mêmes fonctions.

 

4) Il existerait des GPA éthiques et des GPA non éthiques. Il suffirait donc de les réglementer pour les « éthiciser »

. Ce qui est parfaitement étonnant, c’est de laisser à penser que le GPA américaines seraient éthiques, voire même, avec la description si élogieuse qu’en fait Mr F., réaliseraient la GPA modèle : comment l’argent, qui est critère essentiel des échanges sociaux partout dans le monde aujourd’hui, mais particulièrement aux USA, pourrait-il arriver à « éthiciser » une pratique hautement mercantile, gérée par des juristes, des gestionnaires de cliniques, des médecins qui ont choisi de pratiquer dans les domaines où le profit est très grand ? Que signifie « éthiciser » une telle pratique dans ces conditions? Il ne semble pas que les appétits mercantiles de ces trois professions soient minimisées dans la GPA, puisque, pour un coût de 100 à150 000 dollars, ces professionnels empochent la quasi totalité de ces sommes, 20 000 dollars assurant la rémunération de la mère porteuse et 5000 à 10 000 euros rémunérant la donneuse d’ovule. Mais il est clair que l’argent ne gêne pas Mr F.: pour lui, l’argent ne saurait être incompatible avec l’éthique. Je ne détaillerai pas les contrats terriblement contraignants pour les mères porteuses ; on peut en trouver des analyses sur internet. Il n’est pas sans intérêt de constater que le contenu de ces contrats n’est pas abordé par Mr F.: les conditions imposées à la mère porteuse, qui réalisent une véritable exploitation de ces femmes, cadreraient peut-être mal avec sa démonstration d’«éthicité» ; mais elles cadrent parfaitement avec ses exigences de commanditaire afin de protéger sa paternité. Je voudrais ici m’opposer vigoureusement à la représentation idyllique qu’il nous fait de l’état de mère porteuse, qui est en fait le cheval de bataille de Mr. F. et de « l’éthicité » de la GPA américaine. « On ne saurait comprendre ce qui fait la spécificité de la GPA « éthique » si l’on ne saisit pas ce qui peut pousser une femme à offrir un enfant pour quelqu’un d’autre. C’est une démarche profondément altruiste. Le don de gestation est un des actes les plus valorisants qui soient. Les femmes porteuses américaines ont souvent quelque chose qui s’apparente à une vocation » (p 29) ; et cet argument est répété à longueur de livre. Mr F. nous a expliqué le choix de la donneuse d’ovule par ses qualités intellectuelles et physiques ; il a été près à payer près de 10 000 dollars pour utiliser les gamètes de cette femme, qui sont recueillis après une stimulation d’ovulation ; certes, ce n’est pas un protocole plaisant mais ça ne dure pas 9 mois. Mais voilà, cette femme est choisie parce qu’elle est « intelligente », et n’est probablement pas de milieu populaire donc il est normal qu’on la rémunère bien. La mère porteuse, à laquelle on dénie même le terme de mère appartient au milieu populaire et celle choisie pour la GPA de Mr F. ne déroge pas à cette règle. C’est une femme de 28 ans, qui n’a pas d’activité professionnelle, pas de sécurité sociale, et qui vient d’avoir un deuxième enfant qu’elle allaite encore quand elle rencontre Mr F. Comme il le précise, « sur bon nombre de sujets, nous sommes très différents, sa culture, son mode de vie », témoignant ainsi, de façon soft, de l’origine populaire de cette femme… « Aussi incroyable que cela puisse paraître, même pour moi à l’époque, le but de Michelle était uniquement d’aider les autres familles. La question de l’argent n’en était pas taboue pour autant : le fait qu’un dédommagement soit envisagé n’entrait pas en contradiction avec le désintéressement de sa démarche ». Puisque pour tout ce qu’elle accepte de vivre , « elle aura un dédommagement qui paraît dérisoire : 20 000 dollars». Je suis bien d’accord avec vous : c’est un dédommagement dérisoire, dont vous dites qu’elle l’accepte dans le but d’aider une famille.

Vous êtes conscient que cette somme est dérisoire par rapport à ce que cette femme accepte de faire pour vous, et dérisoire par rapport à la somme totale que vous payez mais dont elle ne bénéficiera pas alors que c’est grâce à elle que tout ce montage est possible. Mais vous ne lui proposez pas plus d’argent : serait-ce parce que le fait d’accepter d’être sous-payée est le témoin de son altruisme? ; en somme, vous surexploitez sa générosité.

Vous surexploitez surtout son origine populaire : vous n’avez pas sous-payé la donneuse d’ovule et vous l’avez choisie chère pour avoir un ovule à la hauteur de vos espérances, mais une femme qui se contente de porter un enfant, tâche non noble puisque, peut- on penser, elle ne participera pas au patrimoine biologique, on peut la sous-payer, ce d’autant qu’elle l’acceptera. Quand on est si contente de le faire, quand c’est « une vocation », comme vous le dites, il semble normal qu’on ne soit pas payée à la valeur du service rendu. Effectivement une belle leçon d’éthique que vous nous donnez là, en vous autorisant à surexploiter des personnes qui font état de leur générosité. Et vous ajoutez que cette rémunération est si faible qu’elle ne change pas la vie de ces femmes, témoignant ainsi encore de leur altruisme et de leur vocation. Mais cette rémunération, toute faible qu’elle soit, constitue une somme très importante, qui peut paraître une aubaine dans une période de précarité financière, comme en connaissent nombreuses personnes de milieu populaire, en particulier aux USA aujourd’hui. Vous insistez sur la faiblesse de cette somme ; pour vous, c’est certainement très peu et nous comprenons que vous ne seriez pas enceinte dans ces conditions financières si vous étiez une femme. (Mais, même dans d’autres conditions, seriez-vous mère porteuse?) Pour une personne de milieu populaire, et même une personne de petite classe moyenne, c’est une somme importante. Elle peut permettre par exemple de s’acheter une voiture neuve, si indispensable aux USA, ou une caravane dans lesquelles bien des gens vivent dans ce pays, elle peut permettre de payer deux ans d’étude aux enfants, elle peut aussi permettre de vivre sans travailler pendant plus d’un an… Les contrats de GPA font état de la motivation des femmes ; donc les femmes sont motivées. Vous êtes son employeur potentiel, elle vous dit ce qu’elle pense que vous avez envie d’entendre… Comme l’écrit M.Sandel, qui est professeur d’économie et de philosophie politique à Harvard, «dans quelles conditions les relations marchandes reflètent-elles une liberté de choix et dans quelles conditions exercent-elles une sorte de coercition ?»[1]. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des éléments psychologiques qui aliènent ces femmes dans ces conditions : cette rhétorique de l’altruisme, du don d’un enfant à une famille malheureuse, du désintéressement, que vous exploitez, et dont vous nous abreuvez sans jamais réfléchir à quel peut-être son contenu réel, elles en ont aussi besoin pour se regarder dans la glace, voire s’idéaliser en jouant un rôle qui leur permet une légitimation sociale. Parce qu’accepter une grossesse et donner un enfant pour de l’argent ne serait pas acceptable ni à leurs yeux, ni à celui de leur entourage. Le milieu populaire a souvent une morale plus grande que d’autres classes de notre société, notamment par rapport à la procréation, et pour de nombreuses femmes, accepter de donner un enfant contre de l’argent peut être stigmatisant. Si le besoin d’idéaliser une image est encore plus fort chez des personnes socialement démunies, elle est aussi très forte chez tout un chacun : par exemple chez vous, qui avez tant besoin de nous démontrer que vous êtes un père parfait dans ces pages. Je vous crois sur parole, bien que je me méfie des parents parfaits ; ce comportement est-il le plus adéquat pour l’éducation d’un enfant? Ce que je sais, c’est que le désir et l’amour n’y suffisent pas ; Winnicott parlait de « mère suffisamment bonne »pour faire au mieux avec un enfant ; il ne parlait pas d’une mère qui se veut parfaite. Est-ce que ce qu’il disait des mères s’applique aux pères maternants?

Avez-vous pensé à ce que deviendrait cette pratique de GPA si généreuse si les femmes n’étaient plus du tout rémunérées ? Vous évoquez la GPA altruiste du Canada, mais sous savez bien que « les dédommagements informels et officieux » constituent bien une marchandisation des femmes et de l’enfant comme partout ailleurs. Si la GPA n’était plus du tout rémunérée, il resterait encore quelques femmes prises dans des problématiques névrotiques spécifiques de réparation de stérilité familiales, et quelques autres dont la grossesse est vécue comme comme un moment nirvanesque mais dont les suites de grossesse sont souvent marquées d’une dépression majeure. Autant dire que les GPA non rémunérées seraient rarissimes. Et, vous le savez comme moi, dans les lieux où une GPA dite éthique semble fonctionner sans rémunération, des dessous de table qui prennent diverses formes existent.

 

5) En tant que mère et médecin, je sais combien une grossesse est un évènement important dans la vie d’une femme

Et combien la vie n’y est pas toujours facile. Les inconvénients de toute grossesse , que je n’ai jamais vu cités une seule fois dans votre livre, existent bel et bien: les nausées du premier trimestre, les contractions, la fatigue, la prise de poids qui peut être si difficile à reperdre après l’accouchement, les contraintes de régime, l’absence d’alcool, de tabac, (certains contrats de mère porteuse y ajoutent l’éviction des rapports sexuels!) sont le quotidien fréquent des femmes enceintes.

Les pathologies de grossesse font le contenu des livres d’obstétrique: le diabète gestationnel, l’HTA et ses risques, risques dont il a été démontré qu’ils sont plus fréquents chez les femmes en GPA, incitant à penser qu’un facteur psycho-somatique pourrait jouer un rôle dans leur déclenchement, les prématurités, déjà plus fréquentes chez les femmes en PMA portant un seul enfant, mais multipliées par le risque de gémelléité si fréquent dans les GPA et souhaitées par de nombreux couples demandeurs pour s’éviter le coût d’une 2ème grossesse

Les césariennes, geste obstétrical si fréquent et peut être encore pratiqué plus souvent en GPA pour prendre le moins de risques pour le bébé, césariennes qui vont réduire l’avenir procréatif de ces femmes. Les dépressions post-partum, qui ne sont certainement pas prises en charge après l’accouchement d’une femme porteuse qui doit sortir de la clinique le lendemain de l’accouchement. Les risques graves de fin de grossesse peuvent conduire à une hystérectomie ou à la mort de la mère. Et si ces derniers évènements sont devenus rares, ils existent encore bel et bien. Pourquoi ne dites -vous pas un mot de l’ensemble de ces risques? Cela diminuerait peut-être « l’éthicité » de votre présentation de la GPA ? Il est aussi vrai que ce n’est pas vous qui les courez, ces risques, ce sont des femmes, des mères. Qu’une femme puisse encourir des risques quand il s’agit d’une grossesse qu’elle souhaite, les femmes, les sachant, les ont toujours pris et c’est grâce à elles que vous êtes là aujourd’hui. Est-il juste, est-il «éthique» de mettre des femmes, celles qui sont de milieu populaire, celles qui sont pauvres, et dans certains pays, celles qui sont les plus pauvres, dans la situation de porter un enfant parce qu’elles ont besoin d’argent, à s’exposer à ces inconvénients et à ses risques? Est-il « éthique » de faire porter les enfants de riches par les femmes pauvres, ce que cette pratique réalise, qu’on le veuille ou non, parce que si des couples de la classe moyenne y recourent, ils sont tout de même plus riches, ou moins pauvres, que les mères porteuses qu’ils exploitent? Je constate que si vous faites état de la photo mensuelle de l’embryon, que vous attendiez comme le messie pour avoir des nouvelles de l’évolution du bébé, vous ne faites jamais état de comment Michelle vivait cette grossesse, de l’aide qu’elle pouvait recevoir à la maison avec ces deux jeunes enfants… Ces femmes deviennent à ce moment-là des «utérus sur pattes», comme certaines mères porteuses en viennent à se définir, ce qui montre comment certaines ont intégré une dévalorisation d’elles- mêmes.

 

6) Si vous effacez les mères, les femmes porteuses ont droit à de multiples compliments, comme Michelle, qui est « souriante, douce, ouverte au monde » ce que vous avez vu au premier coup d’œil (comment voit-on cela au premier coup d’œil?)

Et les femmes porteuses dans votre livre sont toutes « gaies, enjouées, croyant en la vie, généreuses, les yeux pleins de douceur ». J’ai du mal à y croire, en pensant à ces femmes qui vont subir des gestes médicalisés et une grossesse qui n’est pas un moment facile, alors que pour de nombreuses femmes aujourd’hui, la grossesse devient une pathologie dont témoignent les arrêts de travail de plus en plus nombreux observés durant cette période. Ces commentaires ‘bisounours’ pourraient entacher votre crédibilité. Lors de l’accouchement, vous étiez dans la salle d’accouchement, mais pas pour Michelle, pour recevoir le bébé. Et Michelle sortira le lendemain de la clinique, parce qu’une fois « sa mission accomplie », on n’a plus besoin d’elle et que les frais d’hospitalisation coûtent cher. Pourtant, en France, les durées hospitalières après accouchement qui se sont réduites sont d’au moins trois jours. Parce qu’une mère qui vient d’accoucher est fatiguée, a besoin d’être prise en charge et pas seulement pour l’enfant. Mais probablement une mère porteuse n’en a pas besoin puisqu’elle n’est pas une mère…Il n’empêche qu’elle peut aussi développer une dépression post-accouchement comme toutes les autres femmes, peut-être même plus fréquemment, du fait de la culpabilité de certaines. Mais là encore, elle ne sera pas prise en charge par les mandataires, le financement s’arrêtant à la sortie de la maternité. Les accidents post-partum, tels que les phlébites et autres pathologies ne sont ni envisagés, ni pris en charge. Michelle, qui ne voulait pas être mère porteuse une deuxième fois, a malgré tout accepté une nouvelle grossesse «pour votre mari» un an plus tard. Etes-vous sûre qu’elle était ravie de remettre en chantier une nouvelle grossesse? Mais que pouvait-elle en dire? Elle a dû subir des stimulations d’ovulation qu’elle ne voulait pas, et une césarienne qu’elle redoutait. Elle aura donc vécu trois grossesses en moins de cinq ans. Croyez-vous que l’altruisme soit la seule réponse possible à la question de savoir pourquoi elle a fait tout ça, dont beaucoup de choses qu’elle ne souhaitait pas? Ce sont bien les besoins des mandataires qui sont pris en compte dans ce processus, quoi qu’il en soit de ce que souhaite une femme. Ne peut-on penser que les difficultés à vivre cette deuxième grossesse pour vous étaient dues à votre empressement?

Lors de l’accouchement, vos mères qui vous accompagnaient étaient inquiètes que l’on ne vous donne pas le bébé. Vous ne l’étiez pas car les contrats avaient tout cadenassé pour rendre une telle chose impossible. Mais si vos mères le craignaient, c’est parce qu’elles savent quelque chose du lien qui unit un bébé et sa mère pendant la grossesse, et que des femmes puissent être empêchées de garder leur enfant est inadmissible.

Car, comme vous le dites si bien, la filiation génétique ne construit pas un lien parental ; en témoignent les enfants laissés pour compte par leurs parents génétiques et commanditaires d’une grossesse par GPA si l’enfant est « défectueux ». Alors que la grossesse est un lien parental : prendre soin d’un bébé pendant 9 mois et le mettre au monde définit bien une mère, qui est libre de donner ou non l’enfant à l’adoption. Mais c’est sa liberté. De nombreux contrats et une majorité de couples ne souhaitent pas que ces femmes portent ou voient leurs enfants après l’accouchement : c’est qu’ils redoutent que cette mère porteuse ne remette en cause sa décision. Les données anthropologiques de sociétés traditionnelles vous autorise, croyez-vous, à légitimer la pratique des mères porteuses, mais dans aucune tribu, on a pensé à l’éviction des mères d’une façon telle qu’elles ne peuvent même pas voir leurs enfants après la naissance. Et dans ces sociétés, l’organisation de la parenté n’excluait pas un rôle aux mères qui avaient donné un enfant. Décidément, à ces mères notre société fait la vie dure.

 

7) Ceux qui ont eu recours à la GPA pensent le plus souvent que puisqu’ils ont payé, le contrat est achevé, et ils désirent assurer l’éviction d’une personne témoin de cet arrangement conceptif

Vous avez gardé des liens avec la mère porteuse, ce qui n’arrive qu’exceptionnellement chez les nouveaux parents, quoi que vous en disiez. Ceux qui ont eu recours à la GPA pensent le plus souvent que puisqu’ils ont payé, le contrat est achevé, et ils désirent assurer l’éviction d’une personne témoin de cet arrangement conceptif. Vous avez revu Michelle, et c’est à votre honneur. Il semble que vous ayez une reconnaissance sincère envers cette femme, « qui fait en quelque sorte partie de la famille ». Peut-être a-t-elle pu ainsi construire ou raffermir a posteriori la fiction de l’altruisme, et la reconnaissance que vous semblez lui témoigner la conforte certainement dans son estime d’elle-même. Mais je pense aussi que, quoi que vous en disiez, il était surtout important pour vous que vos filles connaissent cette femme, leur mère ; vous n’êtes pas innocent des données de la psychologie de l’enfant et vous savez qu’ il y a là un facteur qui peut les aider à construire un roman familial, bien que dans nos constructions psychiques, le réel ne soit pas seul en jeu.

Si par malheur, l’accouchement s’était mal fini, je tends à penser que vous n’auriez jamais revu Michelle, qui aurait pourtant vécu un traumatisme grave du fait de la mort d’un enfant, et qui aurait eu besoin tout autant de votre reconnaissance.

Par ailleurs, jamais vous ne nous indiquez comment les enfants de Michelle ont vécu les grossesses effectuées par elle comme mère porteuse. Qu’est-ce qu’un enfant peut penser de son avenir alors que d’autres sont abandonnés?.

8) Il est faux de dire que le désir des parents, qui est affirmé dans toute demande d’assistance médicale à la reproduction, ne soit que tout positif et ne comporte pas d’ambivalence

Pour répondre à Mme Irène Théry, que vous citez, qui affirme n’avoir jamais connu d’enfant qui ait souffert d’être désiré, je peux témoigner avoir vu des enfants conçus par PMA et victimes de maltraitance. Comme j’ai connu des enfants « non désirés » qui ont été les enfants préférés d’une fratrie. Entre l’expression de ce désir, ce qu’il exprime comme ce qu’il cache, et l’acceptation de la réalité d’un enfant et la vie avec lui, il peut y avoir un écart très grand et de grandes désillusions. Il est aussi faux de dire que les couples s’orientent vers la GPA et les PMA parce que leur demande d’ adoption est un échec. La quasi totalité des couples adoptants que j’ai connus ont eu recours à l’adoption après un échec de parcours de PMA. Le recours aux techniques de procréation sont liées essentiellement à la volonté de transmettre son patrimoine génétique et nous avons vu ce qu’on peut en penser. Vous souhaiteriez voir modifiées les lois sur la filiation, je le souhaite aussi mais pour d’autres raisons que vous : je souhaite qu’on sorte d’une relation parentale qui instaure une possession de l’enfant pour ouvrir à une prise en charge sociale élargie des enfants et des parents qui en auraient besoin. En France, 20% des enfants vivent sous le seuil de pauvreté, certains vivent dans la rue, d’autres n’ont pas la sécurité sociale. Les enfants orphelins, suite aux guerres, aux désordres écologiques et économiques mondiaux sont de plus en plus nombreux. Des couples qui vivent en famille nucléaire et où parents et enfants sont en difficulté, pourraient être aidés par des personnes assurant une parentalité d’accueil. Organiser d’autres modes de parentalités que l’adoption, qu’il faudrait élargir, tutorat, parrainage, accueil plus ou mois prolongé, est indispensable. Quand on connaît le coût des PMA et des GPA, qui est considérable, on ne peut manquer de penser que ce qui est alloué aux enfants en difficulté qui existent bel et bien et qui sont vivants, et ce qui est alloué à la conception d’enfants non encore existants est dramatiquement disproportionné. Prendre en charge tous les enfants qui en auraient besoin, au lieu de concevoir celui à qui je transmets mes chromosomes, qui n’en sera pas plus « mon enfant » pour cela, est-ce si inconcevable?

9)Les gays ne réclament pas tous l’accès à la GPA. Un couple gay, de mes très bons copains, militants de longue date de la cause gay, ont adopté une jeune fille orpheline dont les parents sont morts dramatiquement, et il sont parfois agacés par ce qu’ils appellent « les simagrées familialistes et maternantes » de leurs copains gays pères. La militance gay, qui défend aujourd’hui à travers la GPA des valeurs familialistes et parentales les plus étroites et les plus conservatrices a bien changé depuis les années soixante dix, époque où les positions anti-famille et la liberté sexuelle étaient revendiquées. C’est la normalisation et la normativité qui ont gagné ces dernières années, et l’enfant et la famille sont devenus les nouveaux must.

 

9) La marchandisation est-elle un concept, comme le dit Mr Fogiel.? Il faut avoir beaucoup de culot pour payer 100 000 euros une GPA et dire que cette somme est un concept

Je n’ose pas croire pas que vous ne sachiez pas ce qu’est un concept : un concept, c’est une idée, ce n’est pas une réalité matérielle. Dans votre rhétorique de la même façon qu’une mère porteuse n’est pas une mère, l’argent n’est pas de l’argent. Pourtant, sans argent vous ne seriez pas père aujourd’hui.

Alors que les normes sociales suscitent la volonté d’avoir un enfant et que les désirs de consommation sont les mêmes, chez les riches et chez les autres, les seconds sont capables d’y engager leurs biens et de se mettre en situation de précarité afin d’avoir, comme les riches, accès à la GPA, ce qui n’en fait en rien une raison de légaliser la GPA : en France comme ailleurs, elle serait très onéreuse.

« L’immixtion du marché et des raisonnements qu’il induit, dans des aspects de la vie traditionnellement non régis par des normes non marchandes, est l’une des évolutions les plus significatives de notre temps » (Sandel p 39)

Il y a bien une nouveauté dans le fait que la conception est de plus en plus régie par des échanges marchands.

« Quand nous décidons que certains biens peuvent être achetés ou vendus, nous décidons, implicitement du moins, qu’il convient de les traiter comme des marchandises, c’est à dire comme des instruments rentables et utilisables. Mais la valeur de tous les biens ne peut pas être convenablement expertisée de la sorte. Les êtres humains en sont l’exemple le plus évident. L’esclavage était épouvantable parce qu’il traitait certains individus comme des marchandises achetables ou vendables»

Les mères porteuses sont exploitées et les contrats restrictifs de leur vie pendant la grossesse peuvent être comparées à un néo-esclavagisme. Quand aux contrats «éthiques américains», ils protègent largement leurs clients, et ils protègent bien sûr les juristes et médecins engagés dans ce contrat , alors qu’ils soumettent à un maximum de contraintes les femmes qui s’y engagent. Mr F., vous voulez nous convaincre que les mères porteuses américaines sont altruistes et que tout va au mieux dans le meilleur des mondes. Mais la rhétorique « bisounours » utilisée dans votre livre cache mal des réalités tout autres. C’est une rhétorique commerciale que vous auriez du utiliser, celle des contrats parce que « nous sommes devenus une société de marché qui est un mode de vie tel que les valeurs marchandes s‘insinuent dans le moindre aspect des affaires humaines ; c’est un lieu où les relations sociales sont réaménagées à l’image du marché». La liberté est souvent évoquée en matière de «droit à la GPA ou aux PMA», mais la liberté dont il est question correspond à l’ouverture d’un nouveau marché libéral, c’est à dire à une nouvelle liberté de commercialisation, et certainement pas à une nouvelle liberté des individus. Est-ce la liberté que la possibilité d’ouvrir de nouvelles formes d’exploitation des femmes pauvres et de marchandisation des enfants?

10)  la GPA n’est en rien un progrès médical

Avoir un enfant n’est pas un droit, affirmez vous. Je partage totalement cette opinion. Mais le rôle des politiques serait de nous permettre d’accéder au progrès médical, dites- vous. D’une part, la GPA n’est en rien un progrès médical : c’est une pratique qui utilise des techniques existant depuis près de quarante ans, et qui consiste à faire porter le poids d’une médicalisation par des personnes saines qui vont se retrouver dans un risque thérapeutique, accepté par elles en échange d’argent, pour donner un enfant à un mandataire. D’autre part, si le rôle des politiques est de permettre toutes les médicalisations possibles à tout le monde en vue d’avoir un enfant, c’est bien alors un droit à l’enfant qui s’inscrit de facto dans notre société. A mon sens, le rôle des politiques devrait être de protéger notre démocratie des lobbies d’influence pour prendre des décisions en fonction des besoins des plus nombreux et, en matière de santé publique, d’éviter à des personnes vulnérables de se mettre en situation de risque thérapeutique. Le rôle des politiques devrait également trouver des solutions de prise en charge des tous les enfants par tous les adultes qui souhaitent s’y impliquer, solutions alternatives aux diverses technologies de reproduction assistée et GPA que nous voyons se multiplier de façon commerciale et qui font de l’enfant et de la médicalisation de nouveaux objets de consommation convoités.

 

11) Les enfants issus de GPA sont et seront comme beaucoup d’enfants aujourd’hui

Ils auront à grandir avec une histoire marginale, et un certain nombre auront beaucoup d’atouts pour le faire ; pour d’autres, ce sera moins facile. Mr Fogiel, en essayant d’être «parfait», vous pouvez donner le sentiment de tenter de compenser comme vous le pouvez le manque issu de l’absence de mère. Mais vous ne pourrez peut être pas empêcher vos enfants d’être parfois un peu tristes de cette situation, comme votre petite fille semblait triste de ne pas avoir, comme ses copains, de maman à laquelle on va offrir un cadeau pour la fête des mères. Il faudra peut-être que vous aussi, vous acceptiez qu’une mère puisse parfois leur manquer, malgré tout ce que vous faites pour elles. On ne se passe pas si facilement de mère, même quand on a des pères parfaits. Et ce qui ne signifie pas qu’un couple homosexuel ne puisse élever un enfant… Mais chacun son histoire et chacun ses manques, car il y en a toujours, même si, en tant que parents, on voudrait les éviter à un enfant. Marguerite Duras disait « nos enfants, c’est fou le bonheur qu’on leur veut. Comme si c’était possible.» (Moderato Cantabile). Que vous « ayez tout bien fait », en tout cas vous le croyez ; je crois que vous êtes comme beaucoup de parents qui aiment leurs enfants: vous aurez fait ce que vous avez pu. Vous aurez fait aussi ce qui vous a convenu. Que tout soit naturel et transparent, comme vous le dites, c’est moins sûr. Votre éviction des mères en témoigne. En matière de filiation, qui peut se targuer d’avoir un inconscient transparent?

 

Dr N. Athéa

Gynécologue et endocrinologue

Ancienne interne et chef de clinique- assistante des hôpitaux de Paris

 

 

[1] M.Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter, Points Economie ed Seuil 2014

 

L’article était originalement publié sur le site du Collectif pour le Respect de la Personne (CoRP) le 20 septembre 2019.

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